utopies américaines

Devançant, et selon François Truffaut, annonçant la Nouvelle vague française, quelques films d’Outre-atlantique vont faire souffler sur le cinéma mondial un incroyable vent de liberté. Réalisés en dehors des circuits traditionnels des studios, avec une petite équipe réunissant des cinéastes, des techniciens débutants et des acteurs non professionnels, sans argent et sans scénario, dans une improvisation mêlant fiction et documentaire, -Le petit fugitif (1953), Shadows (1959) ou The savage eye (1960)- expérimentent et révèlent une nouvelle façon de faire du cinéma tout en plongeant au cœur de la société conservatrice et étouffante des fifties. Sous l’influence de Sur la route (1957), le manifeste « beat » de Jack Kerouac, Easy Rider donne le coup d'envoi du road movie moderne et s’affirme comme catalyseur d'une décennie prodigieuse de films que Serge Daney qualifiait de « à l’heure du monde ». Le Nouvel Hollywood est la marque d’une révolution du cinéma américain et de l’émancipation d’une génération, se ressourçant tant à la politique qu’à la musique pop, mêlant mobilisation contre la guerre du Vietnam et revendication de la communauté noire, liberté sexuelle et délires psychédéliques, rock et hallucinogènes. Le cinéma devient une arme de la contestation : Vétérans du massacre de My Lai de Joseph Strick dénonce les atrocités d’une Amérique guerrière qui transforme ses soldats en bourreaux et crée un électrochoc dans l’opinion mondial. Le cinéma underground se radicalise, se gauchise : Milestones, le film mythique, de Robert Kramer, tout juste ressorti après 30 ans d’absence pour les commémorations cannoises de 68, est une fresque qui cristallise les enjeux de ces décennies et marque l’échec et la fin d’une utopie qui transforma notre façon d’appréhender le monde.