YOU DON’T NEED EYES TO SEE. Benoît Maire, Luca Francesconi, Matthew Smith, Navid Nuur et Renaud Jerez. Une proposition de Philippe Valentin.
L’exposition collective «You don’t need eyes to see » rassemble les travaux de cinq jeunes artistes qui
privilégient une approche analytique dans leurs recherches plastiques. En mettant en mouvement forme et idée, ils
amorçent un retour au théorique concomitant à une économie des effets plastiques et se distinguent par un goût
prononcé pour l’équivoque, le leurre ou encore la métamorphose. La vision est ici mise à l’épreuve, le regard du
spectateur souvent volontairement égaré par un fin jeu dialectique et didactique entre l’apparence et la réalité, le
concept et l’affect, le voir et le savoir ou encore la matière et l’idée. Ici, pas de discours linéaire, chaque oeuvre
esquisse des lignes de fuite qui rendent le sens fluctuant, créant des zones de profonde indiscernabilité où le regard
peine à trouver l’équilibre.
Le français Benoît Maire interroge notre relation affective aux formes, sondant les profondeurs du visible au moyen
d’un art autoreflexif qui propage le trouble dans l’équation usitée langage/image. Ses oeuvres peuvent être comprises
comme une modélisation d’idées se nourrissant de multiples référents artistiques, littéraires et mythologiques
comme c’est le cas pour « Tête de méduse » : en revisitant le mythe de Méduse, l’artiste ouvre un dialogue aveugle
entre une sculpture et un tableau, élaborant une configuration spatiale qui met à jour une chaîne de renvois à
l’histoire de l’art, la philosophie, la psychanalyse mais aussi à la propre mythologie personnelle du spectateur.
L’artiste milanais Luca Francesconi origine aussi sa réflexion dans une dialectique du regard, questionnant les
rapports entretenus entre l’homme et la matière, l’action humaine maîtrisée et celle, plus intempestive, de la nature.
Ses compositions révèlent une certaine forme de mysticisme, traduisant un rapport sentimental avec la matière
organique qu’il traîte, façonne, modèle à la manière d’un langage primitif. L’art devient ici un exercice de lecture,
d’écriture et de questionnements où la forme-oeuvre se prend elle-même comme sujet. L’artiste iranien Navid Nuur
s’attache quant à lui à décortiquer les mécanismes de la perception, créant des connexions nouvelles entre le langage
et l’objet, manifestant un goût pour des compositions rudimentaires au sens équivoque, ce qu’il nomme
« interimoduls ».
Le travail de ces artistes célèbre le doute et l’incertitude, privilégiant un style anti-spectaculaire au profit d’un usage
parcimonieux et raisonné de la matière. C’est au sein de cette temporalité et de cet espace discontinus, cadencés par
le flux des référents, que le sens transite, se dissémine, se meut, se perd et nous perd. Car ici, les idées sont les
objets, et le visible s’offre donc au regardant avec plus de résistance, jusqu’à parfois devenir totalement hermétique
comme chez le jeune anglais Matthew Smith où les formes souvent désincarnées travaillent le sens jusqu’à
l’égarement et l’indifférenciation. Renaud Jerez se joue lui aussi des évidences et des schémas normés de la
perception, son intérêt se porte sur la mise en relation d’objets disparates qui entrent alors dans une négociation à la
fois spatiale et conceptuelle. Ses installations énigmatiques, mettant en jeu un affect toujours distancié, opèrent des
distorsions d’ordre sémantiques et des glissements de sens à l’infini, rendant compte de l’aspect stratifié de nos
environnements mentaux et visuels.
Duperie en trompe l’oeil, modulations anamorphiques, notre désir de réalité demeure insatisfait, sans cesse retardé,
suspendu. Les oeuvres présentées requièrent donc une perception étoilée, capable de faire l’effort réflexif de dépasser la
simple présence de l’objet pour se ressaisir sous une multiplicité de points de vue et d’interprétations possibles.
Le travail de Benoît Maire est actuellement exposé au FRAC Aquitaine jusqu’au 12 septembre et également
présenté au Palais de Tokyo jusqu’au 5 septembre dans le cadre de l’exposition “Dynasty”. Luca Francesconi
termine quant à lui une exposition à la fondation Sandreto de Turin, Navid Nuur est actuellement exposé dans les
galeries Martin Van Zomeren à Amsterdam et Plan B à Cluj en Pologne ainsi qu’en Allemagne au Martha Herford
Museum. Une exposition personnelle de Matthew Smith a récemment eu lieu à la galerie Limoncello à Londres et
Renaud Jerez a exposé au dernier salon d’art contemporain de Montrouge.
Clara Guislain