Paysages élémentaires

Julie Ganzin
Exposition
Photographie
MABA Nogent-sur-Marne

Paysages élémentaires (vol.1) ©Julie Ganzin, courtesy Galerie Jérôme Ladiray

Les Paysages élémentaires ne sont pas « miniaturisés », ni « stylisés », mais focalisés sur la représentation d’un des quatre éléments (la terre, l’eau, l’air et le feu). Ces paysages peuvent décrire un élément, tout autant que l’élément désigné sera le vecteur de notre perception du paysage, en ce lieu donné. Pour nourrir le jeu avec les mots, on peut dire que ce sont des paysages « réduits » à une perception élémentaire. L’élément mis en exergue est lié à une activité humaine, nous y renvoie ou permet d’en détecter la trace (l’eau et les pompes à eau de la plaine du Pô, le feu et les départs de feu en bord de route en Campanie ou en Sicile, la terre travaillée des cultures intensives et des pépinières industrielles, les champs d’éoliennes, etc.). Les règles du jeu sont communes aux différentes zones géographiques parcourues. Et si ces règles de conduite permettent d’offrir une « lecture » du paysage dans l’entrelacement de ses différentes composantes, c’est aussi en se jouant de la dimension purement illustrative, voire académique, attachée à cette thématique. Les associations en diptyque mettent en tension les images dans une feinte confrontation entre les éléments. Le projet découvre le paysage que nous sommes en mesure d’appréhender au quotidien dans l’intrication entre activités humaines et réalités naturelles. Les Paysages élémentaires donnent à voir localement ce que les acteurs du territoire « fabriquent ». Il se peut aussi qu’ils laissent parfois entrevoir le visage d’un paysage « politique » produit par des décisions et des mécanismes qui nous échappent.

Complément d'information

Les suspens photographiques de Julie Ganzin

Au delà d’une pratique moderniste du fragment, la photographie a conquis sa place dans le monde de l’art par sa force tellurique de suspens du temps sans laquelle elle aurait sombré dans la juste dénotation des états de faits ou au mieux dans la figuration d’un état des choses. Cette puissance d’un instant posé est à coup sûr ce qui signe la beauté étrange des photographies de Julie Ganzin mais aussi ce qui distille en elles une énergie poétique où l’imaginaire construit sa propre dialectique entre évocation du paysage et atmosphère sensible, présence cachée de l’homme et travail souterrain des éléments.
Ainsi pour ce deuxième volet de sa série Paysages élémentaires, a-t-elle choisi de confronter ce qui du feu et de la terre peut se dire ou se laisser ressentir dans ce que l’un «fait» à l’autre et réciproquement, ce que l’autre crée en répondant au premier. L’homme est bien sûr derrière, caché, tapis ou acteur à peine pressenti mais jamais n’est-il présent dans l’image : juste suggéré dans ses actes, tout autant que l’est la nature dans son œuvre. L’architecture sort de terre tout en y ayant creusé ses fondations, tout comme les rangées d’oliviers brûlés en partie dessinent des lignes sinueuses de verts-bruns tout juste capables de dessiner encore sous le soleil de midi, une ombre serpentine sous leurs troncs calcinés. Parfois c’est un squelette d’immeuble inachevé, laissé à l’abandon ou en attente de finition qui côtoie dans la photographie d’à côté le mont violacé d’une colline récemment incendiée. Mais ce peut être aussi juste une plaine désertique qui trouve à l’horizon la rive verdoyante de la mer méditerranée ou cet arbuste solitaire qui persiste à grimper le long d’une nouvelle bâtisse en construction. C’est ainsi que Julie Ganzin procède à l’élaboration d’un univers bien à elle, lentement et justement présent à force de plénitude de l’image et de vis à vis aussi proche et distant à la fois.
Musique et poésie ne sont pas si éloignées que cela dans ces dialogues perceptuels instaurés entre deux vues aussi complémentaires dans l’espace de ces paysages du Sud méditerranéen qu’indépendantes dans leur temps de prise toujours muettement élaboré. Non seulement feu et terre se retrouvent dans une lumière-poussière convoquant notre doute quant à la représentation d’un constat documentaire qui n’intéresse ni l’artiste ni le spectateur mais ces éléments naturels de notre monde vivant inventent ici des traces toujours en instance de devenir, traces qui modulent sans cesse notre environnement en perpétuelle construction/déconstruction. Ainsi, le regardeur a t-il le choix de cheminer entre, dans et avec deux images proposées en diptyque sans que cette forme de présentation interroge l’aspect formel de cette juxtaposition.
En effet, Julie Ganzin travaille la photographie dans sa capacité de sollicitation, tant dans le ressenti de sa prise de vue à la chambre que dans la mise côte à côte de deux photographies. Le hasard de cette rencontre duelle résulte davantage d’une plongée sensible dans les images que d’une volonté formaliste de mise en correspondance. Juste une libre association d’idées propose t-elle ainsi au regardeur attentif. Elle confirme ainsi ce que Michel Foucault avait très justement exprimé dans le fait « qu’un tableau n’a pour contenu que ce qu’il représente, et pourtant ce contenu n’apparaît que représenté par une représentation » alors le spectateur peut-il laisser divaguer son imaginaire, ses sus et ses non-vus et souvent l’inverse. Julie Ganzin ne croit pas plus en effet au rapport que la photographie entretient avec le réel qu’à une image qui aurait pour prétention d’affirmer quoique ce soit.



De là se construit une œuvre qui tant dans ses livres que dans ses accrochages ouvre à ce que la perception seule a le droit de s’inventer. Ainsi s’arroge t-elle parfois le plaisir ou la nécessité de re-fragmenter ses propres photographies à l’intérieur même d’une maquette conçue par elle seule. Produit-elle même de nouvelles photographies à partir d’une vue partielle d’une précédente. Fragment de fragment pour nous dire l’infini d’une image dès qu’elle est partie d’un tout, mais dès qu’elle est aussi le tout contenu dans ce fragment : métonymie d’une pensée et non simple cadrage d’un espace-temps. Œuvre ouverte à ces temps de suspens d’entre les choses où l’image invente sa forme et trouve sa durée dans une incessante oscillation entre le perçu et le probable, le vu et l’évoqué. Pas étonnant alors que l’artiste nous dise elle-même s’intéresser « au point de tangence » avec le monde, à cet intervalle imperceptible où, pendant et dans lequel se rencontrent et se frottent les seules réalités de l’espace et du temps et d’où peut surgir alors une projection mentale de la part du spectateur. Pas étonnant non plus que la photographe joue subtilement de ce caractère irrémédiablement fragmentaire de l’image photographique pour proposer des visions duelles et privilégier cet appel à la dilatation du temps et à l’ouverture d’un espace hors-champ où le culturel pourra côtoyer le naturel sans se laisser prendre au piège du message ou du politique. Alors, l’artiste cherche t-elle une lumière particulière – cette luminosité écrasante du plein soleil jouant parfois à une certaine fausse artificialité – pour « égaliser » la perception que l’on aura de ces vues à la fois proches et étrangères l’une de l’autre et s’autorise t-elle ainsi à mettre en rapport l’action muette de cette énergie invisible qu’ont en commun l’homme et la nature.
Comment ne pas alors se laisser happer puis absorber par ce qui est en fait une photographie non de paysage mais de l’universel. L’homme et la nature ont en effet toujours été au centre de l’histoire des représentations artistiques mais certains artistes ont su plus que d’autres y révéler les forces cachées de leur action mutuelle tout en laissant en suspens – comme le sont nos plus justes pensées flottantes – ce qui est de l’ordre de l’évidence ou de l’infini indéterminé. C’est à cette ambiguïté perceptuelle que se reconnaît la démarche de Julie Ganzin, c’est à ce battement incessant que ses photographies sont autant fragments qu’images, vues de paysages qu’objets de notre nature.
Michelle Debat

Artistes

Partenaires

FONDATION NATIONALE DES ARTS GRAPHIQUES ET PLASTIQUES

Horaires

Tous les jours, sauf les mardis et les jours fériés, de 12h à 18h, entrée libre

Adresse

MABA Centre d'art contemporain 16 rue Charles VII 94130 Nogent-sur-Marne France

Comment s'y rendre

RER A : Nogent-sur-Marne, puis bus 114 ou 210 - Arrêt Sous-Préfecture
RER E : Nogent-Le Perreux, puis direction Tribunal d’instance
Métro ligne 1 : Château de Vincennes, puis bus 114 ou 210 - Arrêt Sous-Préfecture
Station Vélib'

Une navette depuis Paris est mise en place pour les vernissages : maba@fondationdesartistes.fr ou t : 01 48 71 90 07

Dernière mise à jour le 24 février 2022