Stéphane Thidet

Le tour du vide
Exposition
Arts plastiques
Le Carré - scène nationale Centre d'art contemporain d'intérêt national Château-Gontier

Stéphane Thidet,
"Le tour du vide"
exposition du 19 janvier au 14 avril 2019
Photo: Antoine Avignon

LE LIVRE DE SABLE

 

« Le nombre de pages de ce livre est exactement infini. Aucune n'est la première, aucune n'est la dernière. » Jorge Luis Borges, Le Livre de sable

 

"Stéphane Thidet n’en est pas à son coup d’essai : l’eau a coutume d’habiter son œuvre, et fut même au cœur de sa récente exposition à la Conciergerie de Paris, pour laquelle il détourna le cours de la Seine. Avant, il avait dessiné avec un arbre au Collège des Bernardins, sur la surface noire d’un bassin, des ondes en perpétuelle élaboration et en perpétuel effacement, des boucles aux étirements rythmiques infinis. Encore avant, dans une installation intitulée La Crue, il avait fait surgir d’un plancher une barque à l’échelle 1, dont on n’aurait su dire si elle émergeait de cette surface figée, ou bien sombrait définitivement dans cette eau muée en bois.

L’exposition qu’il imagine au centre d’art contemporain Le Carré installe au sol une nouvelle traduction de l’élément liquide : plus globalement, cette proposition in situ rejoue et déplace les différents principes et motifs familiers de l’œuvre, amplifiés encore par les spécificités architecturales de la Chapelle du Genêteil. 

 

LE TOUR DU VIDE

Expression paradoxale, ce titre d’exposition choisit la sémantique du déplacement, indicielle des recherches de Stéphane Thidet. En effet, les motifs de révolution, de recommencement et de répétition prévalent dans les installations mobiles de l’artiste, et soulignent leur ancrage dans une réalité à la fois stable et mouvante.  Mais ces notions s’accouplent ici à un espace déroutant : habituellement on fait le tour de la terre ou du pot,  moins fréquemment du néant. À la fin des années 50 pourtant, un artiste a déjà fendu son chemin dans cette anti-matière : Yves Klein, dont une grande partie des œuvres étaient liées à cette question du vide, a préféré la trajectoire unique et incisive du saut à la récidive circulaire. L’acte poétique reste proche : il enregistre un geste qui a lieu, il se concentre sur les traces d’un passage. « Plus l’on vit dans l’immatériel, plus l’on aime la matière. », déclarait Yves Klein. Et moins, ajouterait peut-être Stéphane Thidet, on a fini de faire le tour de l’un et de l’autre.

 

COULER DANS L’AIR

Pour le visiteur qui n’a jamais poussé la grande porte du centre d’art, la Chapelle du Genêteil se présente ainsi : espace monolythe hyper minéral, restauration peu inspirée au tournant des années 80 avec sol de tomettes et crépi crème, hauteur sous plafond vertigineuse et charpente spectaculaire évoquant une coque de bateau renversée. Ce dernier détail a joué un rôle dans l’imaginaire de l’artiste : en miroir, ce dernier suspend à ce réseau de poutres un bateau lévitant, mât en bas et coque en haut. 

Cette image témoigne du processus de déplacement symptomatique de l’œuvre de Stéphane Thidet : l’artiste crée très peu de nouvelles formes, mais préfère proposer des situations à base d’objets connus, pour lesquels  il envisage de nouveaux potentiels. Comment habiter le monde si on ne peut pas lui inventer des usages inédits, qui revitalisent sa dimension poétique ? L’art pourrait alors se définir simplement, dans l’acte de se servir autrement des choses.

 

MOTEUR 

Ce bateau basculé mesure cinq mètres de longueur, il est suspendu légèrement de travers, de sorte que ni ses proportions ni sa disposition ne saturent ou n’écrasent l’espace de la chapelle. C’est un Fireball, dériveur de compétition très répandu dans le monde : alors que ce bateau induit la fulgurance et la vitesse, Stéphane Thidet opte pour la dérive, et soumet l’embarcation à un étrange régime alangui. De fait, le Fireball est motorisé à son point d’accroche, et tourne lentement sur lui-même : la dimension spectaculaire de ce bateau aérien se conjugue alors au pouvoir hypnotique du mouvement circulaire,  sa chute arrêtée se translate en onde.

 

DESSINER SUR UNE SURFACE MEUBLE

Au sol, un fragment de désert de sable recouvre une grande partie de la salle : non praticable par le visiteur, cette topographie impose la mise à distance, une forme d’éloignement qui permet de penser le paysage sans s’y fondre. Être autour, être ailleurs, plutôt que dedans. Comme la mer modelée par les forces élémentaires, ce rectangle sablonneux est soufflé, travaillé au vent pour sculpter des ondulations à sa surface : le bateau renversé y plante la pointe de son mât, qui en tournant, vient tracer un cercle dans la surface meuble. Piégé, empêché, le Fireball devient un crayon, un outil pour dessiner des voyages immobiles dans le sable mouvant, des cycles qui permettent le retour sur soi. Dans le rond, la souplesse côtoie la claustration, l’idée de l’infini rejoint l’enfermement : ce sillon qui s’efface presque aussi vite qu’il se matérialise raconte également ce qu’incarne le dessin, ce geste qui se construit et se détruit en même temps, qui existe et se consume dans un même mouvement.

 

PLUSIEURS VOYAGES

Sur cette installation, l’imaginaire peut projeter à plein : nous avons tous une relation culturelle précoce avec l'objet "bateau", entre les comptines d’enfance et les jeux de plage, les bateaux en bouteille des arts et traditions populaires et les ex voto des églises bretonnes. S’il est promesse de voyage et de liberté, l’objet est conjointement lié à la mort : la nécessité d'un passage en bateau pour rejoindre le royaume des trépassés serait une constante quasi universelle dans l'Antiquité. Plus proche de nous, le motif du vaisseau fantôme ou Hollandais volant a inspiré de multiples visions de flottaisons blêmes, sidérant le regard , dont les prolongements se devinent dans l’Atlantis, le vaisseau entouré de limbes du corsaire de l’espace Albator. 

 

LA MAGIE EST AILLEURS 

Il se trouve qu’on prête beaucoup d’intentions spirituelles et contemplatives aux œuvres de Stéphane Thidet : cela ne lui pose pas de problème particulier, sans pour autant qu’il se sente proche de ces lectures sublimantes. Structurellement, ses installations n’ont rien du mirage et n’oblitèrent jamais leur matérialité : le moteur, les câbles, l’effort nécessaire pour porter ce bateau ne sont pas cachés. Ce n’est pas le doigt de Dieu ou la magie du Diable qui maintiennent ce Fireball dans sa position.

La magie est ailleurs : cette installation a plutôt des allures de machine célibataire revisitée, mécanisme poétique qui semble moins proche du (trop virtuose) corps-machine de Giotto5 que du Cyclograveur de Tinguely ou des machines à dessiner d’Olafur Eliasson. Prenant rarement son plaisir avec les outils spécifiquement pensés pour le dessin, Stéphane Thidet privilégie un dessin en train de se faire, un objet non-fini qui outrepasse la bi-dimension : un tracé qui a besoin des corps, de l’espace, du réel et de ses accidents. C’est peut-être cette efficacité matérielle, sa puissance pondérable et tellurique, qui protège son œuvre des dérives lyriques et des considérations onirico-dépressives.

 

FIN (ET RETOUR DU VIDE)

Yves Klein avait coutume de dire que ses œuvres ne présentaient qu'un sillage6. Cette métaphore pourrait bien s’appliquer à la situation que nous expose Stéphane Thidet : un assemblage de matériaux et de mouvements qui capte l’énergie circulant entre les choses et la répercute ; mais aussi un vide, la dématérialisation nécessaire à la saisie du monde et le matériau originel de sa création, un vide latent, un vide de tous les possibles — un sillage, sans commencement, ni fin."  

 

Éva Prouteau

 

 

Né en 1974 à Paris, Stéphane Thidet vit et travaille à Paris.

 

Rendez-vous à la Chapelle

• Rencontre avec Stéphane Thidet : samedi 19 janvier à 16 h

• Rencontre avec le commissaire d’exposition, Bertrand Godot, directeur de la programmation art contemporain : mercredi 23 janvier et dimanche 14 avril de 14h à 19h

• Atelier du regard avec Claire Zebrowski : samedi 26 janvier à 10h

 

Ouverture exceptionnelle de l'exposition le jeudi 4 avril à l'issue du spectacle Maison Mère de la compagnie NON NOVA

Artistes

Mécénat

Cette exposition bénéficie du soutien de l'Hotel du Cerf, Château-Gontier

Horaires

du mercredi au dimanche de 14h à 19h

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

Le Carré - scène nationale Centre d'art contemporain d'intérêt national 4bis rue Horeau 53203 Château-Gontier France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022