Vercingétorix sous la IVème République

Par Virginie Inguenaud
Louis Dussour, Vercingétorix, 1949

Louis Dussour, Vercingétorix, 1949. Vue de la partie supérieure de l’arbre. Au centre, Vercingétorix, entouré par Michel de l’Hospital (né à Aigueperse vers 1506) et Grégoire de Tours (né à Clermont-Ferrand en 539).

Vue de la partie inférieure de l’arbre

Vue de la partie inférieure de l’arbre prenant ses racines sur les armoires de l’Auvergne de l’Ancien régime. Figures de Louis Desaix (né à Ayat-sur-Sioule en 1768), Emmanuel Chabrier (né à Ambert en 1841), Jacques Delille (né à Clermont-Ferrand en 1738) et Blaise Pascal (né à Clermont-Ferrand en 1623).

Vue de la partie inférieure droite du décor : travaux des champs et de la ferme, avec les grands établissements thermaux et industriels du Puy-de-Dôme symbolisés par les sources et par les bâtiments des usines Michelin (on reconnaît ici le profil caractéristique de l’une des pistes d’essais construites en 1928 sur le site de Cataroux au Nord de Clermont-Ferrand).

Sculpture de René Guilleux

René Guilleux, Dumnacus (FNAC 7478). Installé sur le pont reliant Les Ponts-de-Cé à Mûrs-Erigné dans le Maine-et-Loire.

Si l’on associe la représentation du Gaulois en général et celle de Vercingétorix en particulier à la fin du Second Empire et au début de la IIIème République (ce que prouve par ailleurs le nombre d’œuvres sur ce thème produit et acquis pendant cette période), ces personnages ont néanmoins continué d’inspirer les artistes jusqu’en 1951. Peinte en 1949 dans le grand escalier de la préfecture du Puy-de-Dôme, l’imposante fresque de Louis Dussour (Riom, 1905 - Riom, 1986) est l’avant-dernière œuvre à sujet « gaulois » entrée dans les collections de l’État gérées par le Cnap. Elle porte le n° d’inventaire FNAC 21512.

Du décor projeté au décor réalisé

Le peintre, graveur et historien Maurice Busset (Clermont-Ferrand, 1880- Clermont-Ferrand, 1936) proposa en 1931 au Conseil général du Puy-de-Dôme de réaliser gratuitement une décoration peinte en trois panneaux dans le grand escalier de la préfecture (propriété du Conseil général). Les deux panneaux latéraux auraient montré l’exploitation du bois aux environs de Durtol et une foire dans une région montagneuse, le panneau central étant dévolu à un épisode de l’histoire de l’Auvergne. C’est en 1932 que le sujet fût arrêté : « la bataille de Gergovie d’après les documents du musée national de Saint-Germain » et d’après les éléments de construction qui seraient retrouvés sur place. Si l’esquisse fut photographiée et éditée en carte postale, le décor n’a finalement jamais été réalisé, car le Gergovie prévu par Maurice Busset, c’était celui des Côtes de Clermont au Nord, et pas celui du plateau de Merdogne au Sud (cf. son Gergovia capitale de Gaules et l’oppidum du plateau des Côtes publié en 1933).

Quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale, le peintre et fresquiste Louis Dussour, qui quittait la direction de l’École des Beaux-arts de Clermont-Ferrand pour prendre celle de l’École des Arts décoratifs de Nice, fut sollicité pour concevoir et mettre en place le décor resté dans les limbes, la commission départementale lui laissant le choix du sujet. Commandé au printemps 1949, l’important panneau décoratif – une fresque de 28 m² – était achevé à l’automne et donnait entière satisfaction au préfet d’alors, Antoine Poggioli. Ce décor représente les Gloires de l’Auvergne.

La composition de la fresque de Louis Dussour

La disposition des personnages autour d’un arbre évoque celle d’un arbre de Jessé ou d’un arbre généalogique : cette composition est fréquente au Moyen-âge et à la Renaissance dans le domaine de la peinture monumentale, mais complètement anachronique au XXe siècle dans les années 1940. Les racines de cet arbre, c’est la terre d’Auvergne, symbolisée par les armoiries de la province de l’Ancien régime qui, à cette époque là, englobait une partie du Sud de l’Allier, tout le Puy-de-Dôme, l’Ouest de la Haute-Loire (le Brivadois) et tout le Cantal. Le tronc, ce qui structure l’arbre et porte les branches, c'est la figure de Vercingétorix, à qui l’Auvergne est donc redevable de tout ce qu’elle a pu produire. Sur les branches, se tiennent 6 « grands hommes », tous nés dans le Puy-de-Dôme : Grégoire de Tours, Michel de l’Hospital, Blaise Pascal, Jacques Delille, Louis Desaix, Emmanuel Chabrier. Au fond, s’étendent les richesses naturelles et le patrimoine architectural du Puy-de-Dôme réduit au Moyen-âge roman et gothique, au thermalisme et à l’industrie. L’ensemble de la composition est parfaitement symétrique.

Vercingétorix s’éloigne de l’image canonique du « gaulois » qui aura cours encore longtemps : cheveux mi-longs, grosses moustaches tombantes, casque - avec crête et ailes- et épée ou poignard inspirés par l’âge du bronze (tel le Dumnacus de Guilleux, dernier « gaulois » acquis par l’Etat en 1951). Ici, les cheveux du chef arverne sont mi-longs, mais il est imberbe, caractéristique maintenant admise par les spécialistes. Il porte un vêtement sans véritable style et ses armes, une épée et un bouclier, sont de genre indéterminé. Vercingétorix a la même taille que les autres « grands hommes » dont la disposition ne respecte pas l’ordre chronologique de la naissance. Hasard ou choix délibéré de l’artiste, on note la proximité entre le chef gaulois et Michel de l’Hospital à qui l’on doit pour la 1ère fois l’association dans une même expression des mots « ancêtres » et « gaulois » dans une harangue prononcée devant le Parlement de Paris en 1560. Aucune œuvre (peinte, sculptée ou gravée) ne semble avoir servi de modèle pour les personnages représentés autour de Vercingétorix, qui adoptent tous les caractéristiques standardisées de leur époque, pour la coiffure et les vêtements. Seul le visage d’Emmanuel Chabrier, connu par la photographie, est réellement individualisé.

Une signification consensuelle mais non dénuée de contenu

On remarquera qu’en fait de « Gloires de l’Auvergne », il s’agit uniquement de l’Auvergne historique, celle de l’Ancien régime, réduite ici à la Basse-Auvergne puisque ne sont concernés que des « grands hommes » originaires du Puy-de-Dôme avec ses paysages et monuments typiques.

Mais ce qui peut apparaître réducteur ne l’est pas : le bâtiment à décorer, en ce début de la IVème République, c’est bien la préfecture du Puy-de-Dôme et il est logique de ne s’intéresser qu’à ce département et pas aux autres, le découpage administratif régional mis en place par l’Etat français en 1941 ayant été rendu caduque en 1946 (la région de Clermont-Ferrand regroupait les 4 départements auvergnats actuels).

Ce décor traduit une vision consensuelle de l’Auvergne réduite au Puy-de-Dôme, très ancrée dans l’histoire et le territoire, sans éléments polémiques, autour d’un personnage tutélaire (Vercingétorix) que pouvaient s’approprier aussi bien les ex-Pétainistes (courage et lucidité devant la défaite), les anciens de la Résistance et les Gaullistes (volonté de lutter jusqu’au bout pour l’indépendance nationale) et les Républicains. En 1949, la seconde guerre mondiale et le régime de Vichy étaient encore proches.

On ne connaît pas d’autres regroupements peints ou sculptés de « grands hommes » auvergnats. Place de la Fédération à Riom, dans les années 1830, le château d’eau/fontaine de l’architecte Degeorge aurait dû recevoir sur ses huit faces les statues de huit « grands hommes » natifs de la région : Michel de l’Hospital, Guillaume Chabrol, Antoine Arnauld, Blaise Pascal, Jean Domat, Jacques Delille, Antoine-Léonard Thomas, et Louis Desaix. Si tous ces personnages sont originaires de Basse-Auvergne (Puy-de-Dôme), Vercingétorix est absent. Amédée Thierry venait certes de publier son Histoire des Gaulois depuis les temps les plus reculés jusqu’à l’entière soumission de la Gaule à la domination romaine mais Vercingétorix n’était pas encore à la mode et n’avait pas eu le temps d’être récupéré par la politique.

 

Virginie Inguenaud
Conservateur du patrimoine

Pour en savoir plus

Archives nationales, F/21/6823 (commande à Louis Dussour en 1949 d’un panneau décoratif d’une surface de 28m² destiné à l’escalier d’honneur de la préfecture du Puy-de-Dôme, pour 180 000 francs).

Sève (Roger). « Histoire de la préfecture du Puy-de-Dôme », dans Revue d’Auvergne, publiée par la société des amis de l’Université de Clermont, 1952, t. 66, n°1-2, pp. 3-51 (décor pp. 45-46, ill. p.40).

Catalogue de l'exposition de décembre 1974 Louis Dussour organisée au Centre municipal loisirs et rencontres à Clermont-Ferrand.

Catalogue de l'exposition de 1997 Louis Dussour peintre fresquiste 1905-1986 organisée par le Conseil Général du Puy-de-Dôme à Clermont-Ferrand.

Dernière mise à jour le 2 mars 2021