Performing Arts in Vienna in the 1960's

Exposition
Arts plastiques
Galerie Christophe Gaillard Paris 03

Le corps support de l’activité picturale à Vienne

 

« Il est possible d’étendre l’acte de peindre à un acte total, qui puisse être expérimenté par tous les sens » (Rudolf Schwarzkogler, 1965)

 

Début des années 1960 à Vienne : les toiles de plusieurs gestuels s’agrandissent jusqu’à envahir l’espace, intégrant à la composition les peintres eux-mêmes. De cette immersion dans la matière picturale, ces artistes vont faire le laboratoire d’une recherche sur la représentation du corps au moyen de la photographie. En moins de dix ans est produit un corpus d’images qui interroge sans répit la frontière entre sujet et objet, provoquant censure et répression policière en Autriche. Si l’actionnisme Viennois conserve encore une réputation sulfureuse, celle-ci ne doit pas occulter le moment d’incroyable émulation, comme d’invention formelle qu’il a été.

 

Mêler la peinture au réel


Souvent classées avec les arts d’action (happening, performance…), les activités que mènent Hermann Nitsch et Otto Mühl à Vienne à partir de juin 1962 ne s’inscrivent pas moins dans la continuité de leurs travaux de peinture et de sculpture. Ce n’est donc pas contre ces médiums qu’ils font entrer leurs corps et celui de tiers dans l’espace de l’œuvre, mais pour élargir ses potentialités. Ils ne sont pas seuls à entreprendre ces recherches : toute une scène viennoise s’adonne alors à la peinture gestuelle et les encourage dans cette voie. Des peintres comme Adolf Frohner ou Alfons Schilling participent de ce mouvement. De toute évidence, ces artistes connaissent et apprécient le travail que mène Arnulf Rainer depuis le début des années 1950. Ce dernier a déclaré peindre « pour quitter la peinture » et procède à des recouvrements de photographies très expressifs, pratiquant la peinture d’une manière particulièrement véhémente. Tous cherchent alors à créer une zone intermédiaire entre l’art et la vie, où ce qui a lieu dans la représentation a aussi lieu en vrai. Günter Brus, puis Rudolf Schwarzkogler s’engagent également dans cette aventure.

 

Images de la peinture élargie


Le climat hostile aux actions va conditionner un fait d’importance : elles ont, pour la plupart d’entre elles, lieu en privé. Dans l’intimité des ateliers, elles ne comptent pour seul public que des ami(e)s et des photographes. Les images dans cette mesure n’ont pas le statut de documents, mais constituent le cœur de la pratique actionniste, dans le sens où elles sont d’emblée le support de l’expérimentation, comme sa forme finale. Mises à part quelques photographies relatant des actions publiques en 1968, puis à la fin des années 1970 (pour l’essentiel données hors de l’Autriche), une grande partie du corpus peut donc être désigné comme des tableaux vivants[1]. Ceci suppose que ces agencements de corps réels sont prémédités : les actions suivent souvent des scripts, les photographies sont anticipées par des dessins préparatoires et éventuellement recadrées pour convenir à « l’image mentale » de leurs auteurs. La photographie aplanit l’ensemble et parachève l’équivalence entre corps et matériaux.

 

Le corps à Vienne


Des corps dans des situations de détresse, de danger, d’avilissement, coupés par le cadre, réduits à un membre ou un organe : un grand nombre des tableaux vivants de l’actionnisme ne donnent pas de l’humain une image réconfortante. Dire que la figure humaine y est malmenée est un euphémisme. Bien sûr, la peinture autrichienne compte quelques précédents de ce type d’iconographie. De Kokoschka à Klimt, en passant par Schiele, les avant-gardes viennoises ont pu s’illustrer dans un goût pour la déformation, pour une certaine brutalité à l’endroit du corps. Celle-là même qu’Arnulf Rainer met en scène dans ses autoportraits grimaçants ou abîmés de contorsions, qu’il attaque de traits acérés à même le tirage photographique. La charge est très forte, mais la destruction, la lacération restant d’ordre symbolique, le travail de Rainer, malgré sa violence ne connaît pas la censure subie par les actionnistes. Le caractère fictionnel de ses œuvres ne fait aucun doute, quand bien même l’acharnement de l’artiste sur sa figure et sur la figure humaine est extrêmement douloureux et sans aucun doute une source vive d’inspiration pour ses contemporains actionnistes. Il y a toutefois dans les images de ces derniers une dimension littérale qui provoque une projection plus forte du spectateur. Cas rares dans l’histoire de la représentation : ces photographies ont été interprétées comme des faits de violence réelle, et plus qu’à l’art, c’est aux faits politiques et sociaux de l’Autriche qu’elles ont été associées.

 

Texte de Sophie Delpeux


[1]Il convient de préciser que Brus, Mühl, Nitsch et Schwarzkogler, travaillant presque dans la clandestinité à cette époque, n’ont pas ou peu fait de tirages des négatifs qu’ils accumulaient. C’est la raison pour laquelle les images vintage de l’actionnisme sont rares, et plutôt datées des années 1970, moment où les travaux de ces artistes sont exposés à l’étranger, à défaut de l’être en Autriche, notamment lors de la Documenta 5 d’Harald Szeemann en 1972.

Horaires

du mardi au vendredi, de 10h30 à 12h30 et de 14h à 19h le samedi de 12h à 19h

Adresse

Galerie Christophe Gaillard 5 Rue Chapon 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022