Séminaire Nuit Bleue

Une traversée de la collection vidéo du Cnap
Projection/Diffusion audio
INHA Paris 02
Douglas Gordon, I Had Nowhere to go, 2016

Douglas Gordon, I Had Nowhere to go, 2016 (FNAC 2018-0244)

« Nuit Bleue » élaboré à l’invitation de l’INHA, par les étudiants du master 2 « Praxis de la programmation » (université Sorbonne-Nouvelle) sous la direction de Nicole Brenez et Pascale Cassagnau (Cnap), propose une traversée de la collection vidéo du Cnap.
Le séminaire s’attache à élaborer quelques repères historiques et pratiques quant aux conceptions, initiatives et gestes en matière de programmation cinématographique de films, les étudiant-e-s sont convié-e-s à explorer la collection de films réunie par le Cnap, à y choisir ce qui en paraît le plus éloquent pour le temps présent, et à expliciter leurs choix, assemblages et ajointements.

La séance inaugurale du séminaire aura lieu le 26 novembre 2018 à 19h dans l’auditorium de l’INHA. Le film I Had nowhere to go de Douglas Gordon sera projeté, en présence de Nicole Brenez, Pascale Cassagnau et Eric de Chassey.

« Nuit Bleue » se décline en dix séances mensuelles, rendez-vous le 22 janvier, le 5 février, le 19 mars, le 9 avril, le 21 mai, le 3 juin (autres dates à venir).

Douglas Gordon, I Had nowhere to go, 2016, 100’
Texte de Pascale Cassagnau
« Depuis 1950, je n’ai cessé de tenir mon journal filmé. Je me promenais avec ma Bolex en réagissant à la réalité immédiate : situations, amis, New York, saisons. Certains jours, je tournais dix plans, d’autres jours dix secondes, d’autres dix minutes, ou bien je ne tournais rien. (..) La bande-son utilise les sons enregistrés à la même époque : voix, métro, bruits de rues, un peu de Chopin et d’autres sons, significatifs ou non. » Jonas Mekas décrit ainsi en 1969, à propos de son film Walden (Diaries, Notes & Sketches) ce qui constitue la nature même de son œuvre : l’expression d’une subjectivité, à travers la constitution d’une archive du temps présent. L’élaboration de l’auto-archive de tout le monde, menée depuis l’arrivée lointaine à New York, après l’errance dans l’Europe de la Seconde Guerre mondiale, repose sur une méthode qui dote les journaux filmés d’un fil conducteur. L’approche sur le motif, les paysages filmés, ou les portraits opèrent par détails grossissants ou plans d’ensemble, par sauts temporels qui défont la chronologie. En outre, la manière spécifique de filmer et de monter dans le même geste, donne aux films leur tempo singulier.
Les News of the days  - sortes de brèves notes prises au jour le jour, pour un cinéma direct, les Movie Journal , le Ciné-Journal qui est une forme élaborée, consacrent Jonas Mekas davantage en filmeur qu’en cinéaste. En effet, Mekas double d’une manière systématique les instants vécus de leur enregistrement : « c’est ma nature d’enregistrer tout se qui se passe près de moi ». Dans le même temps, les mini-tableaux filmés dressent un inventaire continu des sujets récurrents – l’enfance, l’exil, les saisons, la nature, les amis – et sont une mesure du souvenir. Gun of the trees (1961), Walden (1969 ), Lost, Lost, Lost (1975), inventent le principe d’un cinéma en forme d’essai, tout à la fois documentaire, poème, et récit intime. Dans cette perspective, le cinéma de Jonas Mekas s’inscrit dans le droit fil du cinéma indépendant américain des années de contre-culture et de contre-information, aux côtés de Andy Warhol, notamment, mais aussi du cinéma expérimental, avec Stan Brakhage, Paul Sharits, Peter Kubelka. Il partage avec ceux-ci le goût du cinéma comme outil de vie et mode de pensée. Jonas Mekas n'a cessé d'explorer, au fil des années, les données temporelles de son écriture, en adoptant la caméra vidéo, comme nouvel outil pour réinventer le cinéma et son montage. Son œuvre est ainsi une traversée de supports diversifiés (Super8, 16mm, vidéo, numérique), une recherche continuée, et son cinéma un mouvement qui le porte vers le présent.
Cet engagement pour le cinéma indépendant et ses innovations formelles s’est très tôt manifesté chez Jonas Mekas par ses activités de critique dans « Film Culture », de programmateur, de distributeur avec la « Film-Makers’ Cooperative » et » l’Anthology film Archives », première cinémathèque pour le cinéma d’avant-garde indépendant.
Je n’avais nulle part où aller est le journal de Jonas Mekas traduit en français et édité chez P.O.L. en 2004, portant sur les dix premières années de la vie nomade de Mekas  à travers l’Europe, pour fuir l’emprisonnement et les camps de travail.
À partir de 2007, Jonas Mekas a déplacé son champ d’expression sur internet, à partir de son site, qui présente de nombreux extraits de ses films récents ou plus anciens. Avec le projet Jonas Mekas x 365 , celui-ci se propose d’éditer un film inédit par jour, de 3 à 7 minutes. Se fondant sur l’augmentation et la prolifération, cette œuvre-calendrier constitue un  journal perpétuel et public, poursuivant par d’autres moyens les enjeux  esthétiques et historiques posés par les premiers films.

La création sonore À Pétrarque, Mon journal intime sonore, (2003, 63’) est une sorte de journal intime rétrospectif par lequel le cinéaste revisite son propre travail, qu’il a conçu comme une traversée au long cours composée de 54 fragments autobiographiques, et qu’il décrit ainsi : « Cette pièce sonore consiste en 54 extraits sonores de mon journal sonore de ces 40 dernières années : sons de New York, sons de nature, sons de différents voyages, des fragments où je chante avec mes amis, une large variété de sons de 2 minutes à 30 secondes. On pourra regarder, ou plutôt écouter, comme un journal sonore, cousin de mon journal filmé, la structure du projet étant similaire à celle que j’ai toujours suivi pour tenir mon journal filmé.»
Avec le film I had nowhere to go, libre adaptation du récit autobiographique de Jonas Mekas, Douglas Gordon met en exergue le temps et la méthode propre au cinéaste et réalise un portrait cinématographique.
Cet exercice du portrait est proche du premier opus consacré à une figure inclassable du XXIe siècle, Zidane, Un portrait du XXIème siècle réalisé avec Philippe Parreno en 2004. Leur choix s’est porté sur le footballeur célèbre en raison même de son charisme et de son aura. Gordon et Parreno expliquent ainsi : « Il y a quelque chose d’indéchiffrable chez Zidane, un mystère qui nous a fascinés. On voit son visage, mais impossible de savoir ce qu’il pense. Il y a chez lui quelque chose d’intrigant que n’ont pas les autres. Il fait un peu penser à un héros de Sergio Leone, du genre l’Homme sans nom. D’ailleurs, au début, on a fait des essais avec la musique d’Ennio Morricone. On avait quelques références au départ, qui me faisaient penser à Zidane : Ennio Morricone, Albert Camus, qui a joué au foot et fut gardien de but d’une équipe algérienne, ou encore Pasolini, qui était aussi joueur de football et pour son côté outsider », comme ils le précisent dans les Inrockuptibles en mai 2006. Avec ce film, les deux artistes-plasticiens renouvellent un principe collaboratif entrepris depuis de nombreuses années, que Douglas Gordon réitère avec Jonas Mekas à son tour.

I had nowhere to go est un film sans images, dont le récit est porté par la voix du cinéaste. Cet exercice patient prend la forme d’un quasi essai proustien de synesthésie qui cherche à faire correspondre des couleurs à des souvenirs et à des émotions. Le film évoque de bout en bout l’impensé et l’irreprésentable de la migration, de l’exil, de la barbarie nazie, à travers le récit d’une longue fuite-traversée de l’Europe vers les États- Unis.
Pour Douglas Gordon, la genèse du film réside notamment dans le souvenir d’une œuvre ancienne réalisée en 1996 à Vienne, Raise the dead (Réveillez les morts), sous la forme d’une inscription en lettres blanches sur la façade de la Kunsthalle. Cette première évocation en 1996 de la culture des vampires et des traumas liés aux  barbaries du XXe siècle  fait écho à nouveau dans le film réalisé avec Jonas Mekas à la levée du souvenir et à la réminiscence de l’errance.

La collection vidéo du Cnap

La collection vidéo du Cnap se compose d’un ensemble représentatif des courants esthétiques qui traversent la création contemporaine. Forte de près de 800 œuvres comportant des installations vidéo, des vidéos projections, des mono-bandes, la collection vidéo constitue un fonds riche et diversifié au sein duquel des œuvres de très jeunes artistes (Laetitia Bénat, Serge Comte, Cyprien Gaillard, Muriel Toulemonde) dialoguent avec des installations d’artistes plus confirmés (Claude Closky, Rodney Graham, Gary Hill, Thierry Kuntzel, Antoni Muntadas, Dennis Oppenheim, Bill Viola).

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Dernière mise à jour le 13 octobre 2022