Tarek Lakhrissi The prelude the hours the kiss the end

Projet soutenu par le Cnap
Exposition
Arts plastiques
Galerie Allen Paris 03
Tarek Lakhrissi, THE PRELUDE THE HOURS THE KISS THE END,2023

Tarek Lakhrissi, THE PRELUDE THE HOURS THE KISS THE END,2023

"Je me demande - à l'instant - si une histoire de la sculpture centrée sur l'idée de "part manquante" reste à écrire. Je pense, d’abord, aux corps amputés du Louvre. Mais j'ai également commencé récemment, à devenir plus curieux des outils et des armes “manquants” dans la sculpture figurative : une Athéna sans sa lance à l'Ecole des Beaux-arts de Bordeaux par exemple, ou, plus spécifiquement, l’Héraclès archer (1909) sans flèche d'Antoine Bourdelle, que j'ai récemment rencontré au Musée Bourdelle. La pratique sculpturale de Tarek Lakhrissi est, elle, remplie de fragments de corps (langues, cornes, queues, griffes, dents et ailes) et d'armes (lances et flèches, entre autres).

Son arsenal, qui assume le décoratif pour mieux séduire, pourrait donc appartenir aux soubassements imaginaires d’un musée, le reflet négatif d'une dimension où toutes les armes ont été déposées – contraints et forcés –, faisant des expositions de Lakhrissi les entrepôts d'une révolution queer à venir, qui pourrait prendre la forme d’une danse nihiliste vers l'immortalité. Regarder les sculptures de Lakhrissi comme les témoins et vestiges de corps et sujets qui ont été systématiquement et historiquement rendus impuissants, c'est inscrire sa pratique dans un acte de réparation poétique, un geste qui trouve sa forme et son charme dans l'équilibre minutieux négocié entre abstraction et figuration, ornement et menace, inertie et mouvement.

J'ai pu voir Tarek installer son travail à plusieurs reprises maintenant. Une des premières fois était à DOC (Paris) en 2018, pour une exposition collective dont j’étais le commissaire et qui s'intitulait "Le Colt est Jeune et Haine" (un titre pensé comme une arme linguistique). Pour cette exposition, Tarek a produit sa toute première sculpture (cassée). Plusieurs éléments de sa grammaire étaient déjà présents : du textile (latex) comme peau (noire) ; de la poésie fuyant la page blanche ; ainsi que des fragments (d'un pot décoré). Coincé entre les œuvres de Ligia Lewis et d'Atiéna Kilfa et posé sur la poussière de bois d'Olu Ogunnaike, le texte se lisait comme suit : " I SEE YOU NOW AND I AM NOT AFRAID ANYMORE" (Je te vois maintenant et je n’ai plus peur”), qui transformait la sculpture en un objet capable de vous regarder au moment même où vous posiez les yeux dessus.

Je propose de saisir cette phrase-poème-formule, de l'utiliser comme un filtre pour regarder la pratique de Tarek dans son ensemble : ses sculptures, ses films, ses performances et sa poésie. Je trouve particulièrement fertile de regarder l'ensemble de l'œuvre de Tarek comme une œuvre qui ne se donne pas seulement à l'œil et à l'oreille, mais qui nous voit, parfois de manière plus conflictuelle que d'autres, pour nous aider à nous voir nous-mêmes. Cette hypothèse nous aide à percevoir les sculptures de Tarek comme des écrans et des miroirs, sur lesquels sont tissés des 

récits qui nous sont ensuite renvoyés : des sculptures conçues comme des films, ou plutôt fonctionnant de manière cinématographique dans leur rapport à la construction de la subjectivité. Inversement, les films de Tarek ont également des qualités sculpturales qui peuvent être localisées dans le scénario, la façon dont les images sont conçues ainsi que dans le montage.

Isaac Julien, dans un texte intitulé "Mirror" ouvrant le livre d'artiste publié en 2017 à l'occasion de son exposition chez Victoria Miro à Londres, revient sur le processus ayant conduit à la réalisation de son film précurseur de 49 minutes Looking for Langston (1989): "Si vous réalisez un long métrage de fiction, vous reprendrez les codes narratifs et tout ce que vous avez déjà vu dans le monde du cinéma dominant. Votre scénario sera essentiellement centré sur les personnages. Mais cette méthode de travail est totalement différente de l'approche que j'ai utilisée pour Looking for Langston. Là, tout a été développé à partir de fragments, des fragments de recherche provenant d’archives.”

Tarek et moi, de manière non synchronisée, avons pu voir la rétrospective d'Isaac Julien à la Tate Brittan (Londres) qui a eu lieu du 26 avril au 20 aout (2023). Avant d'entrer dans le couloir menant à la salle de projection de Looking for Langston, il y avait un mur rempli de photographies d'hommes en amour et, au fond, une vitrine contenant divers documents d'archives. Dans le coin supérieur gauche se trouvait un storyboard dessiné par l'artiste John Hewitt. C'est là que l'on pouvait se rapprocher de ce que signifiait réellement pour Isaac Julien la composition de film par fragments: alors que les storyboards sont généralement composés à partir d'une grille rigide, remplis, a posteriori, de dessins, ici le dessin d'une scène remplissait d'abord une page entière, et ce n'est qu'ensuite que les différents "cadres" étaient apposés sur celui-ci, parfois en se chevauchant.

Et si les bas-reliefs produits pour "THE PRELUDE THE HOURS THE KISS THE END" avaient été composés selon une méthodologie similaire ? D'une certaine manière, ils pourraient être perçus comme des storyboards - jetant un pont entre toutes les dimensions de la pratique de Tarek -. Si tel est le cas, ces œuvres résulteraient donc d'un mouvement de zoom arrière s'éloignant des œuvres sculpturales de Tarek. Des fragments de fragments."

– Cédric Fauq

Complément d'information

L'exposition a bénéficié d'un soutien du Cnap

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Adresse

Galerie Allen 6, passage Sainte-Avoye 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 30 août 2023