Biographie

Artiste majeur de notre époque, Richard Serra, est, depuis plus de 30 ans, l'un des représentants les plus importants de la sculpture américaine. Ses sculptures en acier, monumentales, inventent un minimalisme à la tension brute qui met fortement l'accent sur le processus de production et le dialogue entre l’œuvre et son environnement. Cette fois, l’œuvre n’est pas en extérieur, mais répond à une architecture emblématique de l’image de Paris, un espace immense et lumineux, défi à relever pour un artiste d’exception. 


Né en 1939 à San Francisco, Richard Serra commence par étudier la littérature à l’université de Berkeley et de Santa Barbara (Californie) en 1957. Il obtient un master en littérature anglaise et travaille dans une aciérie pour financer ses études. En 1961, il suit des études d’art à l’université de Yale, y rencontre Philip Guston, Robert Rauschenberg, Ad Reinhardt et Frank Stella qui interviennent comme enseignants. En 1965, le jeune Richard Serra découvre la capitale française. 


C’est son premier voyage outre atlantique. Fraîchement diplômé de l’université de Yale, il découvre Paris comme une ville qui, à l’époque, est encore tout auréolée de son image de capitale des arts. En France vivaient encore quelques-uns des plus grands artistes modernes (Picasso, Giacometti…), même si un an plus tôt, un des compatriotes de Serra, Robert Rauschenberg, avait remporté le prestigieux Lion d’or de la Biennale de Venise et marqué par là le début d’un changement de localisation de l’épicentre artistique mondial vers les Etats-Unis. Richard Serra rencontre son ami le compositeur Philip Glass à cette période, il observe Giacometti à la Coupole et se rend quasi-quotidiennement dans l’atelier de Brancusi reconstitué au Musée national d‘art moderne. C’est durant ce séjour à Paris, prolongé ensuite en Italie, qu’il se découvre définitivement sculpteur pour développer désormais son œuvre fondée sur la gravité. 


L’année 1966 est celle de sa première exposition personnelle à Rome, à la galerie La Salita, mais aussi de son installation à New York où il rencontre encore de grands noms : Carl Andre, Eva Hesse, Jasper Johns, Donald Judd, Sol LeWitt, Brune Nauman et Robert Smithson. Richard Serra réalise ses premières sculptures avec des matériaux non-conventionnels comme le caoutchouc et le néon. Cette importance accordée par Richard Serra au processus prendra la forme d’un véritable programme de travail composé d’une liste de verbes (« enrouler », « appuyer », « couper », « plier », etc.) qui serviront à cerner les enjeux de sa production sculpturale. Lorsqu’en 1967, il réalise To Lift, sculpture constituée d’une plaque de caoutchouc qui semble se soulever ou lorsqu’il crée Thirty-five Feet of Lead Rolled Up en 1968 qui est effectivement composée d’une feuille de plomb enroulée sur elle-même, Richard Serra conserve au matériau toute sa force brute en l’enrichissant de l’énergie qui a servi à lui donner cette forme, et non une autre. Fasciné par la matière, et en particulier par l’acier, il produit en bouleversant le geste artistique lui-même : protégé par un masque, l’artiste projette à bout de bras du plomb en fusion contre un mur. Le métal se fige au pied de la paroi, donnant lieu à une forme qui ne ressemble ni à une peinture ni à une sculpture. 

Œuvre inamovible, œuvre qui condense en elle le processus de sa fabrication, œuvre aléatoire et néanmoins déterminée par la main de l’artiste, Splashing (1968) témoigne d’une refonte complète du rôle de l’artiste, de la façon qu’il a d’envisager son matériau de travail et du produit qui en résulte. Ce geste inaugural est accompagné d’une série de films réalisés par l’artiste qui explorent cette fascination pour la matière et les interrogations que soulève sa manipulation : Hand Catching Lead (1968) met en scène la main de l’artiste qui tente de saisir au vol des morceaux de plomb, Hands Scraping (1968) donne à voir les mains de Richard Serra et de Philip Glass qui, petit à petit, ramassent de la paille de verre sur le sol jusqu’à sa complète disparition de l’image, etc. Toutes ces œuvres poursuivent une réflexion de fond sur le processus de fabrication de l’art, un art détaché de toute forme d’expression subjective ou de représentation. 


À ce moment de sa carrière, Richard Serra constate cependant que ses œuvres perpétuent une certaine idée du rapport de l’œuvre à son contexte, de la sculpture au socle qui la supporte, voire de la forme à son fond. En effet, une sculpture, quand bien même elle serait posée sur le sol, se sert de ce dernier comme d’un socle. Elle est par ailleurs conçue trop souvent sous la forme d’une composition qui sert à produire une image. Afin de casser cet effet (qu’il qualifie de « convention picturale » pour en dénoncer l’organisation figurative), l’artiste réalise, en 1969, sa fameuse sculpture One Ton Prop(House of Cards), œuvre qui marque un tournant dans sa carrière. Constituée de quatre plaques de plomb de 122 cm par 122 cm, cette œuvre fondatrice a pour caractéristique majeure de voir ses éléments maintenus en équilibre par leur propre poids. En effet, et comme le titre l’indique, la tonne de plomb en question ne tient qu’en appui, à la manière d’un château de cartes. Plus besoin de socle, de fixation, d’étais ou même de soudure, l’œuvre résulte de sa tension propre, de cette gravité qui l’anime et la maintient. Grâce à cette œuvre, Richard Serra a réussi le pari d’un art qui offre au visiteur la vision de son propre équilibre et crée un espace. La même année, il réalise Stacked Steel Slabs de la série des Skullcracker, plaques d’acier posées les unes sur les autres jusqu’à atteindre un dangereux point d’équilibre. 


À partir des années 1970, Richard Serra privilégie l’acier dans son travail avec un objectif très précis : organiser l’espace. Mettant alors à profit les techniques les plus poussées de l’ingénierie et de l’architecture, Richard Serra va développer des sculptures de très grandes dimensions qui ont une double caractéristique : la première est d’intégrer le visiteur au cœur de l’œuvre, la seconde est d’éviter que l’on puisse la tenir tout entière sous son regard. Le visiteur est ainsi invité à déambuler dans l’œuvre elle-même autant qu’il doit reconsidérer l’espace environnant qui s’en trouve radicalement modifié. Les formes de ces sculptures qui déconcertent sont tantôt courbes et sinueuses, tantôt verticales et anguleuses. Une légère inclinaison des plaques d’acier vient parfois augmenter la sensation de danger et contribue au vertige qu’elles procurent. Conçue spécifiquement pour le site qui l’accueille, chaque œuvre de l’artiste crée de l’espace et invite le visiteur à se déplacer autrement, explorant de nouvelles directions et modifiant son corps comme sa perspective. Le visiteur devient le sujet même de l’œuvre, il en est l’acteur principal. 


Richard Serra revient à Paris en 1983 à l’occasion de sa première exposition au Centre Pompidou. Outre les œuvres majeures rassemblées dans le Musée, de Belts et House of cards à Circuit, il conçoit, en marge de l’exposition, une imposante sculpture, Clara-Clara. L’artiste et Alfred Pacquement, commissaire de l’exposition, décident avec Dominique Bozo, le directeur du Musée, de placer dans le jardin des Tuileries les deux immenses parenthèses d’acier qui constituent l’œuvre. Ces deux plaques courbes s’opposent sans se toucher et modifient radicalement l’espace dans le remarquable site dessiné par Le Nôtre. L’axe des Champs-Elysées met en perspective cette œuvre majeure, l’une des toutes premières où Serra choisit la courbe et l’oblique. 


En 1984, une autre œuvre de Richard Serra sera érigée sur le parvis de la Défense. Slat est composée de cinq plaques d’acier qui s’élèvent en reposant les unes sur les autres à la manière d’un gigantesque château de cartes. Mais si de l’extérieur on ne voit que quatre plaques de plus de douze mètre de haut, c’est en pénétrant dans la sculpture que l’on découvre une cinquième plaque qui sépare l’espace en deux parties inégales. La découverte de l’œuvre est indissociable du mouvement du spectateur qui se déplace autour et dans la sculpture sans jamais pouvoir l’appréhender dans sa totalité. Peu après Serra sera invité à réaliser plusieurs œuvres en France : Philibert et Marguerite dans le cloître du Musée de Brou à Bourg-en-Bresse (1985), Octagon for Saint Eloi (1991) dans le village de Chagny en Bourgogne, Threats of Hell au Capc de Bordeaux. Le Moma de New York lui offre une rétrospective en 2007 : Richard Serra, Sculpture : Forty Years. Richard Serra vit et travaille actuellement à New-York.

Source

Centre national des arts plastiques

Dernière mise à jour le 2 mars 2020