les cellules blanches, nues et le sommeil électrique
U+E004-000
Zone à usage privé
—
Note manuscrite
s.n.
Stylo bille, 0,3 × 0,1 cm
Archives personnelles
03.07.1981
Les signes de la communication de l’exposition «les cellules blanches, nues et le sommeil électrique» correspondent à la première phrase d’une note manuscrite sténographiée anonyme datée de 1981, issue des archives personnelles de Sébastien Rémy.
L’écriture sténographique est un système de signes destiné à écrire plus rapidement que l’écriture traditionnelle, idéalement à la vitesse de la parole. Pratique largement féminisée et liée au phénomène de bureaucratisation, la sténographie peut être employée dans un contexte professionnel ou personnel. Plusieurs méthodes de sténographie sont en usage en France: outre des règles communes, elles font appel à une part de liberté et
d'adaptabilité aboutissant à des écritures personnalisées difficiles voire impossibles à
déchiffrer, pour un·e lecteur·trice tout autant que pour un·e autre sténographe.
Pour intégrer ces signes personnels et illisibles à la typographie LARA, il a fallu tirer profit d’une zone de codage particulière de l’Unicode—le standard mondial de codage des typographies numériques—, la zone privée (Private Use Area, PUA), unique espace de liberté formelle et sémantique dans le codage de l’écriture. Tandis que le standard Unicode permet une normalisation stricte et figée du langage, sur n’importe quel terminal partout dans le monde, le PUA autorise un usage totalement libre de 137 468 entrées, dont l’interprétation n’est ni standardisée ni préétablie, et doit donc être convenue de façon privée.
Coline Sunier & Charles Mazé, L'ABCC du CACB, 2019
Commissaire: Céline Poulin, assistée de Camille Martin
La semaine dernière je suis allée visiter Sébastien Rémy à l’hôpital psychiatrique d’Etampes. Véronique Bathily l’a accueilli en résidence pour son projet «les cellules blanches, nues et le sommeil électrique». Je me souviens de notre première visite de l’institution: Emilie [1] s’était réjouie de retrouver Sébastien qu’elle voyait pourtant pour la première fois. C’est quelque chose chez lui qu’elle a dû percevoir intuitivement: cette empathie envers les lieux qui donne l’impression qu’il les a toujours connus. D’ailleurs, c’est vrai qu’il s’intéresse particulièrement aux fantômes.
Quand j’arrive il discute avec quelqu’un, peut-être un des électriciens qui œuvrent sur le bâtiment. Dans ce pavillon en restauration, il faut emprunter plusieurs couloirs ouverts sur des salles vides avant d’arriver à l’espace de travail de Sébastien Rémy. Y est reconstituée une chambre standard, seule pièce occupée dans le lieu désert, l’artiste en numérise les éléments. Il était important pour nous de se baser sur du mobilier existant afin de sortir de la représentation iconique des lieux thérapeutiques véhiculée par la fiction. Le lit, l’armoire ressemblent à ceux des internats de lycée. Il s’agit ici comme ailleurs de vivre quelque part, à la fois avec et sans les autres. La communication complexe avec l’altérité imprègne profondément plusieurs œuvres de l’artiste, comme «Tant que je vous parle ce n’est pas une frontière». De Lee Lozano, une des premières artistes à composer des “conversation pieces” et étrangement connue pour avoir cessé de parler aux femmes, aux personnages du réalisateur Wim Wenders incapables d’échanger une parole, «Tant que je vous parle ce n’est pas une frontière» met en abîme des histoires imprimées sur plexiglas [...].
Mais tout n’a pas commencé là. Je rencontre Sébastien Rémy en 2010, au détour d’une cimaise à Bourges. Tout juste sorti de l’école des beaux-arts de Cergy, il présente au Pavillon d’Auron plusieurs projets, dont «Diogène le chien: correspondances 2000-2009» qui incarne la parole du penseur défunt. Nous commençons une discussion qui ne s’interrompra plus. Nos modes de travail et nos obsessions se rejoignent, entre autres celles de la construction d’un récit polyphonique et de la modulation narrative par l’agencement des images. La question du monteur lyrique [2] m’occupe déjà et Sébastien Rémy en deviendra une figure centrale [...].
Bonimenteur, médiateur, conférencier, médium... qu’il incarne ces formes d’oralité, qu’il les fasse jouer par d’autres ou qu’un dispositif les prenne en charge, l’énonciation est nécessairement présente dans chaque travail de l’artiste. «les cellules blanches, nues et le sommeil électrique» sera ainsi parcourue de son verbe et des paroles de tous les auteur.rice.s qui font naître avec lui un espace. L’exposition, je m’en rends compte aujourd’hui, agence des occurrences récentes de projets qui ont ponctué la collaboration que j’entretiens depuis bientôt 10 ans avec Sébastien Rémy. Dans cette discussion, il a inclus de nombreux autres [...]. De voix, celle du bâtiment lui-même semble se matérialiser dans l’exposition. Sans cesse modifiée, transformée et habitée d’individus multiples, l’architecture du CAC Brétigny s’exprime ici dans chacune des œuvres de l’artiste, se représentant dans son usage quotidien, s’abimant dans la ressemblance avec d’autres espaces blancs et vides, laissant apercevoir son impermanence et les peurs qui peut-être en découlent.
Céline Poulin
[1] Les noms des patient.e.s ont été changés
[2] Voir Céline Poulin, «Petra Genetrix and the Figure of the Lyrical Assembler», in «Porosity Valley, Portable Holes», Ayoung Kim, Ed. Ilmin Museum of Art, 2019.
Complément d'information
Réservation indispensable: reservation@cacbretigny.com
Commissaires d'exposition
Autres artistes présentés
Avec Raphaël Brunel, Alexis Guillier, Maud Jacquin, Luc Kheradmand, Émile Ouroumov, Elsa Polverel et Anne-Lou Vicente