This is Utopia, to Some

Kadist Paris 18

L’exposition This is Utopia, to Some[1] conçue en collaboration avec la commissaire Elise Atangana, rend visible des récits représentant une multiplicité de subjectivités et d’identités qui coexistent et interagissent. La distinction entre des pratiques reconnues par le musée et, « la culture comme expression de la vie quotidienne, qui, de fait, est dénigrée et rabaissée au rang de produit de la culture de masse »[2], autrement dit entre la culture dite savante et la culture populaire, est dépassée. Dès lors, la définition de l’art devrait inclure les gestes et les pratiques d’artistes qui créent leurs propres plateformes éditoriales et conçoivent des modèles autonomes de l’art contemporain, comme autant d’outils de visibilité. Ils interviennent à l’intersection du langage privé et de la sphère de la communication, et modifient leur rapport au public. De nouveaux rituels de réappropriation, de traduction, de partage d’expériences personnelles et collectives engendrent une circulation des images entretenant les liens entre passé, présent et futur. Les participants à cette exposition se réfèrent à des savoirs spécifiques, appliqués à différents domaines (graphisme, mode, musique et littérature), comme autant de formes de résistance qui forcent l’imaginaire politique.

Ces savoirs spécifiques sont hérités, et impliquent la notion de propriété. Ils ne sont pas publics, ils sont possédés. La question des sources et de la responsabilité envers ces savoirs et récits requiert une attention particulière dès lors que s’opère une traduction.
La série Les Allégories de Chloé Quenum apparaît comme une abstraction formelle. Cet ensemble provient de ses recherches menées en Afrique de l’Ouest (Bénin et Togo) sur les notions d’origine et de transmission à travers le support textile. Les systèmes et compositions graphiques des tissus wax répondent à des codes spécifiques qui forment une écriture que l’artiste a transposé en motif de plomb sur du verre cathédral. Traversées par la lumière et soumises aux vibrations du verre, ces représentations, déplacent la lecture de ces motifs de leur contexte d’origine.

Ces œuvres font écho à la manière dont Steffani Jemison envisage la notion d’expérience, à la fois dans ses dimensions esthétique, extatique et intellectuelle. Power listening (Power power power power) résulte d’une collaboration entre Steffani Jemison et Justin Hicks à Brooklyn avec des habitants de logements sociaux, pendant l’été 2017. Une séance d’écoute a permis la retranscription collective d’une pièce audio sur papier. De cette expérience, Steffani Jemison a conçu un dessin sur du velours intitulé Power listening (How would we ever get over / over), une manière d’explorer la corrélation entre dessin et écriture.

La dimension collaborative est au cœur de Cbt (coding : braiding : transmission). C’est à la fois une performance et une vidéo conçue par Isaac Kariuki avec Tamar Clarke-Brown, dans laquelle les gestes et l’action de tresser génèrent un code informatique. L’emploi de caméras GoPro et du logiciel de détection de mouvement, fait référence pour Isaac Kariuki aux formes contemporaines de maintien de l’ordre qui utilisent la technologie pour identifier les individus. « La surveillance n’a rien de nouveau pour les Noirs »[3]. La performance fait le lien entre la reconnaissance des corps noirs dans l’espace public occidental et la tradition du tressage des cheveux qui s’est répandue avec la diaspora africaine.

 

Enfin, la production des images est liée à la construction de l’identité, comme le montre la pratique de Martine Syms. En 2012, elle a conçu la plate-forme éditoriale Dominica Publishing dédiée à définir la notion de blackness comme un sujet, une référence, un marqueur et un public de la culture visuelle. L’installation vidéo SHE MAD: Laughing Gas fait référence à la sitcom comme forme, à l’omniprésence des écrans, des réseaux sociaux et des téléphones portables qui composent la toile de fond de notre quotidien. La vidéo s’inspire du court-métrage muet Laughing Gas (1907) d’Edwin Porter, dans lequel joue l’actrice afro-américaine Bertha Regustus première femme noire dans un rôle principale au cinéma. Syms y voit ” un exemple précoce de représentation de femmes noires affichant une forme de subjectivité”. Par ses références, Martine Syms ancre l’œuvre dans une dynamique historique qui pose notamment la question du devenir de l’afro-féminisme.

 

C’est une utopie, pour certains (This is Utopia, to Some) souligne la complexité des identités tout en montrant leur continuité. Dans cette perspective, la projection d’un futur hypothétique par les artistes s’appuie sur des pratiques vernaculaires, et explore dans le même geste des histoires spécifiques, leurs modes d’existence et leurs réappropriations, pour contrebalancer les représentations qui encadrent notre quotidien.

 

 

 

[1] Ce titre s’inspire d’une nouvelle récemment écrite par Martine Syms, Solitude publiée par Triple Canopy https://www.canopycanopycanopy.com/contents/solitude/#three-one

 

[2] Kobena Mercer, « Le black art et le fardeau de la représentation », (1990), in Art et mondialisation, édité par Sophie Orlando sous la direction de Catherine Grenier, ed. Centre Pompidou, Paris, 2013, p. 115.

 

[3] Simone Brown, Dark Matters: On the Surveillance of Blackness, DukeUniversity Press Books, 2015.  Source citée par l’artiste.

Commissaires d'exposition

Horaires

Du jeudi au dimanche de 14h à 19h Et sur rendez-vous

Adresse

Kadist 21 rue des Trois Frères 75018 Paris 18 France

Comment s'y rendre

19 bis, 21, rue des trois frères 75018 Paris T. 01 42 51 83 49 www.kadist.org Métro Abbesses ligne 12 et Anvers ligne 2

Dernière mise à jour le 13 octobre 2022