la sentinelle
Il est un instant qui précède le travail du peintre, durant lequel ses sources d’inspiration, ses influences ou ses références, qu’elles soient plus ou moins conscientes, assumées ou même définies, s’estompent, laissant l’esprit de l’artiste enclin à une sorte de songe à l’intérieur duquel l’illusion, la divagation, l’interprétation et l’invention peuvent coexister. A l’image de la pause qui sépare deux notes de musique, ce laps de temps – dont la peinture se voudra le prolongement – est un événement qui lui permet de s’abstraire du temps. Au cours de ce rêve, l’artiste se rend disponible au silence et au vide : il devient anonyme, clairvoyant, entêté et solitaire.
Sans ce « déconditionnement », le peintre ne saurait répéter sincèrement ni le rituel perpétuellement refait qui l’installe devant la surface vierge, ni le geste de déposer une fois encore la matière sur la toile.
A l’intérieur de ce moment s’offrent à lui deux possibilités : tenter de restituer le plus fidèlement possible cette intériorité sans visage, sans corps, sans objet ni paysage, ou s’en écarter par la représentation au travers des différents registres de la peinture (le paysage, la nature morte, le portrait). Un dilemme : peindre le monde à travers soi, ou soi à travers le monde.
Parallèlement, deux directions se présentent à celui qui veut peindre : la voie de l’abstraction ou celle de la figuration. L’abstraction est une tentative de se soustraire à la réalité en libérant la technique, la forme, la matière et la couleur du carcan de la représentation. Cette expérience picturale peut revêtir des apparences très diverses : primitives, évoluées, minimales, sophistiquées, conceptuelles, sensuelles, etc. Sa réalisation s’accomplit dans l’envers du réel.
La figuration, elle, procède par ajouts. Elle emploie la couleur, la matière, la forme et la technique pour tenter de re-présenter l’image rêvée qui précède l’acte de création. Pour ce faire, elle doit emprunter des chemins côtoyant le réel : l’impression, l’imitation, la transformation, l’exagération, etc., comme autant de symptôme de « l’être au monde ».
Thierry Carrier a choisi de ne pas choisir. Chacune de ses peintures offrent une lecture simultanée : celle d’une image qui semble se soustraire à la réalité de notre monde et celle d’un corps qui tente d’exister dans l’œuvre.
Face à cette peinture en tension où se mêlent monologues intérieurs et procédés narratifs, confrontations de gestes et de postures, allusions symboliques, le spectateur ne sera pas surpris d’observer une liberté certaine quant à l’association de procédés relevant de modes d’expression que l’on range habituellement, par convenance, dans des catégories distinctes (l’illustration/la peinture/la photographie/le cinéma…).
Et en se laissant aller à fermer les yeux, on pourra peut-être ressentir l’état de veille dans lequel se trouvent ces œuvres.
Et si la sentinelle, c’était la peinture elle-même…
Olivier Godeux
Crédit image : Tous droits réservés Thierry Carrier / TWENTYTWO GALLERY /
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Tarifs :
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