Stéphane Sautour

"Do you not hear the sea?"
Exposition
Arts plastiques
Galerie Loevenbruck Paris 06

Un après-midi du début de novembre, chez Stéphane Sautour.
Tout en me faisant visiter son « théâtre d’objets », Stéphane me dit : « Je veux montrer des états de matière. » Il me dit aussi : « Avec Alexandre, on a travaillé sur un capteur qui permet de visualiser sous forme d’ondes comment de l’argile crue ressent son environnement. » Il me dit encore : « Le capteur permet de donner un état du ressenti de la matière vis-à-vis de son milieu. » Alexandre Schubnel est géophysicien. Il travaille sur la micro-sismicité, sur les frictions rocheuses, sur l’élasticité de la matière. Alexandre et Stéphane se retrouvent sur une ligne de faille : celle que, physiquement autant que symboliquement, a ouverte la catastrophe japonaise de 2011. C’est cette ligne de faille qui constitue le point de départ de l’exploration dans les formes à laquelle se prête Stéphane. Des motifs apparaissent, figurines morcelées, têtes, bottes, torses, des mains – des avant-bras plutôt –, qui s’affichent pleins d’une matière qui « continue à faire des manières », ajoute-t-il.
« Le temps de la matière n’est pas le mien », explique Stéphane. Il ne le devient que sous certaines conditions (le tremblement de terre faisant précisément coïncider temps géologique et temps humain) qui débordent toujours, en tout cas, le moment de l’exposition d’art. Cette constatation oblige à une déprise : il va falloir apprendre à observer méticuleusement, à être patient, à potentiellement ne rien voir. Observer méticuleusement, être patient ne sont pas à prendre comme des contraintes mais comme des invitations à différer le moment du jugement ou même de l’analyse, et à se placer dans le temps des transformations lentes. C’est le milieu, ou l’environnement, qui est ici le support des métamorphoses et des déformations. L’un au contact de l’autre (l’argile au contact de l’air, au contact de l’argent) y risque une partie de son être. Frottements. Altérations. Décalages. La matière, parce que vibrante, selon l’expression de Jane Bennett (Vibrant Matter), appelle à saisir « le moment d’indépendance (de la subjectivité) que possèdent les choses, un moment qui doit exister parce que les choses affectent bel et bien les autres corps, augmentant ou diminuant leur pouvoir¹ ». On entre donc dans la danse.
On entre dans la danse parce que la matière ne fait pas ici l’objet d’un traitement, encore moins d’un traitement générique : elle est toujours tenue dans son occurrence singulière, elle est un événement, et en cela elle devient le lieu d’une attention que l’on doit trouver les moyens de soutenir, d’un soin particulier. Dans L’Appât des possibles, le philosophe Didier Debaise, commentant l’œuvre d’Alfred North Whitehead et prolongeant son geste, écrit : « Notre expérience contemporaine ne nous force-t-elle pas à […] nous intéresser à la multiplicité des centres d’expérience, des manières d’être, des relations multiples que les existants ont les uns avec les autres, et qui composent une nature devenue essentiellement plurielle² ? » Composer une nature faite de « vies personnelles », ainsi que l’exprimait William James…

Sophie HoudartCNRS - Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative

¹ « … the moment of independence (from subjectivity) possessed by things, a moment that must be there, since things do in fact affect other bodies, enhancing or weakening their power » (Jane Bennett, Vibrant Matter. A Political Ecology of Things, Durham et Londres, Duke University Press, 2010, p. 3).
² Didier Debaise, L’Appât des possibles. Reprise de Whitehead, Paris, Les Presses du réel, 2015,
p. 69-70.

Horaires

Mardi - Samedi, 11h - 19h, et sur rendez-vous

Adresse

Galerie Loevenbruck 6 rue Jacques Callot 75006 Paris 06 France
Dernière mise à jour le 3 mai 2023