Roselyne Titaud, Ils ne s’expriment que par leurs poses

Étonnante séduction : le travail de Roselyne Titaud incite à méditer sur
l’art de la photographie. Ce désir de méditation esthétique est favorisé
par des images où la question de la réflexion est prégnante. La photographie
constitue déjà une réplique en soi : dans celles de Roselyne
Titaud l’image a tendance à se démultiplier. Comme l’indiquent ces
reflets sur la table, l’image possède une capacité de mise en abîme
– autrement dit, les photographies de Roselyne Titaud sont le lieu où
l’image parle des images et nous renseigne sur ce qu’est une image.
Elles constituent, en un mot, un geste critique. Ce n’est donc pas en
spectateurs que nous sommes conviés, mais en lecteurs d’images.
Et si nous sommes invités à lire la photographie, c’est que celle-ci
nous éduque : elle fournit les clés qui permettent de traverser le miroir
du réel – ce miroir que l’on croit être l’image photographique – pour
nous installer dans l’oeil de la caméra. Si la variété des objets photographiés
retient l’attention, nous pouvons cependant percevoir que
l’extérieur est photographié comme un intérieur. L’artiste dispose la
caméra dans la forêt comme elle le fait dans un salon et, ce faisant, elle
nous apprend qu’un paysage photographié est aussi artificiel que des
assiettes empilées.
Mais cet art de la mise en scène n’est pas seulement auto-référentiel.
Il y a bien quelque chose porté par cette virtuosité ludique de l’image.
Si nous nous retournons vers l’éléphant, nous sentons la présence
d’un indice : l’image porte une ambition poétique. Aussi, dans ce petit
théâtre des images apparaît notre objet poétique, caché car trop
évident, notre éléphant au milieu de la scène : la mélancolie. Ce serait
une mélancolie de la pause, de la suspension solitaire. Il est ainsi
significatif que la série Sahne-Pudding Konstruktivismus fut produite
pendant la longue quarantaine récente ou que cet éléphant lui-même
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semble en quarantaine : « Est-ce que la mort vous oublie ? », dirait le
poète. L’image se lit sous le signe des vanités : par la grâce d’un regard
parfois enfantin et d’une forme minimaliste, cette discrète proximité
avec la mort nous devient familière.
Cette poésie procède aussi d’un travail du lieu commun – que l’on
appelle aussi « cliché » : aussi cette poésie critique concerne-t-elle
l’art de la photographie. De même que les vanités – dans sa tradition
picturale – prennent un sens concret à travers ces puddings, il s’agit
de traiter des images figées afin de leur restituer leur littéralité. Le
cliché de la nature offerte au regard humain fait place à la vérité de la
technique qui sait que la beauté se loge dans l’artifice d’un cadre, d’une
luminosité, d’une composition. Cet éléphant semble la mémoire historique
de l’émergence de la photographie, alors majoritairement un
art forain, où le cliché se doit d’être spectaculaire. Il y a, enfin, le cliché
de la capture de l’image photographique prise à la lettre : la capture
suppose, comme en atteste la série Rückkehr von der Jagd1, l’existence
d’une proie. Les images de Roselyne Titaud mobilisent ainsi un
véritable langage photographique, où coexistent le jeu, la construction,
la métaphore et – par conséquent – la poésie.
Frédéric Montfort
Auteur et secrétaire-adjoint de l’association