Polyregard in the dark
Anita Gauran in "Polyregard in the dark" - Passerelle Centre d'art contemporain, Brest © photo Aurélien Mole, 2016
Anita Gauran visite des musées et des sites archéologiques munie d’un appareil argentique. De retour dans l’atelier, pas de photoshopage ni d’impression numérique donc, mais un travail patient dans la chambre noire dont elle ressort des épreuves qu’elle a révélées de ses propres mains. Si on rencontre des bustes antiques et des bas-relief médiévaux, l’œuvre d’Anita Gauran n’est pas anachronique mais au contraire, militante. En effet, son attitude est singulière au sein d’une génération qui poursuit intensément la pratique de l’appropriation d’images maintenant que toutes sont disponibles sur le web : ce catalogue infini de colonnes grecques qui jalonnent étrangement l’esthétique dite « post-internet ».
Et son approche n’a rien de nostalgique ou de romantique, pour preuve les traitements qu’elle fait subir à ses images sources, quand les grotesques sont affublés de masques de mardi gras, les Apollons de chaînettes de teenagers ou qu’apparaissent dans d’autres rayogrammes bouteilles en plastiques, teddy bears... Il serait erroné de voir cependant, dans ce caviardage par insolation sur des vestiges une énième manifestation d’une critique institutionnelle (l’anachronisme n’a rien à voir non plus avec la redondance). Mais l’artiste a hérité de cette énigme solidement enchâssée dans le phénomène d’apparition des images des avant-gardes qui pratiquaient le montage ou des manipulations critiques des appropriationnistes dans les années 1970.
Aussi le rayogramme, la prise d’empreinte ou le transfert fonctionnent-ils symboliquement comme autant de techniques d’auscultation dans ce qui pourrait être un processus de révélation matérialiste. Plus encore, il semble que l’artiste se munisse de tous les outils et formules chimiques de la photographie analogique dans ce qui a trait à une dialectique de la duplication autant qu’à la magie blanche. A ce titre il n’est pas anodin de reconduire les expériences de radiations pour lesquelles Breton voyait en Man Ray la figure de l’artiste médiumnique. Dans les rayogrammes d’Anita Gauran, le fantôme de l’objet laissé par contact direct sur l’image instaure dans tout le reste de l’œuvre, tel une manipulation vaudou sans retour, une mécanique (des fluides) sur le motif présence-absence, apparition-disparition ou caché-découvert.
Il s’agirait de ne pas minimiser la charge érotique d’une telle chorégraphie – et la plupart de ces lapidaires sous cloche ou sur socle sont bien des fragments de corps photographiés. Car il est évident qu’un des principes actifs dans cette opération de réparation de l’aura par réincarnation, c’est le désir.
D’après un texte de Julie Portier
Tarifs :
3€