Un romantique austro-hongrois en France, Pierre-Rodolphe-Charles Herbsthoffer

par Stéphane Allavena
Pierre-Rodolphe-Charles Herbsthoffer, Daniel dans la fosse aux lions, 1850

Pierre-Rodolphe-Charles Herbsthoffer, Daniel dans la fosse aux lions, 1850 (FNAC PFH-7842). Huile sur toile. 512 x 300 cm. En dépôt à l’église Saint-Germain de Fontenay-sous-Bois.

Vue d'ensemble

Pierre-Rodolphe-Charles Herbsthoffer, Daniel dans la fosse aux lions, 1850 (Achat par commande à l'artiste en 1850, Inv. : FNAC PFH-7842). En dépôt à l’église Saint-Germain de Fontenay-sous-Bois. 

Vue depuis la nef.

Vue depuis la nef.

Détail du prophète

Détail du prophète

La résurrection de Lazare, par Pierre-Rodolphe-Charles Herbsthoffer

Pierre-Rodolphe-Charles Herbsthoffer, La résurrection de Lazare, 1854 (Achat par commande à l'artiste en 1852, Inv. : FNAC PFH-7530)

 

Détail du Christ

Détail du Christ

Une antichambre sous Louis XIII, par Pierre-Rodolphe-Charles Herbsthoffer

Pierre-Rodolphe-Charles Herbsthoffer, Une antichambre sous Louis XIII, vers 1862 (Achat par commande à l'artiste en 1862, Inv. : FNAC FH 862-147)

L’église Saint-Germain de Fontenay-sous-Bois dans le département du Val-de-Marne conserve une œuvre saisissante par l’originalité de sa composition et la beauté de son coloris. Son auteur, Pierre-Rodolphe-Charles Herbsthoffer, originaire d’Europe centrale, gagna la France vers 1845 où il accomplit l’ensemble de sa carrière, bénéficiant de nombreuses commandes de l’administration et de l’empereur Napoléon III.

De l'Empire des Habsbourg à la France des notables  

Né le 17 avril 1821 à Presburg en Hongrie (actuelle Bratislava) au cœur de l’ancien empire d’Autriche et mort à Paris le 1er juin 1876, Peter-Rudolph-Karl Herbsthoffer est un artiste de langue germanique formé à Vienne auprès du portraitiste Friedrich Van Amerling (1803-1887). Installé dans la capitale française à la fin de la Monarchie de Juillet, le jeune peintre est l’auteur d’une production abondante où prédominent les tableaux de genre, inspirés par les épisodes de la guerre de Trente Ans et les bambochades hollandaises ainsi que les grandes compositions religieuses extraites de l’Ancien et du Nouveau Testament.

Entre 1846 et 1868, le Salon des Artistes vivants accueille vingt-cinq de ses réalisations. Bien que ces dernières aient eu peu d’écho chez les critiques de l’époque, elles n’en rencontrent pas moins auprès de l’administration et de la Cour un certain succès, ce dont témoignent les nombreuses acquisitions faites par la direction des beaux-arts sous la Seconde République et le Second Empire : Saint Jean baptisant le Christ, acheté en 1851 et déposé en 1852 à la cathédrale d’Agen (FNAC PFH-742), La Transfiguration du Christ sur le mont Thabor, peinte en 1852 pour l’église Saint-Pierre Saint-Paul de Sérenne en Haute-Provence (FNAC PFH-3754), La Résurrection de Lazare, commandée le 16 décembre 1852 et attribuée à l’église Saint-Pierre de Montfort l’Amaury dans les Yvelines le 21 août 1854 (FNAC PFH-7530), Une antichambre sous Louis XIII, achetée le 14 août 1862 (FNAC FH 862-147).

À ces commandes qui attestent de la faveur dont bénéficia le peintre auprès des autorités, s’ajoutent les cinq tableaux acquis sur la liste civile1 de Napoléon III entre 1855 et 1864 : Soldat en embuscade, Guerre de Trente Ans et Duel au bord de la Seine (qui ornèrent  tous trois les cimaises du palais de Saint-Cloud jusqu’en 1870), L’épreuve à la balle et Une razzia de bohémiens acquis en 1863 et 1864.

Parcours d'une œuvre au contenu revisité

Daniel dans la fosse aux lions est le premier tableau exécuté pour l’État par Herbsthoffer. Commandée à l’artiste le 5 janvier 1850 pour la somme de 2000 francs, l’œuvre est achevée dès le 6 mars, d’après un courrier adressé par le peintre au ministère de l’Intérieur. Exposée au salon de 1850 sous le numéro 1499 aux côtés de trois autres productions (Lady Macbeth, Un regret au monde, Des soudards épisode de la guerre de Trente Ans), celle-ci est ensuite accordée, le 4 août 1851, à l'église parisienne Saint-Pierre du Gros Caillou dont elle orne alors l’un des murs de la chapelle du Sacré-Cœur. En 1879, suite à d’importants réaménagements entrepris dans le sanctuaire, le conseil de fabrique décide de sous-déposer la toile à l’église Saint-Germain de Fontenay-sous-Bois où elle est  suspendue au-dessus de la porte d’entrée puis englobée, quelques années plus tard, dans une tribune de style néogothique.

Le tableau, classé au titre des Monuments historiques depuis le 3 octobre 1988, représente un épisode du livre de Daniel. Déporté à Babylone dans la seconde moitié du VIe siècle avant J. C, ce dernier parvint, grâce aux nombreux songes qu’il sut interpréter, à devenir le ministre favori du roi Darius le Mède. Alors qu’il était au faîte de sa puissance, deux dignitaires, jaloux de sa réussite, décidèrent de provoquer sa perte. Connaissant son attachement à la religion de ses pères, ils firent signer un décret interdisant à quiconque d’adresser une prière à une autre personne que le roi pendant une durée de 30 jours. Daniel ayant continué à honorer son dieu trois fois par jour, ceux-ci le dénoncèrent auprès de Darius qui le condamna à être jeté dans la fosse aux lions. Lors de son supplice un ange ferma la gueule des fauves et sauva le jeune israélite de la mort.

Le prophète, revêtu d’une cape et d’une longue tunique blanche, la chevelure ceinte par un mince bandeau, occupe le centre de la composition. Il est entouré par trois lions au pelage mordoré dont les attitudes contorsionnées dessinent autour de sa personne un large cercle. Dans le haut du tableau une chaîne de montagnes, sommairement esquissée, barre l’horizon de la fosse d’où surgit discrètement au bas de la partie droite, l’ange du Seigneur.

Le sujet, particulièrement prisé par les artistes depuis le Moyen Age, illustre la générosité de Dieu envers ceux qui lui sont fidèles. Le peintre, fortement marqué dans cette œuvre par le style de l’école romantique, en fournit ici une interprétation originale où le prophète, figuré sous les traits d’un mage, apparaît comme délivré de la frayeur naturelle qui l’habite. L’attitude suppliante que le jeune protagoniste arbore dans les tableaux peints par Rubens (National Gallery, Washington), Murillo (musée Bonnat, Bayonne) ou encore François Verdier (musée des beaux-arts, Caen) a désormais laissé place à une silhouette monumentale, à l’expression grave et sévère, dont la foi en Dieu, symbolisée par la position de la main droite appuyée sur sa poitrine, demeure inébranlable.

Le thème, tombé dans un relatif oubli au XVIIIe siècle ainsi que dans la première moitié du XIXe siècle, ne manque pas de connaître une certaine résurgence après 1850. L’achat par l’Etat de trois toiles inspirées par le même épisode, exécutées respectivement par les orientalistes Joseph Zephyris Gengembre en 1854, Alexandre-Louis Leloir en 1864 et Edouard Debat-Ponsan en 1875, confirme l’intérêt que les artistes portent au sujet. Outre son caractère exotique, propre à séduire l’imaginaire de l’époque, celui-ci leur offre l’occasion de déployer leur talent dans le domaine de la peinture animalière alors en plein essor.

Herbsthoffer dans les collections du Cnap

Les différentes campagnes de récolement entreprises depuis 1996 ont permis de retrouver, hormis le Daniel dans la fosse aux lions, deux autres œuvres sur les cinq exécutées pour l’administration. Ces dernières témoignent de l’éclectisme du peintre et de la diversité de ses réalisations.

La Résurrection de Lazare, vaste reconstitution archéologique inspirée par une scène de l’Évangile selon saint Jean, est un bon exemple de l’influence qu’exerce alors la peinture classique française sur Herbsthoffer. Une antichambre sous Louis XIII, livrée au musée Tessé du Mans par un arrêté en date du 3 août 1864, évoque l’admiration que l’artiste a toujours portée à la peinture hollandaise ainsi que son goût prononcé pour les sujets de genre remis à la mode par Jean-Louis Ernest Meissonnier (1815-1891).

Stéphane Allavena
Conservateur du patrimoine

Bibliographie & Sources

ANGRAND, Pierre. « l’Etat mécène, période autoritaire du second Empire 1851-1860 », Gazette des beaux-arts, mai-juin 1968, pp. 303-348.

BENEZIT, Emmanuel-Charles. Dictionnaire des peintres, sculpteurs, dessinateurs et graveurs. Paris, Gründ, 1999, tome 6.

FOUCART, Bruno. Le renouveau de la peinture religieuse en France, 1800-1860. Paris, Arthéna, 1987.

GRANGER, Catherine. L’empereur et les arts la liste civile de Napoléon III. Paris, École des Chartes, 2005.

Inventaire général des œuvres d’art du département de la Seine. Paris, Imprimerie centrale des chemins de fer, 1880, tome 2.

SANCHEZ, Pierre ; SEYDOUX, Xavier. Les catalogues des salons. Dijon, L’échelle de Jacob, 2001, tome 5.

- Archives nationales. F/ 21/35. Dossier n° 26. Daniel dans la fosse aux lions.

- Archives nationales. F/21/ 4397. Dossier n° 17 (Série départements). Daniel dans la fosse aux lions.

- Archives de l’archevêché de Paris. Paroisse du Gros-Caillou (Paris 10ème arrondissement désormais 7e) 2D. Inventaire de la sacristie de l’église de Saint Pierre du Gros Caillou fait le 1er mai 1863.

 

1 Créée en 1790 sous le règne de Louis XVI,  la liste civile désigne une somme attribuée au souverain pour les dépenses de sa maison. Cette cassette personnelle peut être utilisée notamment pour l’achat d’œuvres d’art destinées à décorer les demeures royales.

Dernière mise à jour le 17 mai 2021