Monte Oliveto

Exposition
Arts plastiques
Michel Rein, Paris Paris 03

Michel Rein est heureux de présenter la quatrième exposition personnelle de Raphaël Zarka, après Les Prismatiques  (2012), Ratiocination (2008).

Dans le Grand Cloître du monastère de Monte Oliveto, les fresques de Luca Signorelli et du Sodoma sont accompagnées de « marmi finti », des faux marbres peints dont les motifs géométriques composent un ensemble qui oscille entre investigation mathématique et exploration artistique. Le travail de Raphaël Zarka habite un espace similaire, où la représentation de principes mathématiques investit le champ de l’art et, ainsi, l’augmente.

Dans la galerie Michel Rein sont installés vingt-trois collages de papiers colorés qui reproduisent à l’échelle les « marmi finti », en une séquence identique à celle du monastère toscan. Une telle procédure est fréquente dans la pratique de Zarka : elle consiste à extraire des formes préexistantes et à les réinscrire dans un contexte autre, complexifiant ainsi leurs implications et diversifiant leurs connexions. Ainsi que l’écrit Guillaume Désanges, « Raphaël Zarka n’entend pas donner forme à des idées mais, dans un mouvement inverse, chercher les idées qui sous-tendent les formes».

Cette méthode documentaire met au défi l’historiographie close de l’art en explorant l’abstraction par le biais de formes qui furent générées par d’autres champs. Dans le même temps, elle convoque les contextes et les histoires de représentations qui connurent ailleurs de multiples usages — ici comme récifs artificiels, là comme symboles d’un ordre métaphysique idéal, d’une divine proportion.

Un même principe se retrouve dans les Partitions régulières du projet Paving Space de Raphaël Zarka. Ces sculptures modulaires reprennent un modèle conçu par le mathématicien et cristallographe Arthur Schoenflies (1853-1928) au cours de ses recherches sur le pavage périodique de l’espace. Outils de visualisation conceptuelle, les modules de Schoenflies génèrent des formes que Zarka s’approprie à des fins sculpturales en modifiant leur échelle et en adoptant des matériaux nouveaux.

Une semblable migration de l’intention se rejoue à l’égard du skateboard, une pratique qui occupe une place centrale dans le travail de Zarka. Les Partitions régulières sont des sculptures instrumentales qui peuvent être interprétées par des skateurs. La pratique du skate laisse des traces à la surface des sculptures. Ces géométries parfaitement construites se trouvent alors brisées, traversées par la tension entre les références et les usages dont elles forcent la convergence. La surface de la sculpture est dégagée de toute démonstration mathématique — ainsi, quand Zarka introduit des interstices entre des modules qui devraient s’adjointer parfaitement — et elle devient le révélateur de la « géométrie du mouvement »  propre au skate. La nature modulaire de la sculpture lui permet d’être reconfigurée, ce qui produit une oscillation entre virtualité et actualisation qui traverse l’exposition. Ces possibles sont démultipliés par des dessins de potentielles configurations des modules de Schoenflies qui pourront — ou non — donner lieu à des sculptures.

Dans la petite pièce de la galerie est exposée une sculpture intitulée Le Troisième homme (d’après Arthur M. Schoenflies) où un polyèdre de verre (un octaèdre tronqué), à demi empli d’eau est placé sur un socle dont la section hexagonale reprend celle de la base du polyèdre. Selon l’analogie spatiale entre la galerie et Monte Oliveto, cette pièce correspondrait au chœur de l’église. Les stalles de ce chœur sont ornées de marqueteries de Giovanni da Verona (c. 1457-1525) où figurent des instruments de mesure du temps ainsi que d’incroyables démonstrations de constructions perspectives et polyédriques.

Il existe une profusion de liens entre l’histoire des idées et celle de leur représentation. De tels liens furent tissés par le peintre-géomètre Piero della Francesca (1415-1492) qui fut le maître de Luca Signorelli et enseigna les mathématiques à Luca Pacioli (1447-1517), l’auteur du De divina proportione. Dans un portrait de 1495 attribué à Jacopo de Barbari, Pacioli est représenté en compagnie de l’un de ses élèves. À ses côtés se trouve un rhombicuboctaèdre de verre en suspension à demi empli d’eau dont les proportions sont celles d’une tête humaine : un troisième homme dans le portrait.
Le socle de polyèdres superposés fait référence aux illustrations d’un traité conçu au XVIIe siècle par le sculpteur allemand Peter Halt. Plutôt que de figurer les polyèdres isolément sur la page, Halt les associait en structures complexes. Dans Monte Oliveto, Zarka rassemble tous ces éléments autour de Schoenflies qui, parmi les treize polyèdres archimediens, utilisait le seul octaèdre tronqué.

Il est souvent considéré que la Renaissance a procédé à un strict développement de la perspective comme opération de géométrie et de dessin. Mais, comme le souligne Carlo Ginzburg, la perspective a aussi fonctionné comme une métaphore visuelle appliquée, dès Machiavel, à la politique, à la philosophie ou à l’histoire afin de décrire la multiplicité des points de vue possibles sur une même réalité [1]. La manière dont Zarka associe différents régimes de savoir et s’approprie des géométries à travers leurs représentations historiques accentue la pertinence d’un agencement anachronique qui convoque la réalité simultanément par l’abstraction et la restitution.

Catalina Lozano, septembre 2017

Traduction Nina Léger

Artistes

Adresse

Michel Rein, Paris 42 rue de Turenne 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022