Promenade édifiante et curieuse au Pavillon des Images

Exposition
Photographie
CPIF Pontault-Combault
Photographes chinois dans les collections du Fonds national d'art contemporain. photo : yang zhenzhong happy family

Complément d'information

Communiqué de synthèse

Promenade édifiante et curieuse au Pavillon des Images

La Chine si diverse, si contradictoire, si secrète et fascinante à jamais .... L'évoquer relève de la gageure, du pari fou engagé par les aveugles de la fable bouddhique qui, souhaitant décrire un éléphant, "en palpèrent qui la trompe, qui la patte, qui la queue, et déduisirent respectivement que l'éléphant devait être une sorte de serpent, de colonne ou de balai" (1).

Comprendre la Chine un peu demeure possible, l'appréhender dans l'ensemble de ses codes sociaux, dans l'immensité de son territoire, dans ses récentes mutations politiques et économiques se révèle une chimère. Ainsi en est-il pour les sinologues les plus avertis ; de Simon Leys qui observe que le concept d'harmonie s'inscrit au coeur de la civilisation chinoise, et pour lequel "la Chine est une vision du monde, une façon de concevoir les rapports de l'homme avec l'univers, une recette pour l'entretien de l'ordre cosmique" (2) à Paul Claudel qui l'a fréquentée de longues années dans ses fonctions de diplomate alors que l'empire agonisait. Diplomate certes, mais aussi poète et dramaturge qui avoue en avoir goûté "l'agrément voluptueux".

"Tout me plaisait en elle ... son désordre, son incurie, sa saleté, son anarchie, sa sagesse imbécile, cette civilisation bon enfant tout entière basée sur la tradition et la pratique, ce goût de l'art partout aussi naturel et spontané qu'une industrie animale, sa dégoûtante et profonde et savoureuse cuisine, sa religion, source pour moi continuelle d'une indulgence coupable, sa magique et magnifique écriture, et surtout cette intensité de la qualité humaine propre, de ce que j'appellerai l'HUMANITÂ ..." (3).

Visions contrastées d'un monde complexe, sans aucun doute. Comment dès lors nos esprits d'Occidentaux cartésiens peuvent-ils analyser la situation artistique dans ce pays qui a connu au cours du siècle précédent des mutations historiques, politiques, sociales et économiques sans égal ? Toute tentative en ce sens, je le confesse, ne peut que s'appuyer sur un sentiment de prudence et d'humilité.

Pour être schématique sans toutefois être dogmatique, il est possible d'examiner les voies qui conduisent à ce jour à la création d'images photographiques, celles des photographes mais aussi celles conçues par des artistes.

Si la Chine voit apparaître très tôt le procédé, notamment lorsque Jules Itier, expert en questions douanières prépare, participe et photographie au daguerréotype la signature du traité qui, le 24 octobre 1844, va lier pour dix mille ans la France à l'Empire du Milieu, elle manifeste déjà un engouement certain pour la photographie. Les mandarins la pratiquent volontiers en amateurs, les studios de portraitistes fleurissent dans tout l'Empire et les revues illustrées développent peu à peu un réel savoir-faire.

Ces traditions subsistent, bien vivantes aujourd'hui et les photographies les plus remarquables sont le plus souvent l'oeuvre de portraitistes expérimentés ou de photographes chargés, au sein de leur unité de production, de réaliser des reportages ou de mettre en valeur les produits de leur entreprise selon l'un des préceptes de Picasso qui précise "qu'il ne s'agit pas d'imiter la nature, mais de travailler comme elle" ; ainsi l'objet de la photographie ne consiste pas à décrire les apparences de la réalité, mais d'en extraire la vérité.

Et sans doute y a t-il urgence lorsque la nation, la culture et les traditions ancestrales semblent menacées par la très - sans doute la trop - rapide évolution de leur pays.

L'oeuvre la plus inspirée par cette attitude concerne la Grande Muraille, telle que nous la révèle Shi Guorui ; quittant son studio de portraitiste dans le Shanxi, il transforme en sténopé la pièce supérieure d'une tour de guet et fixe au terme de cinq heures d'exposition l'image négative de la Muraille, à la fois empreinte éternelle du sol natal, témoignage éblouissant des prouesses de ses compatriotes et tentative désespérée de retenir le temps.

Wang Dongfeng manifeste un sentiment identique de fierté et de nostalgie lorsqu'il s'intéresse aux petites scènes rurales d'opéra. Dans un cadrage le plus souvent serré et frontal, il s'identifie au spectateur qui contemple la grâce de l'architecture - mais aussi son état d'abandon -, les sources lumineuses qui décrivent la mise en scène et la nature qui isole du monde extérieur.

Les chinois ont d'ailleurs toujours voué un culte très particulier aux acteurs d'opéras classiques, opéras dont ils connaissaient parfaitement les codes et le thème. Il n'est donc pas surprenant que Jiang Jian qui venait de réaliser un corpus très codifié sur les intérieurs chinois traditionnels se soit intéressé à une série de petites boîtes relatant les 28 scènes d'un opéra célèbre. Il traite bien entendu avec ce corpus la question de l'échelle d'une oeuvre mais souligne en outre le lien qui unit en Chine la poésie, la peinture et le spectacle vivant.

Dans une forme plus narrative Jin Yong Quan s'est préoccupé de rendre compte des traditions de certaines minorités locales qui tendent à disparaître en même temps que les populations migrent vers les villes ; ainsi les Nuo ont-ils l'habitude de célébrer la fête de la fin des moissons en revêtant costumes et masques qui protègent leur famille et leurs biens des mauvais esprits, et cet acte magique, Jin le sait, traverse toute l'histoire de l'art.

Le témoignage le plus singulier émane sans doute de Wang Ningde qui, avec son reportage sur les petits théâtres itinérants dans les campagnes, souligne la remarquable vulgarisation culturelle apportée autrefois par l'Opéra. En effet ces troupes, animées par des paysans qui avaient conservé la mémoire orale de certaines scènes d'opéra, associent à celui-ci la pratique du cirque, celle de la danse et du théâtre.

On retrouve ce même amour des traditions chez les jeunes artistes, presque tous formés au sein des écoles d'art et notamment à l'école des Beaux Arts de Pékin, où ils ont souvent approché toutes les disciplines et pratiquent donc indifféremment la peinture, la photographie ou la video. Férus de toutes les technologies nouvelles, surfeurs assidus sur l'internet, ils n'ignorent rien des pratiques et des créations occidentales auxquelles ils associent volontiers leur propre culture et leur propre histoire de l'art.

Le résultat est un foisonnement d'oeuvres disparates, surprenantes, qui convoquent tout à la fois leur tradition picturale, une analyse lucide et acide de la société chinoise contemporaine et parfois un humour latent.

Hong Lei, sans doute le plus poétique d'entre eux, reprend à son compte les grandes oeuvres picturales chinoises ; il inscrit dans des tondo - formes classiques et représentation symbolique du monde - les images de la vie, fleur offerte et fleur nourricière dans l'espace traditionnellement vide du ciel ou bien il cite un texte classique, Caval wine and bird, dans lequel l'oiseau précieux, confident du lettré, accompagne ce dernier dans ses libations jusqu'au repos éternel.

Pour Yang Zhen Zhong, enfant de la Chine, fidèle aux traditions qui font de la famille le socle de la société et un rempart contre les invasions culturelles étrangères, le mariage du coq et de la poule - cette dernière protégée selon la coutume par le voile rouge de la mariée - est le premier acte qui conduit à la naissance du fils ; ce fils qui seul peut assumer la transmission de la lignée et prendre soin des mânes des ancêtres, tandis que la Happy Family scelle la fécondité et la protection divine.

Les artistes de cette génération usent souvent de métaphores et, comme dans les fables d'Esope et de La Fontaine, l'animal s'exprime de manière symbolique et parodique au nom de son créateur. Ainsi le panda, compagnon et confident de Zhao Bandi, dont il est tout à la fois le fils par la taille mais le père en raison de sa sagesse, commente avec lui les maux ou les joies de la société chinoise contemporaine. Le panda s'avère un sage qui sait apprécier la douceur des bras féminins et redouter les conséquences mortelles de la nicotine, un philosophe non dénué d'humour qui guide son maître au travers des complexités de la vie.

Avec ses photographies de grandes dimensions, réalisées le plus souvent à l'échelle un, Yang Fudong réinterprète à sa manière l'association fréquente en Chine de la poésie et de la peinture, mais dans une parodie ironique où le texte relève plutôt du slogan publicitaire.
Seul au milieu de l'immensité des avenues habituellement embouteillées, l'artiste, qui porte tous les signes distinctifs du cadre supérieur travaillant dans une mégapole en plein essor économique, retrouve ses réflexes d'étudiant contestataire.

La maîtrise de l'histoire de l'art et la fréquentation des oeuvres classiques ont conduit nombre de jeunes artistes telles Mu Chen ou Chen Ling Yang à composer des livres à regarder ; issu de la tradition des rouleaux, l'ouvrage Twelve flower months se déplie et se déploie en un voyage imaginaire qui plonge au coeur de la féminité. "La composition progresse et se déroule dans le temps comme un poème ou comme une pièce de musique, ménageant des alternances de mouvements lents ou rapides, une ouverture, un noeud, une conclusion" (4) explique Simon Leys pour décrire ce type d'ouvrage.

Quant à Mu Chen et Shao Yinong qui travaillent le plus souvent leurs partitions à quatre mains, ils ont composé The Family Register selon le même principe.

Toutefois cette oeuvre repose sur la lecture assidue des textes classiques qui évoquent des notions aussi sacrées que la cohésion de la famille dans son acception la plus large, les règles qui régissent les relations entre chacun de ses membres et l'amour du sol natal ; cette terre, cette province, le mandarin ne la quittera que pour regagner son poste ou parce qu'il est banni.

Après la dislocation de tous ces principes au moment de la révolution culturelle qui va en outre disperser chacun des membres du clan, Mu Chen a tenté de recomposer en une unité de temps et de lieu sa généalogie.

Vêtu de l'uniforme que l'on attache à la période Mao, chacun de ses modèles pose debout, de face, le sourire plus ou moins figé ; le bonzaï - symbole de la longévité et du jardin du lettré - les sépare les uns des autres. Elle calligraphie alors le nom et le degré de parenté des personnages en une longue frise qui se déroule. L' arrière-plan demeure vide, figure-t-il la terre ou le ciel ? La présence des enfants est rare comme si la postérité n'était pas assurée et le propos trouve sa force dans la radicalité du traitement plastique de l'oeuvre.

Ces variations sur des thèmes connus donneront, souhaitons-le, l'envie d'approcher d'autres oeuvres et d'autres artistes comme il sera possible de le faire à l’occasion de l’exposition «Alors la Chine ? » au Musée National d’Art Moderne du 25 juin au 13 octobre 2003.

Agnès de Gouvion Saint-Cyr

Autres artistes présentés

Wang Jun, Chen Lingyang, Yang Fudong, Jin Yong Quan, Zhao Bandi, Mu Chen & Shao Yinong, Lei Hong, Wang Ningde, Wang Dongfeng, Jian Jiang, Shi Guorui, Yang Zhnzhong

Horaires

du mercredi au dimanche 13 h - 18 h 30

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

CPIF 107 avenue de la République Cour de la ferme briarde 77340 Pontault-Combault France
Dernière mise à jour le 2 mars 2020