Caroline Le Méhauté

Exposition
Arts plastiques
Galerie Martagon Malaucène

Négociation 34 : Porter surface
bois, métal, tourbe de coco
100 x 280 x 250 cm
2011

au milieu, parmi, avec, entre, au-delà, après1


«L'imagination trouve plus de réalité à ce qui se cache qu'à ce qui se montre.»
(Gaston Bachelard, La terre et les rêveries de la volonté, 1948)
La capacité de créer des monstres est en chacun de nous, car ces monstres, c'est
nous.*
En premier lieu, de la "rencontre" prend forme une "vérité du sensible". Notre présence dans
cet univers non-anthropocentrique, dont les effets s'adressent paradoxalement au corps humain, est
mise en tension maîtrisée entre déplacement et immobilité. Que ce soit dans les sculptures ou les
installations de Caroline Le Méhauté, l'être humain est omniprésent mais jamais d'une manière
directe ou appliquée, en référent sensoriel ou architectonique, comme une présence subliminale. Le
sensible ne suffit pas au sensible. Il faut jouir du regard de Janus, dieu du voyage et de l'exploration,
dont le regard tend dans deux directions unies par le même visage, au-delà et en-deçà du percept.
Aux effets subjectifs ressentis devant les oeuvres vient s'ajouter une impression d'équilibre fragile
entre mystère et clarté, quelque chose de troublant et d'intranquille, "une impression de réalité du
rêve"2. Le visiteur3 est en reconnaissance dans une zone au lyrisme fragile où "un vernaculaire
baroque de la beauté"4 s'affirme comme tel, mais révèle une beauté non conventionnelle, séduisante
autant que répulsive, alliance paradoxale au monstrueux, force et vulnérabilité, terrifiante et
familière, la fertilité de l'étrangeté.
Chacun prend son inspiration avant de soupirer sur les éponges d'encre en suspens au mur de
Prendre l'air [ Négociation 31 ] (2011), autant de souffles privés qu'elles absorbent dans un petit
ballet de (in)formes naturelles à bascule. Chaque oeuvre convoque ainsi son mode d'identification et
de lecture propre qui excède toujours ce que l'on peut dire, une énigme sans réponses "apprises".
On y découvre quelque chose de propre à un OOPArt -Out of Place Artifact, « objet fabriqué hors
de place »- terme qui désigne un artéfact archéologique ou historique dont les caractéristiques
diffèrent de celles attendues d'un objet appartenant à la zone géographique ou temporelle du site où
il a été découvert ou de celui où il est montré, au point qu'il est impossible de le reconnaître comme
appartenant réellement à la culture de ce site. Les "périscopes" de Latitude 43°17’51N, longitude
5°22’38E5 [ Négociation 36 ] (2011) incarnent un aperçu paradoxal de cette vision "à perte de vue".
Pièce totémique qui peut être rejouée, elle consiste en une paire de tuyaux d'évacuation en pvc
coiffés d'un coude à 87°30 femelle-femelle, recouverts d'une poudre d'une tourbe de coco, humus
exotique et assoiffé lui-même "out of place" qui sert de terreau à l'imaginaire, qui surgissent
littéralement de terre comme pour mettre le regardeur à la merci d'un profond regard d'ailleurs. On
ne trouvera ainsi dans le travail de l'artiste que quelques matériaux comme éléments de références,
sortes de vestiges des constructions de notre présent5. Si on sait littéralement où l'on se situe sur la
carte, on se trouve également aux limites de la civilisation dont le travail de Caroline Le Méhauté
semble se libérer.
Par l'usage répété du terme "Négociation", Caroline Le Méhauté affirme un lignage légitime,
un continuum artistique, et éclaire sur l'ensemble d'entrées/sorties inhérent à son travail. Les
oeuvres forment les élément d'une ontologie, une métaphysique singulière qui nous offre les
histoires de leurs réalisations prosaïques en tant qu'objet d'art et représentation. La Négociation
nomme en quelque sorte sa culture fondée sur une mythologie sans enracinement qui propose un jeu
d'accords actifs6. Elle donne corps à une dialectique mise en oeuvre qui ne fonctionne pas sur une
classique opposition binaire mais sur une cinétique hétérodoxe7. La Négociation représente une
encyclopédie de formes, de matériaux, de gestes avec lesquels il faut composer. Les frontières
s'estompent sur un principe de passage et une loi de discontinuité : masse/fragile, composé/naturel,
substance/onirique, construction/au-delà des réalités physiques, récit/par-dela le physique,
figuration/libre, formalisme/immatériel, objet/abstrait, dualisme/mental, maniérisme/allégorique,
trou/phallique, corps/surréel...
La pièce S'extraire [ Négociation 25 ] (2010) est en cela remarquable car le visiteur est dans
cet entre-deux qui le place entre la forme et sa source, ici/à bonne distance8, quelque part OOPART.
A première vue, l'évidence d'un mur au milieu d'un jardin. Ce mur en terre brute au sommet tapissé
de gazon, comme un segment 3D tiré du sol, fait écran pour le corps et laisse passer la vue. On en
contourne aisément la construction par la marche comme on le ferait d'une sculpture. Barrière
mentale plus que physique ou sensible, elle s'élève dans une fiction cadastrale où l'on perd la
mesure : un soulèvement de sol, l'extraction d'une tranche de paysage, une couche de fiction
éphémère, une mythologie du quotidien, un horizon tronqué de manière frontale, la typologie
différente d'une sorte de nature entropique...
Dans les oeuvres de Caroline Le Méhauté, il ne s'agit donc pas d'établir les structures
réalistes d'une croyance en un nouveau monde réinventé ou virtuel dans lesquels l'homme pourrait
s'identifier. Les dessins -du genre reconnu du portrait- de la série La descendance en remplissent à
leur façon le vide de figure humaine avec la vision d'une altérité irréductible d'où émane
l'impression prophétique d'une scène de fantasy marquant l'absence de la rassurante suprématie
humaine. L'homme n'est pas en représentation directe, il se voit sans se reconnaître dans un miroir*
construit par l'artiste.
Il y est toujours question de traduire les multiples possibles d'une imagerie élégante d'une
nature flottante et chimérique, dénaturalisée et profane, sylvestre et industrielle. Le travail fait
fusionner les règnes au sein d'un univers dont les restes sont dans de multiples ailleurs, où chaque
oeuvre ouvre à une figuration en-deçà et au-delà de la référence humaine car dans l'ordre
chronologique des apparitions, le dernier homme du mythe est l'artiste elle-même, dans une sorte de
"méhauthéisme", puis le premier homme est le visiteur, "Au fond de l'inconnu pour trouver du
nouveau."9
luc jeand'heur - septembre 2011
1 Définition du préfixe grec μετά (meta).
2 Descartes.
3 La notion de "visiteur" utilisée à la place de celle de spectateur me semble plus appropriée aux oeuvres de Caroline Le Méhauté, car
tout, y compris le regardeur, y est en déplacement.
4 Dave Hickey.
5 Latitude et longitude de l'oeuvre à l'exposition Cocotrope en 2011 à la galerie du Château de Servières/espace d'exposition des
Ateliers d'Artistes de la Ville de Marseille.
6 Pas de technologies ultra-modernes, pas d'images générées par notre temps, pas de références déclarées de l'actualité, pas de
figuration sans détours de notre présent.
6 La réalité flottante du "hic et nunc" éphémère de être là [ Négociation 24 ] (2010), "ici et maintenant", cette rhétorique de l'art
contemporain en latin de cuisine nous raconte le présent est une construction artificielle, la règle génétique de l'art contemporain est
un caprice sémiotique, un langage, une oeuvre, destinés à figurer dans une nature recrée, à chacun ensuite de le lire et de le laisser
résonner comme il l'entend.
7 En terme de négociation, on appellerait cela un accord gagnant-gagnant.
8 Pour presque-paraphraser le slogan de la série X-Files de Chris Carter : "The truth is out/(t)here".
9 Baudelaire, Le voyage, poème du livre Les Fleurs du Mal, première édition en 1857.

Partenaires

Association du château de Servières (Marseille)

Horaires

MICHEL BARJOL, directeur, vous reçoit du mercredi au dimanche de 11h à 12h et de 16h à 19h

Adresse

Galerie Martagon 47 Grand’Rue 84340 Malaucène France

Comment s'y rendre

Galerie Martagon - 47 grand'rue - 84340 Malaucène, Vaucluse (PACA)
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022