Pour vous séduire

Tout commence par l’élaboration d’un langage privilégié avec lequel il sera possible de communiquer ses intentions, sa disponibilité et espérer attirer l’être convoité. Tout se poursuit par la définition d’une stratégie. Faut-il soigner son apparence, user d’artifices pour camoufler ses défauts et révéler ses qualités ou au contraire oser la franchise et le naturel ? Faut-il prouver sa valeur et surpasser ses concurrents ou bien miser sur la flatterie, l’humour et l’autodérision ?

Cette exposition collective débute par la présentation de deux pièces issues de l'art océanien : un bandeau frontal de la tribu Melpa (région des Hautes-Terres, Papouasie Nouvelle-Guinée) composé d’élytres de cétoines (scarabées) et tiges d’orchidée et un collier de mariage constitué de perles en coquillage, de canines de chien et d'un fourreau de psychidae (papillon), collecté à Irian Jaya (Nouvelle-Guinée occidentale). L'un et l'autre hissent au statut de bijou des fragments d'animaux ou d'insectes, sélectionnés pour leur rareté ou qualités esthétiques. Si le bandeau est porté lors de rituels, le collier est utilisé comme une monnaie d'échange lors de mariage pour compenser la perte de la future épouse au sein de sa famille.

C’est à la fin de l’hiver, en Camargue, qu’Anne-Charlotte Finel surprend la parade nuptiale des flamants roses. L’artiste filme l’étonnant ballet mécanique des oiseaux qui défilent en tournant frénétiquement leur tête. Guidée par la musique entrainante de Voiski, l’opération de séduction bascule vers une transe stroboscopique et des analogies se créent entre le comportement des flamants roses et celui de "teuffeurs" sur la piste.

À proximité, un important collier de perles en porcelaine poreuse diffuse dans l'espace d'exposition un parfum capable de vous mener par le bout du nez. Restez sur vos gardes car le piège confectionné par Julie C. Fortier pourrait bien se resserrer sur vous. Monté en boucle, ce collier emprunte sa forme au collet, technique utilisée pour le "trappage" du coyote. Le parfum, quant à lui, est un leurre fabriqué à partir d'une molécule que les prédateurs repèrent chez leur proie lorsqu'elle sont blessées.

Paul Kindersley se met en scène à travers une série de vidéos dans lesquelles il partage ses astuces et conseils maquillage. N’espérez pourtant pas devenir un pro du contouring ou du smoky eyes car c’est à la truelle et au pinceau de chantier que l’artiste propose d’appliquer l’anticerne et le blush. Avec une maladresse désopilante et une dérision fine il produit une satyre douce-amère de la représentation de soi associée à la volonté de plaire. Si l’entreprise de séduction semble échouer, il n’en reste pas moins le plaisir du déguisement, de se glisser chaque jour dans la peau de quelqu’un d’autre.

Les œuvres d’Emmanuelle Villard encouragent la rencontre visuelle mais aussi tactile. Pourtant, comme pour beaucoup d’œuvres, seul le regard peut s'y attarder. L’interdiction de les toucher semble au contraire en attiser le désir. Et les gonflements de chair qui jaillissent sous une résille déchirée jouent avec cette invitation contrariée jusque dans leur titre provoquant : « Touche-moi ».

Sur une feuille encadrée, d’une écriture manuscrite, Benny Nemer raconte la dernière lettre d’amour qu’il a adressé à son amant, suite à leur rupture. Cette lettre d’amour, vous ne la lirez pas, à moins de recueillir l’une de vos larmes sur un carré de papier pour l’envoyer à l’artiste. En retour, vous recevrez la lettre réécrite dans laquelle votre nom remplacera celui de l’amant. Ce protocole poétique vous engage alors dans l’intimité d’une relation épistolaire en contrepied d’une drague digitale ponctuée de « likes » et de « matchs ».