La gravure naturelle de Seund Ja Rhee

Par Pierre-Yves Corbel
Seund Ja Rhee, La cité de Janvier 74, 1974

Seund Ja Rhee, La cité de Janvier 74, 1974 (FNAC 32482). Gravure sur bois (noyer – Formes naturelles) en 4 couleurs, sur vélin d’Arches.

Transdivarius, gravure de Seund Ja Rhee

Seund Ja Rhee, Transdivarius, 1972, Gravure sur bois en couleurs (Achat à l'artiste en 1972, Inv. : FNAC 31445)

Alphabet des lichens, gravure de Seund Ja Rhee

Seund Ja Rhee, La forêt de la mémoire, 1972, Gravure sur bois en 6 couleurs (Achat à l'artiste en 1977, Inv. : FNAC 32484)

La forêt de la mémoire, gravure de Seund Ja Rhee

Seund Ja Rhee, La forêt de la mémoire, 1972, Gravure sur bois en 6 couleurs (Achat à l'artiste en 1972, Inv. : FNAC 31444)

Replis des sources, paravent de Seund Ja Rhee

Seund Ja Rhee, Replis des sources, 1977, Paravent, Peinture sur papier de soie marouflé sur soie (Achat à l'artiste en 1983, Inv. : FNAC 34311)

L’expérience de l'exil

Comme pour bien des artistes, l’expérience de l’exil a été essentielle dans l’œuvre de Seund Ja Rhee (1918-2009). Exil particulièrement douloureux dans son cas, puisqu’elle décide à 33 ans de laisser derrière elle son pays, la Corée du Sud, mais aussi sa famille et ses enfants pour répondre à l’appel de sa vocation profonde. Cette rupture fondatrice - qui rappelle celle accomplie à la même époque par l’écrivain Doris Lessing – témoigne d’une détermination rare et d’une foi absolue en son destin d’artiste.

Arrivée à Paris en 1951, parlant à peine le français, Seund Ja Rhee affronte avec courage les difficultés du choc culturel et d’une vie matérielle précaire. Elle se forme à la peinture et à la gravure dans les ateliers de Henri Goetz et de S.W. Hayter où elle absorbe les influences des divers courants artistiques contemporains, mais sans vraiment trouver sa voie propre. « Plus son style s’occidentalisait, plus (elle) se perdait…renonçant à elle-même pour être comme tout le monde » (G.Boudaille).

Le chemin de la création, Seund Ja Rhee le trouvera vers 1959, à travers la découverte d’une technique – la gravure sur bois – qui deviendra son mode d’expression privilégié et à travers le développement d’un style graphique, marqué par les symboles et les caractères des écritures coréenne et japonaise.

La gravure naturelle

Plus qu’une technique, la gravure sur bois est pour Seund Ja Rhee un exercice physique et spirituel qui la relie à la Nature, en particulier aux arbres pour lesquels elle éprouve un respect et une vénération particulière. A travers le bois, l’artiste retrouve les souvenirs du jardin de son enfance, des forêts et des montagnes de Corée.

Absolument respectueuse du monde végétal qu’elle exalte et qui est la matière première de son travail, S. J. Rhee refuse l’intermédiaire mécanique de la presse. Elle imprime ses planches elle-même à la main, en s’aidant de rouleaux, ou en appliquant les bois gravés sur le papier comme des tampons, dans un geste qui fait de chaque estampe une œuvre unique. Le même soin préside à la fabrication et à l’application des encres, encres denses et de couleurs vives, à l’épaisseur sensible.

Travaillant d’abord sur des bois de forme régulière, souvent rectangulaire, S. J. Rhee se libère au milieu des années 60 de ce cadre conventionnel pour graver sur des « formes naturelles », c’est-à-dire des branches ramassées dans la nature qu’elle découpe dans le sens du fil ou dans leur épaisseur, et qui conservent donc à l’impression leur forme végétale originelle. Elle y incise des séries de signes concentriques évoquant les caractères de l’écriture coréenne ou japonaise, comme autant de sceaux apposés sur la précieuse collection de végétaux d’un naturaliste.

À partir de 1972, l’artiste élargit sa réflexion au monde a priori antithétique de « la Cité », celui des grandes métropoles, créations artificielles par excellence… mais dans lesquelles elle retrouve cependant les mêmes principes organiques que dans la Nature : unité cellulaire, pôles contraires et complémentaires, rivières qui séparent et unissent. Cette nouvelle réflexion l’amène à privilégier des formes concentriques simples et imbriquées, inspirés des symboles du Yin et du Yang, remontant ainsi une fois encore aux sources de son héritage asiatique.

Plus tard, vers 1976, S.J. Rhee colore le fond de ses estampes à l’aérographe (petit pistolet à peinture), pour faire ressortir les formes des branches appliquées préalablement sur le papier ou pour créer des formes sinueuses évoquant un horizon de montagnes ou la surface mouvante de la mer. Sur ce fond  - donnant une  dimension de profondeur à ses œuvres-  elle ajoute en « surimpression » les éléments gravés de ses créations antérieures, formes végétales naturelles, sceaux orientaux, symboles de la Cité…

Témoignage ultime de la cohérence de son itinéraire d’artiste, S.J.Rhee se fera construire à la fin de sa vie une maison-atelier (« Rivière argent »), à Tourettes-sur-Loup près de Vence, constituée de deux bâtiments semi-hémisphères, sur le modèle des symboles qu’elle affectionnait.

S.J. Rhee dans les collections du Cnap

L’œuvre de S.J. Rhee est particulièrement bien représentée dans les collections du Cnap, puisqu’on y compte pas moins de 18 gravures et 4 huiles sur toile, acquises par l’Etat entre 1967 et 1983. Les 18 gravures, datées entre 1964 et 1977, offrent un panorama complet de l’évolution stylistique de cette artiste attachante qui, au-delà de l’arrachement de l’exil, a su créer son propre univers d’harmonie et de sérénité, à la confluence des deux cultures qui l’ont inspirée.

 

Pierre-Yves Corbel
Conservateur en chef du patrimoine
Mission de récolement

Pour en savoir plus

LEROY-CREVECOEUR Marie, COMENTALE Christophe. Seund Ja Rhee : catalogue raisonné de l’œuvre gravé, 1957-1992. Villenave d’Ornon : Editions Fus-Art, 1994. 

ALLEMAND Yvonne. Trois graveurs : Seund Ja Rhee, James Guitet, Yves Milet. Saint-Etienne : Maison de la Culture et des Loisirs, 1979.

PERSIN Patrick-Gilles. Seund Ja Rhee : Rivière Argent. Paris : Orme Edition, 1996.

Dernière mise à jour le 2 mars 2021