Neila Czermak Ichti

J'adore vous faire rire
Exposition
Arts plastiques
Galerie Anne Barrault Paris 03
Neïla Czermak Ichti I love being my friend’s Bozo !!!, 2022 acrylique, encre et collage sur carton 30,5 x 33 cm

La galerie anne barrault est heureuse d’accueillir J’adore vous faire rire, la deuxième exposition personnelle de Neïla Czermak Ichti, qui réunit un nouvel ensemble d’œuvres.

On dit souvent, à juste titre, que les talismans sont une affaire de protection. Ils protègent contre les forces du mal, éloignent le mauvais œil, donnent du courage pour affronter l’adversité. Pour ma part, j’aime à penser que les talismans sont des catalyseurs de foi. On dépose des affects dedans – tristesses, colères, amours, joies – et l’objet magique transforme cette matière émotionnelle en une substance très sombre capable de nous relier au monde. Cette substance, on la nomme parfois « confiance » ou « foi », mais tout le monde sait qu’elle est amour avant tout. A l’heure des luttes nécessaires, les talismans racontent des histoires d’amour qui sont aussi nos histoires, et l’ont toujours été.

Le terme superstition provient du latin superstes, qui signifie « survivance », c’est-à-dire, dans ce contexte, « survivance de la tradition ». Ainsi, les formes et pratiques que les puissants raillent sous le nom de superstition sont en réalité de véritables repaires de fantômes. De ce point de vue, les traditions ne correspondent pas à des dogmes éculés mais à des manières collectives de se lier à ce qui nous entoure, visible ou invisible. Les gens superstitieux se lient facilement d’amitié avec des fantômes. Leurs chambres et leurs poches sont pleines de talismans divers, qui forment une sorte de sytème avec les talismans de leurs ami·e·s. En réalité ce système est un contre-système, une voie alternative, un dispositif obscur pour se dérober aux yeux du pouvoir et faire prospérer la ressource la plus précieuse et la plus clandestine du monde : l’amour. Nos talismans nous ressemblent mais ne nous appartiennent pas. Ils amplifient nos affects tout en nous rappelant que nous ne sommes pas seul·e·s, et que les mondes dont nous rêvons sont possibles. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais j’ai toujours eu le sentiment que les personnes peintes ou dessinées par Neïla avaient des talismans dans leurs poches. Mieux encore que leurs yeux, leurs regards, étaient de nature profondément talismanique.

Neïla fait pleurer de rire ses ami·e·s. Il écrit des textes qui sont tout à la fois des hommages et des manières de rendre justice. Elle a peur parfois d’avoir choisi le côté obscur de la force. Et je læ comprends d’autant mieux que je partage cette peur. Le pouvoir aimerait nous faire croire que seule la lumière et la blancheur sont capables de propager le bien. Il n’en est rien. Arrêtons de diaboliser les démon·e·s. La plupart du temps, ce sont seulement des créatures qui, comme nous, tiennent à l’idée de la multiplicité des mondes. Des créatures qui rêvent à d’autres mondes, voyagent dans d’autres mondes, bâtissent d’autres mondes. D’ailleurs, n’est-il pas significatif que le mot « démon » lui-même soit une anagramme du mot « monde » ? Aux yeux de la société, les démon·e·s sont terribles. Et à vrai dire leurs corps à la lumière du jour font peur à voir. Mais quand l’obscurité se fait, on les entend raconter des histoires très douces qui sont presque toujours des histoires de révolte et d’amour. Le travail de Neïla, en ce sens, a quelque chose de profondément démonique : il nous emmène au royaume des ombres, comme pour nous prouver que ce royaume est un cœur dont le pouls porte, à l’infini, les larmes de rire de celleux qu’on chérira pour toujours.

Romain Noël

Adresse

Galerie Anne Barrault 51, rue des archives 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 9 décembre 2023