La Méthode graphique et autres lignes

Helena Almeida, Silvia Bächli, Davide Balula, Emanuele Becheri, Patrick Corillon, Robert Currie, Christoph Fink, Ana Hatherly, Thomas Müller, Marine Pagès, Kees Visser, John Wood & Paul Harrison
Exposition
Arts plastiques
Ecole municipale des beaux-arts /Galerie Edouard-Manet Gennevilliers

Christoph Fink, Matériel de base, São Paulo premier passage, mouvement #21, 1996

Issue de la science expérimentale du XIXe siècle, l’expression « méthode graphique » désigne le développement de procédés de traduction et de quantification des mouvements de la matière et des organismes. Nulle autre innovation technique n’a fait vibrer la frontière entre science et esthétique de façon aussi intense et durable. « C’est l’impression d’assister à de la pure beauté en train de se faire, de se défaire, de se refaire incessamment sous nos yeux » écrit Georges Didi-Huberman à propos des photographies de fluides d’Etienne-Jules Marey, adepte de la méthode ; il ajoute, avec une certitude déconcertante : « inutile d’essayer d’y résister* ». Un siècle plus tard, dans le film American Beauty**, l’appropriation collective d’une esthétique touchée par le mouvement du réel est célébrée par la danse aérienne d’un sac en plastique filmée par un adolescent. En tant que technique, la « méthode graphique » est directement issue de l’invention d’appareils de mesure de ce mouvement. Afin de mieux étudier les flux de la nature, le scientifique essaye de les quantifier. C’est ainsi que, sur un rouleau mobile de papier millimétré, s’inscrivent, sous forme de lignes, les pulsations de la matière. Il est désormais possible de « transcrire sur papier ou sur une surface sensible, par des mécanismes souvent d’une grande ingéniosité, les pulsations, vibrations, ondulations, secousses, tressaillements, frémissements, produits par tous les mouvements de tous les corps vivants ou des objets mobiles*** » : ainsi surgissent les appareils enregistreurs tels que les cardiographes (pour le cœur), les anémomètres (pour le vent), les sphygmomètres (pour le pouls), etc. Des trajectoires précises peuvent en outre être dessinées grâce à la chronophotographie. Ces techniques d’auscultation de la matière produisent des tracés d’une étrange beauté, directement indexés à la vie. Leur intérêt scientifique s’étend et se développe jusqu’à aujourd’hui : des diagrammes de toutes sortes ont envahi l’imaginaire commun. La ligne tracée par la machine ou par transposition peut être assimilée au trait du dessin artistique - elle y introduit, d’ailleurs, le geste de la main (assistée parfois par la machine), ses hésitations, ses recommencements, ses répétitions. Cet avènement d’une ligne sensible au détriment d’une ligne mimétique concerne la plupart des œuvres réunies dans l’exposition. D’autres mettent en exergue le caractère expérimental**** de l’enregistrement et de la mesure des phénomènes dans des fictions pleines d’humour. Cette relation entre le phénomène et sa traduction linéaire détermine ainsi de nouveaux territoires de travail pour l’artiste. Le statut et la fonction du dessin comprennent désormais le déplacement du corps et le mouvement de la matière, leur relation renouvelle ainsi la conception de l’espace et du temps. Ce processus, inauguré par les 3 Stoppages étalon de Marcel Duchamp, s’enracine dans une redéfinition du graphique dans l’art à travers ses outils, sa conception de la trace et sa pensée du mouvement. La représentation du corps et des phénomènes en général est à son tour aſſectée par cette vision. Le corps est interprété comme un cumul de mouvements organiques et mentaux qui peuvent être exprimés tantôt par des diagrammes, tantôt par des sondages d’opinion. Le schéma mental ou simplement idiosyncratique fait son apparition lorsque l’œuvre graphique traduit un parcours imaginaire ou réel du corps, du regard ou de l’écriture de l’artiste. La représentation devient transposition sous forme de cartes, de découpes ou encore de démonstrations. Dès le surgissement de cette rigueur mathématique appliquée aux phénomènes, une réaction artistique se fait sentir, celle d’une dérision fascinée, d’un détournement existentiel et poétique à la fois littéral et latéral. Les artistes réunis ici autour de ce champ thématique sont les héritiers obliques de telles pratiques scientifiques mais aussi de la tradition esthétique qui en prit acte. Les œuvres exposées reprennent le langage de la ligne, de la trace, de la transposition et de la traduction de la matière en mouvement. Le corps de l’artiste ou du spectateur se trouve placé au sein de l’expérience comme s’il était lui-même cet instrument traceur de lignes et étalon de mesure. Tout en s’en inspirant, l’observation de l’artiste est détournée de la précision graphique pour mesurer les conséquences du développement d’un langage diagrammatique. Une beauté abstraite s’en dégage - et une suggestion de l’abstraction comme trace -, ainsi qu’un comique propre à toute mécanique appliquée au corps. Johana Carrier et Joana Neves, commissaires de l’exposition * Georges Didi-Huberman, « Le Mouvement de toute chose », Mouvements de l’air, Etienne-Jules Marey, Photographe des fluides, Paris, Gallimard/RMN, 2004, p. 177. ** Réalisé par Sam Mendes en 1999. *** Laurent Mannoni, « Marey Aéronaute, de la méthode graphique à la souſſlerie aérodynamique », Mouvements de l’air, op. cit., p. 8. **** En 1856 le biologiste et médecin Claude Bernard met au point la « méthode expérimentale ». Par des tests élaborés à travers l’observation des phénomènes, l’expérience est, selon lui, le « critérium » de vérité. La ramification entre l’hypothèse scientifique et artistique nous semble ici tout à fait délicieuse.

Complément d'information

Commissariat : Johana Carrier et Joana Neves pour la Plateforme Roven (Johana Carrier, Jean-Baptiste Couronne, Joana Neves, Marine Pagès et Diogo Pimentão)

Depuis 2006, l’école municipale des beaux-arts · galerie Edouard Manet offre chaque année, le temps d’une exposition, une carte blanche à un ou plusieurs commissaires invités. Ce principe, déjà adopté avec les artistes exposés dans la galerie, laisse une grande liberté d’action - et par conséquent de choix - au commissaire. Il a toute latitude pour concevoir l’exposition qu’il souhaite : la structure met à sa disposition un espace et des moyens logistiques. Ces invitations sont l’occasion d’échanger des points de vue sur la création contemporaine et de diversifier la programmation pour le public.

Après Julien Fronsacq (Objets d’hier et d’aujourd’hui avec Philippe Decrauzat, Aloïs Godinat, Scott King, Mathieu Mercier, Genêt Mayor, Mai Thu Perret. 6 avril-3 juin 2006), Patrice Joly (Peyotl avec Alice Anderson, Véronique Rizzo, Pierre Vadi. 25 janvier-10 mars 2007), Yoann Gourmel (Le Jardin de Cyrus avec Mark Geſſriaud, Alexander Gutke, Joachim Koester, Benoît Maire, Bojan Šarčević, Raphaël Zarka, et avec la participation de Batia Suter, Mark Manders & Roger Willems. 22 novembre 2007-19 janvier 2008) et Anne Bonnin (Sauvagerie domestique avec James Angus, Katinka Bock, Alex Cecchetti, Sophie Dubosc, Dominique Ghesquière, David Renggli, Gitte Schäfer, Gedi Sibony, Miroslav Tichý, Sarah Tritz, Oscar Tuazon, et avec la participation de Gyan Panchal. 19 novembre 2009-9 janvier 2010), c’est au tour de Johana Carrier et Joana Neves d’investir l’école municipale des beaux-arts · galerie Edouard Manet.

Stimulée par le contenu critique de Roven, revue critique sur le dessin contemporain, la Plateforme Roven propose des moyens de poursuivre autrement une recherche qui prend le dessin comme prisme de l’art contemporain dans sa globalité.

« Le caractère expérimental, propédeutique, en lien direct avec les matériaux, du dessin ainsi que son rapport avec le processus et le projet nous engage dans plusieurs chemins d’expérimentation. Ceux-ci trouvent dans les soirées, les expositions ou les workshops que nous organisons des modes d’expression qui complètent certaines réflexions mises en place au sein de la revue, dont celle qui traverse cette exposition : la ligne sensible comme expression du mouvement de la matière et de son énergie mais aussi du geste critique de l’artiste. Ainsi, le dessin est pris, au sein de la plateforme, comme un outil d’investigation et d’auscultation de l’art et de ses diſſérentes pratiques comme l’installation, la sculpture, la vidéo, etc. »

La Plateforme Roven regroupe Johana Carrier (éditrice), Jean-Baptiste Couronne (artiste), Joana Neves (critique d’art et commissaire d’expositions), Marine Pagès (artiste) et Diogo Pimentão (artiste).

Johana Carrier a créé en 2008 et co-dirige, avec l’artiste Marine Pagès, Roven éditions qui publie la revue semestrielle Roven (dont elles sont rédactrices en chef) et des ouvrages sur l’art contemporain. De manière indépendante, elle est coordinatrice de publications liées à l’art contemporain et commissaire d’expositions.

Joana Neves est critique d’art et commissaire d’exposition indépendante. Elle écrit régulièrement pour des catalogues d’artistes, des publications ou des expositions d’art contemporain. Elle fait sa thèse sur le thème de « La Ligne, contact, empreinte et abstraction » à l’ISCTE à Lisbonne (département d’architecture, section de dessin).

Commissaires d'exposition

Autres artistes présentés

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Marine Pagès
John Wood & Paul Harrison

Adresse

Ecole municipale des beaux-arts /Galerie Edouard-Manet 3 Place Jean Grandel 92230 Gennevilliers France

Comment s'y rendre

Depuis Paris 

MÉTRO : Ligne 13 terminus Asnières-Gennevilliers-Les Courtilles + 10 min. à pied ou 3min. Tram 1 arrêt "Le Village".
RER C : Gare de Gennevilliers + 10 min. à pied ou 3min. Tram 1 arrêt "Le Village".

ROUTE : Porte de Clichy, direction Clichy centre, Gennevilliers centre puis Village.

Dernière mise à jour le 2 mars 2020