Jean Bazaine, Oeuvres reçues en Dation

Exposition
Arts plastiques
Centre Pompidou Paris 04
L'exposition ne présente volontairement qu'un choix restreint de l'oeuvre immense de Jean Bazaine. Il s'agit, dans la Galerie d'art graphique, de montrer les oeuvres reçues en dation et quelques oeuvres appartenant déjà à la collection du Musée national d'art moderne. Elle permet aussi de découvrir l'aspect graphique de son travail encore presque inédit. Dans la conscience de Bazaine, le monde n'existe jamais à l'état figé. Il est, bien au contraire, toujours en formation, en perpétuel devenir. Cette « continuité fluide du réel », selon les mots de Bergson qu'il a beaucoup lu, unit le mouvement et les formes dans une dynamique de l'être sans cesse interrogé. « Une seule règle demeure, absolue : à chaque toile nouvelle avoir perdu le fil », dira Bazaine. L'avènement du naturel En 1939, Bazaine est mobilisé et se retrouve aux avant-postes en Lorraine. « C'est là que mon dessin a commencé à ne plus être réaliste. Plus j'étais en communion avec la réalité, plus je m'écartais de la représentation. Je commençais à sentir le monde autrement, avec plus d'intensité. » (1) Jusqu'à sa mort Bazaine va peindre et dessiner en renouvelant cette expérience primordiale : il n'est plus face mais « dedans », son dessin s'est « incarné » loin de toute cette abstraction formelle, lyrique ou tachiste dans laquelle on a voulu l'enfermer. Ce n'est pas la représentation du paysage qui l'intéresse mais c'est la nature dans ses éléments essentiels, l'eau, la lumière, l'espace, qui capteront l'attention du peintre. Ainsi Bazaine à la fin de sa vie parle encore de cette quête inlassable, « ce vide que les années creusent en nous plus profondément, cette faim violente d'une réalité « extérieure », qui prend lentement la forme de notre réalité la plus secrète (...). Dessiner d'après nature n'est pas un travail de « documentation », et le dessin une fois incorporé, peu importe si le peintre l'oublie (...) le meilleur de cet exercice est qu'il nous donne le vertige, tant cette nature à notre ressemblance échappe un peu plus chaque jour aux tentatives pour la circonscrire, tant l'abîme se fait plus mystérieux, plus indéchiffrable à chaque plongée. » (2) Son oeuvre surgit d'une émotion profonde ressentie à certains moments et que l'artiste appelle « la force ». « Cette force, dit-il, combien de fois l'ai-je subie ? Telle texture du paysage de Lorraine (totalement oubliée mais liée au souvenir du froid et de l'inquiétude), resurgie dix ans plus tard dans une toile - l'Hiver - qui n'avait nulle prétention à être figurative.... L'Espagne traversée sans notes, ressortie malgré moi, contre moi, longtemps après... ». (3). C'est pourquoi chaque dessin, peinture, aquarelle, quelque soit son format, dégage une tension et même une violence caractéristiques de son univers. Auprès de mon arbre... Bazaine travaille beaucoup d'oeuvres pendant les années 1943-49 sur le thème de « l'arbre » à cause de sa ressemblance avec la figure mais surtout pour le changement qu'il opère dans sa perception de l'espace. « Le jour lointain, où essayant de dessiner un arbre, je me suis aperçu que l'espace entre les branches n'était derrière que parce que nous le savions et pouvait aussi bien être devant, ou flotter dans l'espace, le monde a changé de forme, c'est devenu un monde en respiration, plus riche et plus insaisissable » (4). L'arbre et ses branches forment une trame secrète qui unifie l'espace et crée le va et vient entre la surface et la profondeur. L'oeuvre intègre désormais le mouvement. À partir de 1947-48, la figure disparaît peu à peu pour laisser la place à une trame de plus en plus serrée et dense de petites touches qui soulignent les vibrations de l'espace et de la lumière. Les bleus se font se font plus bleus, les rouges plus rouges. Au tournant des années 1970, nouveau changement : la trame éclate pour embrasser dans un geste ample les rythmes sous-jacents, le plus souvent ascendants ou circulaires, qui engendrent et parcourent la toile. (Saint Guénolé), c'est sans cesse la naissance du monde dira Bazaine de ce petit port breton, qu'il découvre en 1936. C'est aussi la rencontre avec l'univers aquatique qui hantera son oeuvre. L'eau est une turbulence du réel où le temps n'a pas de prise. Ainsi jailliront en 1966 une extraordinaire série de dessins à la plume (plus d'une cinquantaine) dans lesquels se livre une bataille de traits aux accents précis, rapides qui font vibrer le blanc du papier et se confondre le ciel et la mer dans un espace devenu totalement mental. Comme il le dira à propos de ses carnets réalisés sur le motif « la sensation a pris le dessus sur la réalité soi disant objective». « Cet univers de terre et d'eau aux formes répercutées à l'infini comme un jeu de miroirs » le fascine également lors de ses séjours dans le Zeeland en Hollande. Bazaine a trouvé « l'inconscient de la matière » au sens bachelardien du terme et une liberté toujours plus grande. Dans un beau livre, Hollande, le grand poète Jean Tardieu écrira sur ces petites gouaches, où malgré leur petitesse se concentre un cosmos immense : « (...) Un trait - la barque s'en va. » « Un tableau de Bazaine exige un voyage de l'oeil, une écoute qui transforment le saisissement du spectateur en enfouissement dans la profondeur mystérieuse de l'oeuvre... » Bernard Ceysson (5) 1, 2, 3 Jean Bazaine, Exercice de la peinture, Paris, Seuil, 1973 4 Catalogue Bazaine. Dessins 1951-1988, musée Matisse, Le Cateau-Cambrésis, 1988. Entretien de l'artiste avec Jean-Pierre Greff. 5 Bernard Ceysson, La Tradition française, Bazaine, Genève, Skira, 1990 Remerciements à Jean-Pierre Greff pour son livre Jean Bazaine, éd. Ides et calendes, Neuchâtel, 2002

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Dernière mise à jour le 2 mars 2020