Marius Pons de Vincent

Biographie

Né à Briançon en 1986

Vit et travaille à Strasbourg


Baignade surveillée


Les photographies amateurs sont le terreau de ma pratique. Je passe un temps considérable, sur les blogs et les réseaux sociaux, à les regarder défiler sur mon écran. Les images qui témoignent de près ou de loin d’une ambition créatrice ne sont pas retenues. Pas de parti pris, pas de qualités esthétiques. Elles doivent être absolument vierges d’un point de vue artistique. Mon travail ne doit pas être préalablement mâché, j’aime me dire que tout est à faire.
Mais surtout, ces images sont une fenêtre sur un réel avec lequel je négocie dans mes tableaux. Pour autant, je ne cherche pas à reproduire ces photographies. Ce sont des outils documentaires utiles à la construction de ma peinture. J’y trouve mes figures, mes paysages et mes sujets. Une plage peut provenir d’une source et un baigneur d’une autre. Une fois peintes, les figures prennent un autre statut leur présence est comme alourdie. Elles semblent alors figées à un moment capital.
Ce protocole de travail et une envie de peindre des nus m’ont amenés à parcourir des blogs de naturisme. Depuis un an, mon atelier regorge d’images imprimées où des corps nus, inégalement brunis par le soleil, portent encore les marques de maillot. Ils sont restés couverts de longs mois et s’exposent intégralement en été sur une plage. Sur les clichés, les corps sont bavards. Ils expriment l’arrogance de ceux qui assument le caractère transgressif de leur position. Contrairement aux baigneurs de Cézanne, la nature ne les a pas admis. Il y a toujours un parasol, une montre ou des tongs quelque part. Les baigneurs de mes tableaux s’intègrent rarement au paysage, ils l’occupent. Beaucoup de peintres romantiques ont peint une nature incarnée qui enlace les figures. J’y songe quand je rompt la gamme de terre d’une plage en exagérant la saturation des couleurs d’une serviette de plage. Je tiens à ce que l’environnement les rejette un peu. Mais s’il y a une posture romantique que j’adopte, elle se rapproche de la définition qu’en donne Novalis:
“C’est donner au commun un sens élevé, à l’ordinaire un air de mystère, au connu la dignité de l’inconnu, au fini l’apparence de l’infini ”.
De mon côté, je m’efforce de peindre un geste héroïque, celui d’être nu. Pourtant, malgré un désir ardent de libération, le naturiste se trahit systématiquement. L’idée est belle mais sa réalisation reste souvent maladroite. Lorsque je les peins, j’ai ce paradoxe en tête et peine à choisir entre l’utopie et le vulgaire. Il n’y a pas lieu de trancher.


Papiers peints sur fond vert

J’achève L’Illwald au début de l’été 2015. Il s’agit de deux figures nues dans les bois, Camille et moi sur une toile de 150 par 180 cm. Tout au long de sa réalisation, une envie de peindre plus librement s’est heurtée à ma fidélité au modèle photographique. Ce tableau cristallise un combat sans vainqueur. J’en sors frustré.
Je veux davantage de risques, davantage de jeux. Il me faut pouvoir rater, rater complètement, jeter puis reprendre. Je découpe alors deux planches de médium de deux mètres par trois en formats de 27cm par 22 cm. Il m’en faut beaucoup. Le support est pauvre par ses dimensions et par son prix. Je peux enfin échouer à répétition. Telles sont mes ambitions lorsque j’enduis au gesso les premières plaques de bois. Je fabrique une coiffeuse, une glace fixe entre deux pivotantes, de façon à pouvoir me peindre de face comme de profil. L’autoportrait me semble être le sujet idéal. Il me permet de peindre sur le motif, et de ne dépendre de la disponibilité d’aucun modèle. J’en peins deux à quatre par semaine. De l’un à l’autre, je ne cherche pas à progresser, il ne s’agit pas de saisir de mieux en mieux ces traits qui sont les miens, mais au contraire de m’en émanciper. Je tente de me renouveler à chaque fois. A répéter ce motif des dizaines de fois, je finis par l’oublier pour ne jouer qu’avec des formes et des couleurs.
Après trois mois, je me lasse de travailler jour après jour, devant mes miroirs. Mes semaines d’atelier doivent s’articuler autour de plusieurs séries. Je veux réutiliser l’outil photographique, mais autrement. Cette fois ci, je m’intéresse moins à l’image qu’à l’objet. Il ne s’agit pas de représenter une scène, celle de corps nus dans un paysage; mais de peindre une feuille de papier imprimée, éprouvée par un séjour sur une palette ou dans la poussière. Je m’efforce de peindre dix neuf feuilles de papier machine sur une toile de lin de grand format et au grain grossier. Dix neuf fois et à l’échelle. Je n’oublis aucun détail, du numéro de téléphone que j’avais noté sur l’une d’entre elle à l’auréole d’huile jaunâtre sur un coin. Le fond est vert. Celui que je cherche à fabriquer est le vert d’incrustation, Chroma key ou fond vert, utilisé pour la 3D. J’imagine qu’il est à certains vidéastes ce qu’est la toile vierge à un peintre. Papiers Peints sur fond vert est le fruit d’un labeur absurde, celui de peindre du papier sur une toile épaisse puis de chercher un vert d’une précision industrielle en mélangeant du vert de cinabre et de phtalo. Ce labeur, je décide de le poursuivre. La couleur est forte, elle m’évoque le factice, une image en l’état de construction. Par ailleurs, je peins toujours des feuilles imprimées. Cette fois ci, elles sont pliées en forme d’avion et peintes sur le dos de mes palettes en verre. Je récupère aussi de vieux chiffons maculés, les miens et ceux de Camille, la peintre avec qui je partage mon atelier. Je les tends sur un châssis et les enduis à la colle de peau. En transparence, je travaille à un effet de drapé, celui d’un torchon, d’un rideau ou d’un vêtement. Enfin, pour que l’objet émerge, je le détoure avec une couleur opaque.
Entre l’Illwald et Rideau 5, un an et demi se sont écoulés. Durant cette parenthèse, je réalise que je peins mon atelier. Le travail et les outils nécessaires à la fabrique de ma peinture ont pris des formes diverses et se sont invitées au sein de mes tableaux. Je trouve mes sujets dans le reflet d’un miroir, par terre, dans un tiroir, sous une palette, toujours dans mon atelier.
Au cours du travail, des choses tombent. Impressions sur papier A4 souillées ou chiffons raidis par la matière, ces chutes s’entassent dans l’atelier. Elles ont été les consommables utiles à la fabrication d’une peinture. Certaines deviennent le sujet d’un prochain tableau. A nouveau, des choses tombent.

Site internet et réseaux sociaux

Source

Galerie du Granit

Dernière mise à jour le 2 mars 2020