Une inconnue célèbre : Marianne, emblème de la République

Par Virginie Inguenaud
Jean-Antoine Injalbert, Buste de Marianne, La République, 1889

Jean-Antoine Injalbert, Buste de Marianne, La République, 1889 (Achat par commande à l'artiste en 1889, Inv. : FNAC 711)

Son buste, dont il n’existe pas de modèle officiel, est placé dans de nombreuses mairies et administrations et pourtant aucun texte réglementaire n’impose sa présence. Elle concurrence avec bienveillance le drapeau tricolore, emblème national privilégié par la constitution de 1958, mais incarne aussi bien que lui la République française.
Il s’agit de Marianne, figure allégorique moderne, dont de nombreux artistes se sont attachés à fixer les traits depuis la fin du XVIIIème siècle. Le sculpteur Jean-Antoine Injalbert (né à Béziers en 1845, décédé à Paris en 1933) a fourni un modèle dont les nombreuses reproductions témoignèrent du succès pendant plusieurs décennies.

Thème et variations

Une œuvre à la paternité avérée d’un côté, de nombreux exemplaires de l’autre, on pourrait croire à la reproduction quasi-industrielle d’un buste dont le modèle n’aurait pas été protégé. Mais c’est en fait l’Etat qui, en juillet 1889 (la date n’est pas innocente), a passé commande à Injalbert de trois bustes de la République de trois grandeurs différentes, pour qu’ils soient ensuite déclinés en plusieurs exemplaires et matériaux (en marbre, en biscuit de Sèvres, mais surtout en fonte ou en plâtre) par d’autres praticiens afin de connaître une large diffusion. Si la loi du 5 avril 1884 sur l'organisation des pouvoirs municipaux, promulguée sous le ministère de Jules Ferry, obligeait chaque commune à avoir un hôtel de ville (qu’elle en soit propriétaire ou locataire), l'achat d'un buste et son installation dans la salle du conseil restaient facultatifs. Les conseils municipaux pouvaient donc voter ou non son acquisition, tout comme ils restaient libres d’accepter ou de refuser les dépôts proposés par l’Etat de la version d’Injalbert, version dont la postérité s’étendit jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale.

Les raisons d'un succès ?

Faut-il trouver l’explication de ce succès sous la plume d’un critique de la fin du XIXème siècle ? Ainsi Gustave Larroumet parlait-il d’Injalbert et de son modèle de Marianne : « Chargé par l'État d'exécuter un buste de la République, il a renoncé à la matrone gréco-romaine, image officielle de notre pays, et bravement il a pris pour modèle une Française, qu'il a coiffée du bonnet phrygien en lui laissant sa finesse et sa grâce » (Petits portraits et notes d'art, Paris : Hachette, 1897-1900, t. II, p. 285). A cette finesse et cette grâce s’ajoute néanmoins un air ferme et décidé sur un visage au menton discrètement volontaire, à l’image d’une actrice s’apprêtant à déclamer sur scène une tirade attendue car Injalbert « aime le mouvement et la vie jusqu’à la violence, la parole éloquente jusqu’à la déclamation, le geste ample jusqu’à l’emphase ».

D'un symbole à l'autre : une allégorie moderne

Innovante par son mélange de joliesse et de fermeté, la « Marianne » d’Injalbert reprend pourtant, en l’adaptant, le type iconographique mis en place dès la fin du XVIIIème siècle : véritable militante, elle arbore le bonnet phrygien, symbole de liberté (en 1871, pour donner de la jeune troisième République une image plus sage, le président Adolphe Thiers avait interdit la représentation de ce couvre-chef en tant qu’ « emblème séditieux »). Son vêtement en forme de cuirasse est également riche de sens : il est orné en son centre, non plus d’une tête de Méduse (censée pétrifier ses ennemis par son seul regard) comme pour d’autres modèles, mais d’un mufle de lion, symbole de la force populaire (la République étant légitimée par le suffrage universel depuis 1848).
 

Virginie Inguenaud
Responsable des collections historiques (1791-1870)
Centre national des arts plastiques

Dernière mise à jour le 17 mai 2021