Eléonord Saintagnan

Biographie
Introducing Éléonore SaintagnanPar Sarah Ihler-Meyer
Texte publié dans le numéro d'Art Press de septembre 2014


Tel le bibliothécaire imaginé par l’écrivain Richard Brautigan, chargé de recueillir jours et nuits des manuscrits non publiés, Éléonore Saintagnan accueille dans son travail des récits n’ayant pas trouvé leur place ailleurs, le plus souvent en marge de la grande Histoire et voués à disparaître. Qu’ils soient véridiques ou légendaires, collectifs ou individuels, liés à des traditions populaires ou à des obsessions individuelles, tous les moyens sont bons pour restituer ces récits sous forme de vidéos ou d’installations. Formée au documentaire de création, l’artiste entremêle allègrement captations sur le vif, situations rejouées et documents d’archives, se plaçant ainsi au plus près d’une réalité elle-même envisagée comme hybride, faite des événements que l’on vit et des histoires que l’on se raconte.

Communautés humaines et animales
Parce qu’elles sont porteuses et génératrices de récits, les communautés aussi bien humaines qu’animales ont souvent la faveur de l’artiste. En particulier lorsque ces histoires sont a priori anecdotiques et saugrenues, comme par exemple celle du jeu de quilles en Pays Montreuillois, sujet du « docu-fictif » Les Malchanceux (2012). Aujourd’hui menacée de disparition, après avoir été remise à l’honneur des années 1960 aux années 1990, cette tradition locale permettait selon ses derniers adeptes de partager des moments de convivialité et de fédérer les habitants des différents villages de la région. Aussi, avec la complicité de plusieurs équipes de quilleurs, Éléonore Saintagnan reconstitue cette histoire d’un âge d’or perdu, contre-champ de la désertion de la campagne pour les villes. Autour du personnage principal de Michel, véritable quilleur originaire de Brimeux, se succèdent des séquences où sont rejouées l’organisation d’un tournoi de quilles, la préparation de la bistouille, boisson alcoolisée dont s’abreuvent les joueurs, le rassemblement des équipes sur un ancien terrain de quilles sur fond de musique rock’n’roll, et, bien entendu, la partie de quilles elle-même. Difficile ici de départager entre la véracité des événements rejoués et la part de fantasmes dont les auréoles Michel, à l’image de nombreuses traditions populaires sur le point de disparaître ou déjà révolues. Un mélange de réalité et de légende que l’on retrouve notamment dans les trois récits d’animaux féraux2 qui constituent Vulpes vulpes vulpes (2014), une vidéo conférence réalisée avec Grégoire Motte au Centre Pompidou. Parmi ces trois récits, celui des perruches vertes qui envahissent les rues de Bruxelles. Comme l’expliquent les deux comparses, selon les habitants de la ville ces oiseaux seraient originaires du Méli Park, centre d’attraction fondé en 1935 par Alberic Florizoone et dont le fils, Guy Florizoone, aurait libéré en 1974 quarante perruches pour égailler le ciel bruxellois. Tour à tour apparaissent des images d’archives guillerettes, des captations de vols d’oiseaux, mais aussi une scène rejouée d’intrusion d’une perruche dans un appartement bruxellois, ainsi que la lecture d’une véritable annonce de disparition d’une perruche par Éléonore Saintagnan. À nouveau le vrai et le faux s’entrelacent, à l’image de cette charmante histoire de féralité : bien que véridique (le lâché d’oiseaux en 1974), cette dernière n’est pas la seule a expliquer la présence de perruches dans la ville de Bruxelles, le phénomène s’expliquant aussi par les fréquents abandons d’animaux domestiques.

Singularités
Récits de communautés, les œuvres d’Éléonore Saintagnan s’attachent tout aussi bien à rendre compte de singularités et d’histoires individuelles. Ainsi par exemple des Portraits flamands (2008), soit près de quarante petits écrans numériques encadrés de céramique et destinés à être accrochés aux cimaises. D’une durée de cinq minutes, chacun d’entre eux montre des habitants d’un quartier de Tourcoing, seuls ou à deux, posant fixement devant la caméra sur un fond coloré, habillés des tenues de leur choix. Un duo de motards, des majorettes ayant substitué leurs bâtons par des fusils et des sabres en plastic, un mécanicien avec ses outils… autant de portraits suspendus dans le temps, tels des peintures parcourues de micro mouvements. Extrêmement artificiels et mis-en-scène, ces portraits laissent néanmoins percer la réalité de toute individualité, mixe indémêlable de mythes personnels et d’événements vécus. L’histoire du fou littéraire Jean-Pierre Brisset (1837-1919), auquel Éléonore Saintagnan a dédié plusieurs œuvres, est à ce titre exemplaire. Polyglotte, maître nageur, dépositaire de plusieurs brevets, Jean-Pierre Brisset est également l’auteur de livres dédiés à ses extravagantes découvertes étymologiques et à la révélation divine selon laquelle l’homme descendrait de la grenouille. En 1913, Jules Romains et ses amis le reçoivent à Paris pour lui remettre le prix de Prince des Penseurs, vaste mascarade dont Brisset fut la dupe. Soit une vie des plus marginales aux allures de légende, où l’auto-mystification côtoie de véritables péripéties, qu’Éléonore Saintagnan restitue sous la forme d’une planche hagiographique (Vie illustrée de Jean-Pierre Brisset, 2012) et d’une grenouille en céramique placée dans un pot de fleurs débitant des extraits des écrits de Brisset lus par l’acteur Jacques Bonnaffé (Sans titre, 2013). Ici encore, le documentaire et la fiction se mélangent, au plus proche du réel, toujours déjà mis en récit, pris dans des fictions et des projections subjectives ou collectives.

Sarah Ihler-Meyer

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Bureau d'Art et de Recherche | La qsp galerie

Dernière mise à jour le 2 mars 2020