Pan Yuliang, 潘玉良, les prémices de la peinture chinoise en France

Par Loïc Le Gall
Chang Shuhong, Malade fiévreuse, 1931

Chang Shuhong, 常書鴻, Malade fiévreuse, daté 1931 (FNAC 13643). Déposé au musée des beaux-arts de Lyon ; achat en 1935.

Vue du dessin à l'encre de Chine Nu de Pan Yuliang

Pan Yuliang, 潘玉良, Nu, 1942 (Achat à l'artiste en 1942, Inv. : FNAC 18562)

Vue de l'encre sur papier Nu de Pan Yuliang

Pan Yuliang, 潘玉良, Nu, s.d. (Achat à l'artiste en 1946, Inv. : FNAC 20055)

Vue du tableau Le fleuve Ts’ien T’ang de Fan Tchun Pi

Fan Tchun Pi, 方君璧, Le fleuve Ts’ien T’ang, s.d. (Achat à l'artiste en 1952, Inv. : FNAC 22882)

En 1931, pour la première fois, une œuvre d’un artiste chinois entre du vivant de celui-ci dans les collections de l'État français. Il s’agit d’une huile sur toile, La neige au Luxembourg de Liu Haisu (1896-1994), une des figures les plus marquantes de l’histoire de l’art chinois du XXe siècle. L'artiste fonde en 1912, à tout juste 16 ans, une institution qui deviendra par la suite l’école des beaux-arts de Shanghai. Dès 1929, il séjourne à Paris en vue de rencontrer le public occidental, et pour observer la peinture des maîtres et de ses contemporains.

Liu Haisu ouvre la voie à de nombreux artistes chinois qui décident, dans les années 1930, de suivre les cours de l’école des beaux-arts de Lyon – l’Institut franco-chinois y est inauguré en 1921 – et de Paris. Rapidement, les achats d’artistes chinois établis en France, à l’instar de Pan Yuliang, de Fan Tchunpi ou encore de Chang Shuhong, se multiplient.

Pan Yuliang, de la maison close à la vie mondaine parisienne

Née en 1895 à Yangzhou dans la province chinoise du Jiangsu, Pan Yuliang est confiée à son oncle à la mort de ses parents. Son tuteur qui lui donna son nom, « Yuliang », la vend à l’adolescence à une maison close de Wuhu. En 1913, un riche fonctionnaire, Pan Zanhua, la rachète et en fait sa seconde épouse. Elle en adopte le nom « Pan »  en signe de reconnaissance. Ayant échappé à sa condition servile, elle choisit d’étudier les arts et intègre en 1918 l’académie d’art de Shanghai où elle suit les cours de Liu Haisu. Elle y découvre les courants artistiques occidentaux et des sujets tels que le nu qui, à l’époque, heurtent le conservatisme du public chinois. Ses excellents résultats scolaires donnent à Pan Yuliang la possibilité de poursuivre ses études en France. En 1921, elle s’inscrit aux Beaux-arts de Paris et suit les ateliers des peintres Lucien Simon (1861-1945) et Pascal Dagnan-Bouveret (1852-1929). En 1928 à l’occasion de sa première exposition en Chine, elle s’installe à Shanghai où elle se lance dans une carrière de professeur à l’école des beaux-arts. Passionnée par l’art européen et déçue par la réception de son œuvre en Chine, spécialement par celle de ses nus, elle décide de regagner la France en 1937. Pan Yuliang fréquente alors des cercles d'érudits avec certains de ces camarades chinois ; elle expose régulièrement à différents salons dont le Salon des indépendants. En 1942, elle reçoit ses premières commandes de l'État à l’initiative du bureau des travaux d’art, musées et expositions (Nu, FNAC 18562) et de la mairie de Paris (séries d’études aujourd’hui reversées au musée Cernuschi). Quoiqu'abandonnée par le monde de l'art, elle demeure jusqu'à sa mort, en 1977, dans la capitale française.

Le nu, une tradition occidentale réinterprétée

Le nu est sans aucun conteste la thématique la plus représentative de l’art de Pan Yuliang. Sa technique mélange influences occidentales et tradition picturale chinoise. Le trait est fin et virtuose, souvent réalisé au pinceau ou à la plume à l’instar du Nu de 1942 (FNAC 18562). Cette œuvre sur papier est symptomatique de l’évolution de la pratique de Pan Yuliang, depuis le dessin noir et blanc chinois baimiao vers l’insertion de touches subtiles de couleurs. 
Les femmes nues de Pan Yuliang sont de toutes origines, européennes, africaines mais le plus souvent asiatiques, toujours libres, lisant ou simplement se reposant, à l’image du Nu acquis en 1946 par l'État. Pan Yuliang offre une version alternative du nu occidental conventionnel : le corps de la femme blanche n’est pas le seul qui puisse être idéalisé. Il convient par ailleurs de replacer l’œuvre dans le contexte patriarcal chinois de l’époque. Les femmes n'ont alors que peu accès à la culture et à l’éducation dans leurs jeunes années, de sorte que la représentation moderniste et progressiste de la femme par Pan Yuliang est inédite. Cette dernière se fait l’écho des désirs d’autonomie des femmes et de leur volonté de sortir des carcans de la société traditionnaliste chinoise. Son attrait pour la thématique du nu et l’émancipation qui s'y lit explique en partie le retour de l’artiste à Paris, fuyant les tabous et l’incompréhension de ses compatriotes. Pan Yuliang devient à sa mort une icône, artiste femme, trait d'union entre occident et Chine. La plupart de ses œuvres ont été rapatriées au Anhui Museum dans la province où elle passa sa courte jeunesse et est maintenant célébrée. Certaines sont conservées par la famille de Pan Zanhua, son mari. Enfin quelques pièces demeurent en France, notamment dans les collections du Centre national des arts plastiques.

La Chine et l'école des Beaux-arts française, un cursus honorum ?

Bon nombre d'artistes chinois fort fameux de l'entre-deux guerres ont étudié en France et ont suscité l'intérêt de la part des autorités de l'époque. La politique d'achat  par l'État d'œuvres d'artistes chinois le montre assurément, ne se limitant pas des commandes anecdotiques auprès de Pan Yuliang seule. Parmi les multiples artistes achetés, Chang Shuhong (1904-1994), élève brillant à l’école des beaux-arts de Lyon puis de Paris et l'un des peintres les plus doués de sa génération, se voit commander des œuvres dès 1935. Sa Malade fiévreuse (FNAC 13643), actuellement déposée au musée des beaux-arts de Lyon, représente son épouse alitée, le regard tourné vers le spectateur. La qualité de cette toile réside dans la tendresse et l’humanité retranscrites par Chang Shuhong tout autant que dans la grande maîtrise de l’huile qu'a celui-ci. Cette technicité se retrouve chez sa compatriote Fan Tchunpi (1898-1986), première artiste chinoise à étudier aux beaux-arts de Paris et amie intime de Pan Yuliang. Arrivée en France dès 1912 et admise à l’atelier de Jacques Ferdinant Humbert (1842-1934) en 1920, elle adapte notamment des sujets asiatiques aux canons occidentaux, et y réussit trop bien au regard de certains, comme Jean Cassou, qui déplore en 1958 « la trop forte influence de l’école des beaux-arts »1 mais apprécie la « précieuse tradition chinoise »2 dans des œuvres telles que Le fleuve Ts’ien T’ang (FNAC 22882).

 

Loïc Le Gall, chargé de documentation

Pour en savoir plus

John Clark, Modernities of Chines Art, Leyde, Brill, 2010

Fan Tchun - Pi : Artiste chinoise contemporaine; soixante tableaux ou soixante ans de peinture, Paris [exposition au musée Cernuschi], Paris, [s.n.], 1984

Eric Lefevbre (dir.), Artistes chinois à Paris [exposition au musée Cernuschi], Paris, Paris-Musées, 2011

Eric Janicot, L’esthétique modern chinoise et l’épreuve de l’Occident, Paris, You-Feng, 2007

Michael Sullivan, Art and artists of twentieth-century China, Berkeley, University of California Press, 1996

Michael Sullivan, Modern Chinese Artists: A Biographical Dictionary, Berkeley, University of California Press, 2006

Phyllis Teo, “Modernism and orientalism : the ambiguous nudes of chines artist Pan Yuliang, New Zealand Journal of Asian Studies, vol.12, n°2, 2010

 

1 Lettre adressée par Jean Cassou (1897-1986), conservateur et directeur-fondateur du musée national d’art moderne à la direction général des Arts et des Lettres le 21 janvier 1958. Conservée au Archives nationales sous la cote F/21/6938

2 Ibid

Dernière mise à jour le 2 mars 2021