Spleen le maudit

Exposition
Arts plastiques
Galerie Dohyang Lee Paris 03
Spleen le maudit

Paris.

Sur le pavé millénaire saturé de caméras, les quidams augmentés bipent désormais partout. Non seulement au turbin, mais aussi au café, dans le train et à l’hôpital. La fadeur comme décor, et voilà qu’un marginal triste, malhabile, asocial et solitaire l’arpente en quête de paradis perdus.

La légende dit qu’il serait un descendant direct de Quasimodo. Un être au physique ingrat, au tempérament atrabilaire, avec une chevelure infecte et une rate qui lui prendrait tant de volume dans le ventre, que son estomac paraîtrait toujours gonflé. Seulement, cet être dégradé par le sort et que la destinée semble avoir maudit, a fini par avoir une petite heure de gloire grâce à une passion que l’on pourrait tout à fait qualifier d’insolite, et qui chez lui prenait une véritable allure de tocs. Il écrivait partout, tout le temps, où ça lui chantait. Certains l’appelaient destructeur, lui se considérait Graphomane, c’est-à-dire écrivain compulsif et sans talent. Arpentant le pavé millénaire de Paris, le cœur serré sur une mélancolie qu’il ne lâchait pas, les griffes tendues autour d’une plume qu’il appelait sa petite prothèse et qu’il chérissait et cajolait avec la plus candide des dévotions, Spleen errabondait en quête de paysages impossibles et de contrées oubliées. La larme à l’œil, le poing fermé, nostalgique du charme que Paris avait perdu, il maudissait chaque jour les Rastignac et Gaudissard de son siècle, ces êtres effroyables qui avaient causé la perte de sa muse. Ô Muse indigne ! Qui sans remords s’était vendue au plus offrant, c’est-à-dire au plus grotesque, tous ces jeunes des open-spaces et autres avocado toasts broyant l’âme de Paris avec leurs rêves de pacotilles, qui caractérisent si bien la ferveur inquiétante de tous nos jeunes cadres dynamiques. Diable ! Trop obsédé par ses lubies et ses ruminations contre un monde fait de lumens et non plus de photons, Spleen le Maudit, cet éternel raté et obsessionnel des échecs (qu’il collectionnait comme des triomphes, en constituant un herbier de défaites qui faisait toute sa fierté !), n’avait pas pris garde de ce que son paysage avait changé. Sa ville s’était transformée. La surveillance s’était généralisée en peu de temps, et avec elle, le venin de la dénonciation s’était distillé despotiquement.

Effectivement, en une année, le décor avait changé. Que dis-je ? Le monde ! Ce qui relevait des pires dystopies, s’est révélé dans toute sa crudité comme bel et bien en train d’advenir. Prosaïquement. En une année nous avons vu des caméras intelligentes déployées pour détecter les non porteurs de masque, des drones survoler des plages à la recherche du moindre des promeneurs, des codes établis grâce au meilleures techniques de cryptographie et délivrés sous condition médicamenteuse pour avoir le droit de se déplacer, de se soigner, ou encore simplement de boire un cappuccino. Comme toujours, hélas ! Seuls les éternels coquins et leur cécité légendaire n’y voient toujours rien. Mais pour nous autres, diable ! Que le ciel s’est assombri ! Le maillage technologique s’est étendu comme les ailes du plus abominable des titans et cette effroyable chimère a un nom, Surveillance. Elle s’est déployée, de manière tentaculaire pour faire triompher son empire sur nos existences. Seulement, les titans ne roulent jamais seuls, et celui-ci est attablé avec sa sœur tout aussi monstrueuse, nymphe sordide à la laideur de légende, l’atroce vilaine ! Qui porte le doux sobriquet de Dénonciation.

Les inquisiteurs pullulent et se divisent les parts de vigilance : on dénonce son voisin, on dénonce son tagueur, on dénonce son non injecté. Et alors que ces différentes guildes brandissaient leur étendard sur la ville, Spleen le dos déjà lourd à force de trimballer sa bosse, s’est vue chargé du poids d’une traque pour ses écritures illicites. Les chasseurs d’inscriptions aux basques, la chasse au corpus clandestin ouverte, les caméras dégainées comme des arcs et des flèches, les délateurs se sont mis en tête d’abattre l’animal, d’éradiquer le monstre, d’en finir en exterminant la vermine !

Seulement, Spleen le Maudit n’avait rien vu, rien su de tout cela, trop obsédé à déclamer sa flamme, en tatouant chaque jour le corps millénaire de sa muse de pierre, qui elle, restait toujours de marbre, fidèle au mutisme de toutes les ingrates ! Et tandis qu’il vagabondait, des groupes se sont mis à le traquer, le pourchasser, à tenter de le dénoncer pour le jeter sur la place publique, tout comme son ancêtre Quasimodo qui avait fini au bûcher, son parrain Villon sur le gibet, son exemple Balzac foutu en geôle ! Et ses amour secrets Marius Jacob et Dostoïevski exilés au bagne. Une horde s’est mise à traquer ses écrits, à les collectionner, à les détruire. Fahrenheit ? La vie des autres ? Non pas tout  fait mais presque !

Spleen, écrivain maudit et bossu, court dans les rues de Paris, peut-être l’avez vous croisé, l’air hagard avec sa petite bosse, le coeur ardent, la paume généreuse, ami des rats et nutritionniste des pigeons, traînant la patte à cause de son boulet porté la tête haute comme une couronne, mais sans plume ni encre désormais ! L’air ahuri et fou, il court toujours, hurlant à qui veut l’entendre la fin de partie pour lui et ses confrères, et avec, toute la haine de ce nouveau monde !

Depuis il est parti sur la route de son ancêtre, dans un cirque obscur et désuet d’une ancienne ville industrielle. Il nous a envoyé un pavé, un grimoire, un coffre sous scellé comme témoignage de son travail et du nouveau monde qui est advenu. À nous de le retranscrire.

Complément d'information

Radouan Zeghidour

Horaires

Mardi à Samedi

14 h - 19 h et sur rendez vous

Adresse

Galerie Dohyang Lee 73-75 rue Quincampoix 75003 Paris 03 France

Comment s'y rendre

M4 Etienne Marcel

M11 Rambuteau

Dernière mise à jour le 13 octobre 2022