Ebrahim GOLESTAN

Biographie

Metteur en scène, essayiste, poète, cinéaste et producteur… Ebrahim Golestan (né en 1922 à Shiraz, Iran) est à lui tout seul une ombre sans commune mesure qui rôde sur l’histoire moderne de l’Iran. Ses nouvelles comme Aujourd’hui et demain, La marée et le brouillard ou Au tournant de la route, mettent en scène des personnages qui cherchent leur chemin dans un monde pris dans l’étau d’une tradition naturaliste et du progrès industriel le plus dévastateur ; à la recherche de leur propre subjectivité, et souvent malmenés par leur auteur. Ses films de fiction comme La Brique et le miroir ou Les mystérieux trésors de la vallée du fantôme lancèrent une « nouvelle vague » sans retour, de laquelle sortiront de nombreux autres cinéastes, tous épris de néoréalisme italien et d’anachronismes rêveurs (Parviz Kimiavi, Nasser Taghvai, Fereydoun Rahnema…). Lui qui inspire toute une génération pour qui le documentaire et la fiction suivent des voies entrecroisées, s’intéresse autant aux joyaux de la couronne royale ou à l’industrie du pétrole (pour qui il réalise plusieurs films de commande) mais sera aussi l’un des critiques de cinéma les plus impitoyables (et le traducteur de Shakespeare ou Hemingway). Il créera la première société de production indépendante qui révèlera entre autres les talents cinématographiques de la grande poétesse Forough Farrokhzad. Avant de devenir la pierre de touche des tremblements esthétiques animant les années 1960-1970, il fut déjà l’un des premiers intellectuels « chroniqueur » de son temps à éprouver la frontière culturelle et politique entre l’Iran et l’Europe (particulièrement la France). Dans les années 1950, où les luttes ouvrières locales battent leur plein contre le monopole des sociétés de pétroles britanniques et soviétiques, il prend position au sein du parti communiste iranien pour mieux s’en émanciper par la suite. Utilisant alors les moyens fournis par les médias étrangers, il en détourne les ressources, pour leur tendre le cruel miroir de leur pouvoir économique. C’est lui qui filmera dans l’intimité les dernières heures glorieuses du premier ministre nationaliste Mohammad Mossadeq, juste avant le coup d’État américain de 1953 qui entrainera ce dernier au tribunal puis en prison. De la même façon il s’attire ponctuellement la curiosité du Shah d’Iran tout en produisant une critique acerbe de la royauté dans ses films. Toute l’originalité de Golestan sera d’incarner le paradigme de l’intellectuel « inorganique », au sens de Gramsci : « un lettré sans attaches qui n’éprouve ni loyauté envers la classe bourgeoise dont il est issu, ni réelle disposition idéologique pour la classe ouvrière » (Hamid Dabashi). De la profonde identification des intellectuels iraniens avec la figure de « l’engagement » (sartrien ou marxiste), il expurgera le dogmatisme. Dans ses documentaires commandités par l’industrie du pétrole, comme La Marée, le corail et le granit, il fera résonner toute la poésie classique (notamment Nezâmi, 13e siècle) transformant ses images galantes dans une méditation « moderne » sur la nature, l’homme et la technique. À l’issue de la Révolution islamique de 1979, Ebrahim Golestan se soustrait à la sphère publique et s’exile à Londres, où il vit toujours, continuant d’alimenter sa légende par des interventions ponctuelles mais toujours redoutées, tel un monstre sacré (ou sacrifié) de la modernité.

Dernière mise à jour le 26 janvier 2024