Tamara Kostianovsky

Tropical Abattoir
Exposition
Arts plastiques
Galerie RX Paris 03
Tamara Kostianovsky

Tamara Kostianovsky, Carnal Geography II (Africa), 2023

Tissus d'ameublement mis au rebut et autres textiles

117 x 107 x 46 cm

Pour sa deuxième exposition personnelle à la galerie RX Paris, Tamara Kostianovsky présente une dizaine d'œuvres créées exclusivement pour ce « Tropical Abattoir ». On y retrouve les thèmes qui lui sont chers : la violence, la colonisation, la sur-consommation et l'environnement. À côté de ses carcasses d'animaux qui ont participé de sa notoriété, elle présente pour une nouvelle série, trois œuvres murales qu'elle qualifie de « géographies charnelles ». Ses œuvres se lisent comme des oxymores puisque l'artiste conjugue beauté et cruauté, subtilité et brutalité, classicisme et baroque.

On circule entre d'imposantes carcasses d'animaux suspendues, on navigue à l'intérieur de cartes géographiques mêlant des morceaux de viandes, des oiseaux et une végétation exotique, on s'émerveille face à des fragments de paysages où chantent des oiseaux bariolés... Tamara Kostianovsky transforme la galerie RX en un « Tropical Abattoir » et nous embarque dans son univers fascinant, cru et saisissant. Que ce soit à travers ses œuvres ou le titre de l'exposition, elle crée une tension et nous tient en haleine tant elle manie l'oxymore avec délice. Elle avance, telle une funambule, le long d'une crête en un équilibre subtil entre beauté et horreur, raffinement et brutalité, renouveau et putréfaction, vie et mort. Rien n'est innocent chez elle et derrière ces motifs décoratifs envahissants à la Matisse, elle nourrit un propos tranché et sans ambiguïté. Elle nous parle de violence, de colonisation, de sur-consommation et d'environnement, toujours avec pertinence. « La série représente des carcasses qui se transforment en végétation, devenant des capsules qui hébergent des oiseaux et des plantes exotiques. Je pense ces œuvres en terme de métamorphose. L'idée est de modifier l'image de la carcasse, qui de lieu de carnage devient une matrice où la vie prend racine – à la manière d'un environnement utopique. » Pour cela, elle conçoit ses sculptures avec des vêtements (une des industries les plus polluantes), les siens ou d'autres provenances, mais aussi avec des tissus d'aménagement de tapissiers. Elle les assemble, les coud, superpose des couches, met les chairs à vif, fait chatoyer la couleur. On est séduit.

Violence intime

Ses œuvres prennent aux tripes, au sens propre comme au sens figuré, tant ses carcasses nous livrent les visions de l'intérieur de ces animaux de tissus écartelés. On y voit défiler l'histoire de l'art, du Bœuf écorché de Rembrandt à Artur Barrio, Adriana Varejao, Luis Jiménez en passant par Goya et le Baroque latino-américain. On y devine la violence de l'élevage bovin intensif en Argentine, mais aussi les sutures des opérations de chirurgie esthétique que son père qu'elle connaissait bien puisqu'elle a travaillé un temps dans son cabinet ou encore la symbolique du sacrifice du Christ, une iconographie omniprésente dans ses références bien qu'elle ait grandi dans une famille juive. Tamara Kostianovsky est familière d'une certaine cruauté bien malgré elle, à commencer par celle de la dictature militaire en Argentine (1976-1983), où tant d'opposants ont disparu dans le désert d'ATACAMA, et de façon plus intime, avec, en 2004, l'assassinat sauvage de sa grand-mère, une rescapée de l'holocauste. Cet épisode est d'autant plus abominable qu'il reste inexpliqué et impuni.

L'expérience migratoire

Ses cartes et ses panneaux décoratifs abordent la question des migrations, celles qui ont marqué l'histoire, mais aussi en pointillés, celle de sa famille (qui a quitté l'Europe dans les années 1950) et la sienne : née à Jérusalem en 1974, elle a grandi à Buenos Aires jusqu'en 2000 où elle s'est installée aux États-Unis. Elle fait un focus sur les principaux continents qui ont été colonisés (l'Afrique, l'Amérique du Nord et l'Amérique du Sud) et s'approprie des cartes qui ont toujours eu un enjeu politique : on dessine les contours du monde à la fois pour le connaître, le découper, le partager et en contrôler les populations et les richesses. Ses géographies deviennent charnelles.

Ses panneaux décoratifs traitent également de la colonisation par un autre point de vue. Elle a fait des recherches sur les papiers peints français du XVIIIe siècle qui déclinaient des visions idéalisées et fantasmées des colonies, qui ont donné naissance à l'Orientalisme. Elle interprète les motifs de végétations luxuriantes et les oiseaux aux plumes chatoyantes tout en nous rappelant la cruauté des conquistadors espagnols qui sont allé jusqu'à « mettre le feu à la volière de Moctezuma II (1502-1520), le dernier grand empereur aztèque » explique-t-elle.

Les œuvres de Tamara Kostianovky ont une dimension cathartique, transmuant les traumas en énergie créatrice.

Adresse

Galerie RX 16 rue des Quatre Fils 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 26 avril 2024