Bruno Desplanques

« Comme un bruit de nature »

Depuis que j'ai recentré ma démarche artistique sur la pratique picturale, je réalise des peintures sous forme d'ensemble, de séries, de suites, régies par des constantes matérielles et des mises en situation diverses.

L'usage du format carré et de la peinture industrielle, choisis au départ de façon pragmatique pour des raisons pratiques et économiques, a trouvé son sens petit à petit en générant presque de lui-même le processus et la plasticité de mon travail.

A l'atelier j'entreprends simultanément plusieurs peintures. Je travaille sur un plan horizontal et entrepose au sol les peintures en cours de façon à pouvoir les observer dans leur évolution, les reprendre et les remanier tour à tour.

Chaque peinture résulte ainsi d'un travail de retouche régulier et minutieux qui l'inscrit dans la durée et dans une continuité chromatique et picturale.

La multiplicité des peintures mises en oeuvre permet d'explorer simultanément plusieurs pistes à partir d'une même gamme de couleurs, d'une même énergie et de rendre compte d'expériences qui ne peuvent se résoudre en une seule et même surface.

Initié par l'usage de couleurs évoquant l'univers végétal, le paysage est devenu un sujet récurrent.

Dans une gestuelle de plus en plus contrôlée, une application à la truelle de plus en plus maîtrisée, la couleur est déposée pour dessiner petit à petit un espace autonome, cohérent, profond.

L'observation attentive des effets produits par la superposition et la juxtaposition des touches et des taches, de leur rapport de ton et de valeur, de l'étalonnage des plans ainsi obtenu oriente le cheminement de la peinture vers l’émanation d'espaces perspectifs pittoresques s'apparentant à des paysages de fantaisie.

Lors de la réalisation, la question de l'abstraction et de la figuration est en jeu. Mon travail ne s'inscrit pas dans une progression qui du figuratif tendrait vers une abstraction mais plutôt dans un aller-retour permanent qui de l'informe laisse entrevoir et émerger des lieux possibles. Il s'agit de fixer les visions, les apparitions parfois plus vrai que nature.

Les peintures sont travaillées de façon à développer leur pouvoir suggestif, je creuse la surface par ajout de matière comme on creuse une idée.

Je produis des images sans modèle existant, exclusivement à l'aide de taches et de touches colorées, avec ce souci de vraisemblance, de réalisme qui induira par la suite chez le spectateur cette sensation de déjà vu, de reconnaissance. La peinture dépend de l’acuité de celui qui regarde et de son aptitude à se laisser embarquer dans une contemplation rêveuse, à se projeter.

Comme si il ne s'agissait que d'un seul tableau fragmenté, les peintures de dimensions variables forment des ensembles qui s'apparentent parfois à des fresques, des séries ou encore des suites.

L'usage de supports (bois ou toile) de format carré permet une modularité optimale. Au cours de l'élaboration des ensembles, les modules sont déplacés, intercalés, pivotés, travaillés à l'unité dans le détail ou par regroupement selon des découpages provisoires ou définitifs.

Le geste libéré des contraintes matérielles et techniques, la peinture se poursuit sans frein d'un tableau à l'autre, se jouant des limites du cadre.

A tout moment, jusqu'à l'accrochage, des recadrages ou des prolongements sont envisageables.

Lors de sa mise en situation je m'interroge sur la place que la peinture peut ou doit prendre dans le lieu. Elle devient un objet, qui s'adapte aux dimensions des cimaises ou au contraire les contrarient.

Dans un dialogue avec l'architecture du lieu qui joue son rôle de cadre, les peintures se révèlent de façon partielle ou fugitive selon des points de vue préalablement réfléchis.

Les dispositifs imposent la distance ou la proximité du spectateur à la surface peinte. Ils amènent à requestionner hors de l'atelier, les frontières de la figuration et de l'abstraction, la relation qu'entretient le peintre à la peinture.