Raphaël Boccanfuso

Exposition
Arts plastiques
Interface Dijon
C’est au travers d’une attitude que l’oeuvre plurielle de Raphaël Boccanfuso trouve sa problématique d’ensemble, une attitude amusée et provocante qui met au défi toutes sortes de schémas référentiels. Son travail n’est pas d’ordre biologique, sa méthode relève pourtant d’un mode de processus viral. S’insinuant dans les failles de codes exigus, elle se plait à forcer les limites toujours trop marquées de systèmes de pensées étriqués. Si sa production peut être dérangeante, il faudrait l’assimiler à une rageante démangeaison plutôt qu’à une fatale pathologie. Car l’artiste n’a d’autre prétention ou revendication que celle d’affirmer sa liberté de création.

Complément d'information

Le plaisir dans l'interdit

C’est au travers d’une attitude que l’oeuvre plurielle de Raphaël Boccanfuso trouve sa problématique d’ensemble, une attitude amusée et provocante qui met au défi toutes sortes de schémas référentiels. Son travail n’est pas d’ordre biologique, sa méthode relève pourtant
d’un mode de processus viral. S’insinuant dans les failles de codes exigus, elle se plait à forcer les limites toujours trop marquées de systèmes
de pensées étriqués. Si sa production peut être dérangeante, il faudrait l’assimiler à une rageante démangeaison plutôt qu’à une fatale pathologie. Car l’artiste n’a d’autre prétention ou
revendication que celle d’affirmer sa liberté de création. Un slogan anarchiste clame qu’il faut mordre la main qui vous nourrit, pour sa part Raphaël Boccanfuso sait aussi remercier à outrance, il dit ainsi son indépendance avec une
joyeuse dérision.
Savoir présenter ses remerciements de face, de trois quarts et de profil (1996) marque le début d’une oeuvre prenant l’automobile (ce symbole de propriété et d’appartenance économique) comme support. Grâce à l’obtention d’une
bourse d’aide individuelle à la création, l’artiste achète une BX GTI dont il affuble les flancs et le pare-brise d’un aimable « R.B. va de l’avant avec le soutien de la D.R.A.C. Ile de France (Ministère de la Culture) ». Il en fait un tirage photographique empruntant les différents angles d’une esthétique publicitaire. De simple sujet, l’« oeuvre-voiture », dévoilant ses moyens de
production, s’impose comme le retour image qu’implique nécessairement le sponsoring.
Doublant son seul propos, cette pièce inscrit R.B. dans une certaine tradition du ready-made ; elle n’a d’autre vérité de réalisation que l’acquisition de la voiture elle-même, et le sponsor n’en fait ni une automobile sportive, ni un véhicule d’exploit, mais au-delà, elle devient une oeuvre d’art. Ici pourtant la signature de l’Etat a remplacé celle de l’artiste (la D.R.A.C. plutôt que R. Mutt), manière de souligner avec ironie que
l’oeuvre est partie prenante d’une économie tutélaire qui l’englobe tout en la dépassant.
La voiture a cette particularité d’être un objet métonymique, un bien s’assimilant à ce qu’elle contient, ce qui lui confère une valeur de réceptacle identitaire. C’est autour de ce constat que l’artiste se penche avant d’intégrer inévitablement le véhicule à sa production. Et c’est en adoptant les codes visuels de la communication sportive qu’il s’amuse à court-circuiter un système économico-culturel emmêlé dans ses propres paradoxes. La BX
devient alors le médium nécessaire à de
nombreuses oeuvres sinon contestataires, du moins provocantes, telle l’impertinente « action » Aux couleurs du Frac Languedoc-Roussillon
(1998). Pour cette pièce, c’est une photographie de radar autoroutier qui surprend R.B. vêtu à la manière d’un coureur de rallye (combinaison,
gants, cagoule et casque) à 161 km/h, alors que la carrosserie de son véhicule est à l’effigie du Frac Languedoc-Roussillon/Ministère de la Culture. Cette action tend à souligner non sans
humour le rapport ambigu que l’art entretient avec les différentes institutions qui lui permettent d’exister (tant bien que mal). Autant que l’excès de vitesse lui-même, le caractère transgressif de l’oeuvre réside dans la participation active du Frac qui, devenu délinquant par procuration, se résout néanmoins
à s’acquitter de l’amende. Mais R.B. n’est pas dupe, mettant en branle les institutions, il pose un regard lucide sur son propre statut. Sa démarche outrancière accentue sa posture, elle
questionne la condition de l’artiste à la fois en révolte et intégré et se faisant il s’engage au côté du Frac pour éprouver les limites du partenariat .
On l’aura compris, l’art de R.B. teste les marges et sa voiture au garage, il continue à s’immiscer dans le grand mécanisme culturel. Partant du fait que la reconnaissance est une assise du
fonctionnement de ce que d’aucuns appellent « le monde de l’art », R.B. endosse alors son costume de V.R.P. avant de se lancer dans une entreprise d’auto-promotion calquée sur les
pires plans de carrière. Mais ses méthodes loin du protocole restent évidemment singulières : parasitage à tous les niveaux.
D’abord à la F.I.A.C. en 1998, quand absent de la programmation, il décide de « s’inviter » au travers d’une hôtesse d’accueil chargée de le représenter en distribuant un millier de tracts clamant son existence . Ensuite quand « oublié»
des galeries il stationne devant celles-ci les jours de vernissage, sa voiture affichant ses « priorités » (« Etre n°1 », « Etre bien vu », « Savoir se vendre »...) ou ses « dérapages » («
Faire un mauvais accrochage », « Etre dépassé »...) . L’artiste s’infiltre, il s’incruste. Savoir disposer ses couleurs procède de la même audace mais c’est l’histoire de l’art qui devient un champ d’investigation à retourner. Parce
qu’une de ses priorités est de « Savoir se placer », R.B. décide d’imposer son nom dans les ouvrages de références. Empruntant des livres d’histoire de l’art à diverses bibliothèques, il sectionne certaines pages afin d’en recomposer
les illustrations (des reproductions de tableaux abstraits), puis réinsère minutieusement la page modifiée dans l’ouvrage après l’avoir estampillé
de son tampon. Des toiles de Mondrian,
Malevitch, Van Doesburg deviennent des
tableaux statistiques (histogramme ou
camembert) qui révèlent leurs proportions chromatiques en un clin d’oeil explicite aux concepts formels qu’elles induisent. Ces recompositions statistiques existent sous forme
de pages de livres, consultables en prêt ou sur place au hasard d’une lecture .
Car si la reconnaissance est un système de validation artistique, R.B. choisit ironiquement de se faire ingérer par l’histoire. A regarder de plus près on s’aperçoit que la finalité d’une grande
partie de son travail réside dans la
ré-appropriation dont celui-ci fait l’objet. Ce sont des éléments extérieurs à sa seule création plastique qui homologuent l’oeuvre en tant que telle. Cette dé-territorialisation est une manière de décaler le rôle de l’artiste en même temps que celui de sa production. Ses Mariannes en sont un exemple de plus. Le geste initial consiste à faire du buste de la galeriste Patricia Dorfmann celui d’une Marianne, symbole de la patrie. Après plusieurs étapes de modélisation,
la sculpture est moulée, mais l’oeuvre n’atteint pourtant sa réelle intention qu’en entrant dans le champ fonctionnel. Ainsi c’est l’acquisition par une mairie qui signe l’aboutissement espéré par l’artiste . Et c’est en un grand « oui » de
jubilation qu’elle trône derrière le maire posant le regard astucieux de l’artiste sur les mariages et cérémonies, officielles.
Dans le cadre de sa résidence au SAN de Sénart, R.B. choisit une nouvelle fois de faire évoluer son travail sur un territoire étranger au seul champ artistique. L’image est au centre des
interrogations, pourtant son caractère esthétique est contourné aux dépens d’une approche légale de sa condition.
Les affiches qu’il nous présente avec le Centre Photographique de Pontault Combault sont Sans titre.
Comme un non-dit, elles affirment par leur mutisme. Série voilée, elles racontent en détournant. On le sait R.B. maîtrise l’art de l’esquive et quand il photographie des monuments tels que la B.N.F., la Grande Arche de la Défense, ou la Place des Terreaux de Lyon... alors qu’en vigueur du droit à l’image
toute reproduction est proscrite, il déjoue la loi en les pixelisant. Garant de l’anonymat, les mosaïques sont censées effacer les détails et les reliefs pour noyer dans le flou. Mais quand
l’artiste les utilise, elles isolent davantage qu’elles n’écrasent. Découpées selon les contours exacts du bâtiment, elles suivent les lignes caractéristiques de l’architecture, plaçant
alors dans un environnement tout à fait net et reconnaissable des formes plus que suggestives.
La technique devient désuète mais elle suffit à rendre la photographie légale. L’oeuvre ne franchit pas l’interdit, elle le contourne par la ruse et se propage dans la ville sous forme d’imposantes affiches. La restriction appelle
immanquablement la transgression et dans une société de l’image et du contrôle, R.B. initie des chemins de traverses pour exposer sa liberté avec une ingéniosité sarcastique.
L’image architecturale est également au centre de la proposition réalisée à La Ferme du Coulevrain. Pour Illustration non contractuelle à caractère d’ambiance, c’est cette fois une
agence spécialisée dans la représentation de projets architecturaux ou immobiliers qui effectue le cliché . Il s’agit d’envisager le lieu d’exposition comme une structure en devenir en
présentant un panneau « prévisionnel » (4 m par 3 m) du résultat d’éventuels futurs travaux.
Sans toucher à l’architecture, l’illustration propose de rhabiller l’environnement en modifiant l’usage des différents espaces. Des utilisateurs potentiels sont mis en scène et
l’atmosphère générale est transformée
notamment grâce à l’implantation de végétaux.
Pour appuyer le possible changement d’activité du lieu, l’artiste choisit de placer devant le bâtiment un préfabriqué laissant croire à un bureau de vente immobilière. Au final, c’est l’ambiance qui détermine un lieu conditionnel,
alors que la fonction de la structure devient indéfinie, laissant chacun à son interprétation. La rénovation factice développe une esthétique publicitaire jouant de ses codes pour mettre en
valeur l’espace. La modélisation 3D avec rendu photographique accentue le pouvoir de séduction. L’image s’oppose à la réalité, elle acquiert une aptitude narrative qui surpasse sa seule condition illustrative et s’écrit presque entièrement dans une existence qui lui est propre. Mais R.B. ne raconte rien, il interroge le
rapport au réel par le prisme de l’image. Le lieu d’art est ainsi mis en question, il s’immisce dans la sphère commerciale, dictant symboliquement une possible redéfinition de son propos premier.
Car il faut comprendre que R.B. évolue dans une zone sensible, ses images ont la valeur de ses « actions », elles s’inscrivent dans un processus de pensée qui désacralise l’art pour
malmener les dogmes qui lui sont attachés. Et si son oeuvre se plait à naviguer aux frontières de disciplines variées, c’est pour la mettre clairement en phase avec une société complexe
basée sur la communication pour la
consommation.
A la fois désenchanté et partie prenante du système, Raphaël Boccanfuso adopte une attitude baroque qui s’expose sur tous les fronts.
De la représentation au contrôle, de la
reconnaissance à l’économie, tous les maux d’une époque se dessinent en filigrane dans un travail définitivement axé sur l’infiltration. Et comme l’écrit l’artiste au revers de sa main pour
une vidéo dans laquelle il traverse à rebours une manifestation, l’intention est claire, il faut « Prendre la parole » pour « Bousculer les idées ».

Guillaume Mansart

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Horaires

Les mercredi, vendredi et samedi de 15h à 19h, et sur rendez-vous

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

Interface 12 rue Chancelier de l'Hospital 21000 Dijon France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020