LA GRAVEDAD

Exposition
Arts plastiques
Michel Rein, Paris Paris 03

« Devant toute image, ce qu’il faut se demander,
c’est en quoi elle (nous) voit, elle (nous) pense et elle (nous) touche. »

      La gravité peut signifier de nombreuses choses, c’est vrai, mais c’est avant tout une force. Une force d’attraction. Quand l’artiste lance des morceaux de papier noir dans un ciel clair et transparent, c’est cette force qui est à l’œuvre pour les faire retomber jusque sur Terre – légers, fragiles, vaporeux. De même, lorsque, jouant sur les contraires, il éclaire de petits papiers blancs sur fond de nuit noire, il crée un contraste encore plus hypnotisant. « Pour moi, ces papiers sont comme des âmes jetées dans le ciel, des idées, des contestations, des voix silencieuses [que l’on a fait taire], mais ils évoquent aussi l’aspect sphérique du monde, la nuit qui règne ici, alors qu’ailleurs il fait jour », déclare Enrique, effleurant ainsi une notion très borgésienne, de la circularité du temps et de « l’éternel retour », c’est-à-dire la nature cyclique des choses qui fait que les événements se répètent, encore et encore, quoi que l’on fasse pour l’en empêcher.

     Mais où vont ces âmes auxquelles Enrique fait allusion ? D’où viennent-elles ? Certaines semblent se rapprocher de l’objectif pour qu’on puisse les voir de près. Elles flottent en une sorte de masse, de façon presque chorégraphique et pourtant chacune porte sa propre lumière. Elles semblent libres, indépendantes, heureuses d’être, de s’abandonner à la brise et au vent.

     Même si l’œuvre d’Enrique ne dédaigne jamais la puissance de la beauté, la gravité se loge avant tout dans les problématiques qu’il aborde. L’histoire politique chilienne – mais également argentine, pays frères par la cruauté de la violence et des disparitions forcées – traverse son œuvre avec fulgurance, prenant de l’ampleur pour aller résonner sur d’autres territoires, d’autres paysages qui semblent eux aussi porter en eux les traces de la perte, de l’injustice, de l’intolérance. C’est sans doute cette force qui donne le plus de puissance à son œuvre : celle de la gravité de notre temps présent, sans avenir envisageable, celle d’une humanité qui n’a pas été capable de comprendre et d’apprendre des erreurs (et des horreurs) du passé, qui avance inexorablement vers l’abîme d’une existence vide et insignifiante.

    Mais l’art semble refuser de se résigner et les œuvres d’Enrique, comme toute œuvre ayant recours à des images hautement poétiques, impliquent le spectateur en  interpellant son regard, sa pensée. C’est la force de gravité qu’exerce l’art, une force d’attraction qui s’exerce entre l’œuvre et celui qui l’aborde, une force qui nous pousse à continuer de regarder, de penser et qui réaffirme le caractère dialectique (dans le sens de dialogique) de la pratique artistique. Ainsi, encore une fois, les œuvres d’Enrique Ramírez font honneur à sa puissance argumentative et sa capacité à fournir des supports qui stimulent la puissance de la pensée, mais surtout, à son indéniable capacité à dire le politique.
Florencia Battiti
septembre 2016

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Dernière mise à jour le 2 mars 2020