sur un pied d'égalité?

Exposition
Arts plastiques
Passerelle Brest

Les portraits, en particulier dans la photographie, sont considérés jusqu’à présent comme la quintessence de la représentation mimétique d’un sujet, l’imposition de son identité culturelle. Ces portraits, influencés par la peinture traditionnelle, sont liés à des codes spécifiques de la représentation humaine, de son statut social, etc. Ces codes que l’on retrouve dans la construction même de l’image (environnement spatial, tenue vestimentaire, etc.), permettent l’identification et le classement social des personnages représentés.

 

Mais le portrait photographique s’est très tôt substitué au portrait pictural dont il a longtemps mimé les poses et les artifices. Vers la fin des années 70, ces symboles et codages sont remis en cause dans la photographie, non dans les modes de représentation mais plutôt dans la relation qu’entretient le spectateur.

 

Traversant et dépassant les questions de l'identité et de l'altérité, qu'il soit tourné vers la spécificité du médium ou qu'il recoure aux détournements plastiques, le portrait photographique subit des mutations esthétiques liées à l'histoire sociale et culturelle et à l'histoire de l'art, comme aux révolutions technologiques. A tous ces titres, il est par excellence un art où se confrontent et s'interrogent les expériences humaines.

 

Patrick Faigenbaum

En 1984, alors qu'il séjourne à Venise, Patrick Faigenbaum se rend compte que les palais construits à la Renaissance par les meilleurs architectes du temps pour les grandes familles de la noblesse italienne, sont toujours occupés par leurs descendants. Il décide alors de consacrer une  série de photographies aux survivances du passé dans ces palais et s’engage dans une collaboration avec un certain nombre de familles illustres de Florence, Rome et Naples.

Ce travail porte à la fois sur le groupe, la généalogie et le rapport qu'entretient chaque membre d'une famille avec les autres membres et avec son lieu de vie. Issu quant à lui d’une famille juive russo-polonaise qui a vu son histoire se briser sous les coups mortels de l'histoire, Faigenbaum pénètre dans l'enceinte très fermée d'une noblesse dont l’histoire n'a souffert d'aucune rupture depuis cinq siècles.

Il met en en scène chaque famille dans son intérieur, jouant le rôle de « maître des cérémonies » : c’est lui qui assigne les places et définit les sources de lumière. Plus que l'impression qu'ils auraient désappris à sourire, qu’ils se confondraient avec la statuaire qui les environne, qu’ils en auraient intériorisé la froideur ou seraient oppressés par leur héritage culturel – on est allé jusqu'à parler à leur sujet de « natures mortes » –, ces portraits exhalent l'image d'un autre temps et d'un univers qui ne montre finalement pas grand-chose, ou plutôt qui montre combien est majeure sa part cachée. L'artiste remarque d'ailleurs que « la lumière a une importance particulière dans ces familles où beaucoup de choses sont cachées ». Ces photographies relèvent au fond autant du genre du « tableau d'apparat contemporain » que de celui de l'enregistrement documentaire distancié capable de déchirer le voile de la seule et unique apparence.

 

Florence Lazar

Florence Lazar prélève des paroles et des gestes. Elle observe les processus de construction identitaire, de transmission et de réception. La série de photographies présentées ici, tire son titre d'images éponymes de brochures militantes qui sont saisies, prises en main, comme pour soutenir que la parole et la pensée sont portées par le geste : « Luttes », « Jeune militant », « Contrôler aujourd’hui », « Critique socialiste », soit un journal, un bulletin d’information de parti politique entre les pages duquel sont glissés d’autres documents, un programme politique. Tenus et brandis devant nous, le format de chaque image est défini par l’échelle des mains qui tiennent ces documents, comme pour mieux se saisir d’une parole politique où le texte fait corps. Ses œuvres, entendues comme contre-informations, sont produites avec la conscience des effets autoritaires générés pas la contre-propagande des cinéastes militants qui travaillaient dans les années 70. Journaliste, elle l’est bien plus qu’étymologiquement : bien plus qu’une simple « analyste d’un jour », elle offre un accès à des blocs d’expériences. Expériences de vie, expériences de lutte.

 

Suzanne Lafont

Les séquences en noir et blanc de Suzanne Lafont développent des situations et des actions dramatiques dans un enchaînement rigoureux de gestes et d’attitudes. Elles recèlent d’un certain hiératisme, un peu comme le théâtre et les tragédies grecques. L’image photographique est, chez cette artiste, très éloignée de la description. Elle fait de la représentation un enjeu philosophique où les propositions esthétiques sont le fruit d’une dialectique perpétuelle. Après différentes séries expérimentales (architectures, vues du littoral, portraits d’enfants) Suzanne Lafont élabore à partir de 1988 une série de portraits « en atelier », où le cérémonial sert l’expérimentation et où la forme tableau devient le moyen d’une confrontation frontale à la question du portrait.  

 

Son œuvre intitulé Le Bruit est un ensemble de huit éléments accrochés bord à bord, horizontalement, en une frise de 120cm de haut sur 800cm de long. Chaque image montre un personnage en buste, cadré serré, un homme ou une femme dont la position des mains autant que la grimace indiquent qu’ils subissent l’agression violente d’un bruit. Sans qu’il s’agisse à proprement parler d’un inventaire, on se trouve là en présence d’une suite de réactions possibles et d’autoprotections face à l’agression sonore. Le bruit, qui n’est, par-nature, pas traduisible au moyen du médium photographique, est de l’ordre de la perception : ce que nous voyons, ce sont les marques visibles du bruit, des indices, les traces réactives qu’il produit sur des visages humains, ses traductions visuelles. Le Bruit puise son rythme et son esthétisme autant dans le cinéma russe que dans le modernisme allemand. Suzanne Lafont a toujours utilisé la photographie pour convoquer le réel, et non pour le décrire, le contempler ou l’analyser. Dans tous les cas, l’artiste parvient à élaborer un ensemble de signes, cela même qui constitue l’une de ses préoccupations centrales : la question du langage.

 

Jean-Luc Moulène

Depuis le milieu des années 80, Jean-Luc Moulène s’attache à déconstruire au travers de scènes quotidiennes ou d’images types (paysages, natures mortes, portraits…) les paramètres sociaux, économiques et esthético-historiques qui encadrent toute production d’images.

Jean-Luc Moulène s’attaque dans la  Situation 00 à l’un des modes photographiques les plus normés, à savoir le portrait de type photomaton, destiné entre autres fonctions à constituer nos papiers d’identité. Visages énigmatiques non identifiés, ne vantant aucun produit, ne s’associant à aucun événement, c’est en résistant à l’interprétation qu’ils construisent leur propre mode d’apparition et de maintien dans le champ des visibilités. En plongeant au coeur de mécanismes spécifiquement photographiques pour les renverser simultanément, les portraits de Jean-Luc Moulène instaurent une forme marginale de figuration, suivant ce que l’artiste nomme lui-même « traitement de travers ».

Les affiches présentées ici font partie d’une série de 7, issues des rushes du court-métrage intitulé le démon du passage, réalisée par Pierre Coulibœuf en 1995.[1]  Ces affiches, conçues antérieurement à la réalisation du film, sont les matrices : le passage du film à l’affiche est renversé. La pratique photographique de Jean-Luc Moulène résulte ici entre icône et image publicitaire. L’idée est de détourner les images produites par le cinéma pour leur conférer un nouveau statut, un autre quotidien : des fractions de réel qui nous laissent le soin de faire la part des choses au travers d’autres soustractions encore possibles.


 

 

 

 

 


[1]Ce court-métrage est une expérimentation, la confrontation de l’image fixe et de l’image en mouvement, de la photographie et du cinéma. Pierre Coulibœuf est parti d’un scénario écrit avec Jean-Luc Moulène, constitué de petites scènes muettes décrivant les imaginations du photographe. Les catégories des Beaux Arts (le portrait, le paysage, le nu, la nature morte) avec lesquelles l'artiste conçoit habituellement ses images, sont les vrais protagonistes du film. Une fois le film terminé, Jean-Luc Moulène a saisi dans son déroulement les images qui correspondaient à ses imaginations initiales et en a extrait sept photogrammes. Le travail d’écriture a été réalisé au Centre d’art du Domaine de Kerguéhennec, en Bretagne.

 

Tarifs :

3€ / gratuit pour les adhérents

Commissaires d'exposition

Horaires

le mardi de 14h à 20h et du mercredi au samedi de 14h à 18h30 fermé les dimanches, lundis et jours fériés

Adresse

Passerelle 41 rue Charles Berthelot 29200 Brest France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022