La postérité de l’œuvre du baron Gérard d’après les copies

Par Virginie Inguenaud
Romain Cazes, Portrait du roi Louis-Philippe, vers 1834

Romain Cazes (1810-1881), Portrait du roi Louis-Philippe, vers 1834, huile sur toile, 237 x 160 cm (Achat par commande en 1831, Inv. : FNAC PFH-2734). Dépôt à la sous-préfecture de Rochechouart en 1838.

Le Roi Louis XVIII, par Constance Blanchard

Constance Blanchard, Le Roi Louis XVIII, s.d. (Achat par commande à l'artiste en 1822, Inv. : FNAC PFH-500)

En écho à l’exposition en cours au château de Fontainebleau concernant l’œuvre de portraitiste du baron Gérard (1770-1837), les copies d’après cet artiste acquises par l’État pour être mises en dépôt constituent un exemple d’enrichissement des collections nationales et permettent de juger de la postérité de modèles mais aussi de la progressive désaffection d’un genre.

Postérité de l’œuvre du Baron Gérard

Le discours prononcé aux funérailles de François Gérard le 23 janvier 1837 par M. Lebas, de l’Académie royale des Beaux-arts, énumère les tableaux qui firent la gloire de l’artiste : « il fut le peintre de Bélisaire, d’Ossian, de Corinne et de sainte Thérèse ; il fut le peintre d’Austerlitz, d’Henri IV, de Philippe V. Pour rappeler tous ses triomphes, il faudrait citer tous ses tableaux : l’Amour et Psyché, les Trois âges, le Sacre de Charles X, la Peste de Marseille, le tombeau de Sainte-Hélène, et nous ne parlons ni de cette quantité prodigieuse de portraits historiques des souverains et des personnages les plus illustres de l’Europe ». Pourtant, en dépit de cette production foisonnante, seul un petit nombre d’œuvres va retenir l’attention des copistes travaillant pour l’État, tant du vivant de l’artiste que pendant les décennies suivant sa disparition. Seulement 9 originaux serviront de modèles : L’Amour et Psyché, Sainte Thérèse d’Avila, et 7 portraits de souverains ou de personnages en vue.

Œuvres copiées pour l'État

Pour Gérard, comme pour d’autres, soit les orignaux copiés se trouvaient chez des particuliers et il fallait bénéficier de relations pour y accéder (cas du portrait de Lamartine, peint en 1831, copié 1 fois en 1879, avant son entrée dans les collections nationales en 1883), soit ils étaient présentés dans les musées et donc en accès libre (L’Amour et Psyché au Louvre et le portrait d’Alexandre 1er de Russie à Versailles), soit ils figuraient dans les bâtiments officiels (cas des portraits de souverains largement copiés pour être diffusés dans les administrations). Cependant, l’entrée d’originaux dans les collections nationales ne rimait pas forcément avec la confection immédiate de copies. L’Amour et Pysché, entré au Louvre en 1822, n’est pris pour modèle qu’à partir de 1861 et le sera 5 fois jusqu’en 1939. Le portrait du tsar Alexandre 1er illustre également ce décalage. Deux sont achetés en 1837, à la mort de Gérard. Ils entrent au château de Versailles, mais ne sont copiés qu’en 3 exemplaires en 1891 et aussitôt attribués à une représentation diplomatique française en Russie. La date n’est pas innocente : il s’agit du début de l’Alliance franco-russe… Quant au portrait de Mme Régnault de Saint-Jean-d’Angély, il n’est copié qu’une fois, l’année même de son entrée au Louvre en 1879, sans intentions politiques particulières.

Les portraits des souverains français

Ce sont bien évidement les 94 portraits officiels des souverains français qui composent la majorité (89%) des 106 copies réalisées d’après les tableaux de Gérard : Empire, Restauration, ou Monarchie de Juillet, aucun régime n’a oublié Gérard qui avait su conserver la faveur de tous et chaque souverain avait commandé au peintre un portrait d’apparat le représentant : Napoléon, Louis XVIII et Charles X en costume de sacre, Louis-Philippe en uniforme de la garde nationale. Notons que les 13 copies du portrait de Napoléon 1er n’ont pas été acquises pendant son règne, mais pendant ceux de Louis-Philippe (qui avait organisé le retour à Paris des cendres de l’Empereur) et de Napoléon III (son neveu, qui entendait ainsi légitimer son pouvoir). C’est d’ailleurs le portrait de Louis-Philippe qui a le plus été acheté (52), essentiellement pendant les années 1830 car, à partir de 1840, le modèle peint par Winterhalter aura la très nette préférence des autorités et de la critique pour la diffusion de l’image du « roi-citoyen ». Notons que parmi les élèves avérés ou revendiqués du baron Gérard, seuls quelques-uns travailleront pour l’Etat afin de réaliser des copies d’après l’œuvre de leur maître : Julie Duvival (future Mme Hugo, belle-sœur de l’écrivain) réalisera 2 Louis-XVIII (sur un total de 8), Marie-Eléonore Godefroid et Charles Steuben respectivement 3 et 1 Charles X (sur un total de 21).

Place des copies d'après Gérard parmi la collection de peintures gérées par le Cnap

Si le nombre de copies d’après Gérard n’est pas négligeable (106), il ne représente pourtant que 2% du total des copies, tous peintres et modèles confondus, ces mêmes copies comptant seulement pour 16,50% du total des peintures. François Gérard se place parmi les 10 artistes les plus souvent copiés mais n’arrive pourtant que loin derrière Winterhalter, le 1er de la liste grâce aux portraits de Napoléon III et d’Eugénie : un rapport de 1 à 10 s’établit entre les deux artistes au milieu desquels on trouve, par ordre décroissant d’importance numérique, et avec les tableaux ayant le plus retenu l’attention des copistes, Murillo (avec La Naissance de la Vierge, La Vierge au chapelet, L’Immaculée Conception), Prud’hon (avec le Christ en croix, L’Assomption, La Justice divine poursuivant le crime), Titien (avec Le Christ au tombeau), Raphaël (avec La Sainte Famille, La Belle jardinière, Saint Michel, Sainte Marguerite), Lesueur (avec Le Christ et la Madeleine, Le Portement de croix), Champaigne (avec Le Christ en croix, La Cène) et Pils (avec La Marseillaise).

Derniers feux

L’achat de copies d’après Gérard, commencé avec un Louis XVIII en 1816, déclina de façon plus que significative après la chute du Second Empire et pendant toute la 3ème République pour finir en 1939 avec L’Amour et Psyché, ni la critique ni l’époque n’étant favorables au style du peintre et aux portraits officiels de souverains de régimes déchus : seulement 8 copies (soit 7,50%) furent acquises pendant la 3ème République, la quasi-totalité (92,50%) ayant été réalisées entre le début du règne de Louis XVIII et la fin de celui de Napoléon III. La désaffection pour l’œuvre du baron Gérard allait de pair avec le désintérêt croissant pour l’exercice de la copie et sa place prise dans les achats de l’Etat, bien que son rôle formateur et son utilité dans une carrière de peintre aient pourtant été reconnus.

Virginie Inguenaud
Conservateur du patrimoine
Mission de récolement

 

Pour en savoir plus sur l’œuvre du baron Gérard

Institut royal de France. Académie royale des Beaux-arts. Funérailles de M. le Baron Gérard. Discours de M. Lebas prononcé aux funérailles de M. le Baron Gérard le 13 janvier 1837.

Lenormant (Charles). François Gérard, peintre d'Histoire. Essai de biographie et de critique. Paris, 1847.

François Gérard (1770-1837) portraitiste, « peintre des rois, roi des peintres ». Catalogue de l’exposition organisée au château de Fontainebleau du 29 mars au 30 juin 2014. Paris : Éditions de la Réunion des musées nationaux–Grand Palais, 2014.

Pour en savoir plus sur les copies en général

Duro (Paul). « The “demoiselles à copier” in the Second empire », Woman’s art journal, vol. 7, n°1 (spring-summer 1986), pp. 1-7.

Duro (Paul). « Copyists in the Louvre in the middle decades of the nineteenth century », Gazette des Beaux-Arts, 1988, pp. 249-254.

Reff (Theodore). « Copyists in the Louvre, 1850-1870 », The Art Bulletin, 46-4 (1964), pp. 552-559.

Copier créer - De Turner à Picasso, 300 œuvres inspirées par les maîtres du Louvre [exposition], Musée du Louvre, Paris, 26 avril-26 juillet 1993. Paris : Réunion des Musées Nationaux, 1993.

Dernière mise à jour le 21 avril 2021