Intrusion - Raúl Illarramendi

Exposition
Arts plastiques
Galerie Karsten Greve Paris 03
Raúl Illarramendi, EA n267, oil, oil pastel, color pencil and gouache on canvas, 70 x 60 cm, 2022

Intrusion : 1. Acte ou instance d’intrusion. 2. État (subissement) d’intrusion (Collins English Dictionary).

 

La Galerie Karsten Greve a le plaisir de présenter « Intrusion », la nouvelle exposition personnelle de l’artiste vénézuélien Raúl Illarramendi, sa quatrième dans notre espace parisien. L’artiste y dévoile un ensemble inédit des œuvres photographiques à l’origine de son travail, aux côtés des nouveaux tableaux de la série « Evidence of Absence » (EA). L’exposition « Intrusion » montre une nouvelle étape dans son travail, une évolution dans la matérialité : depuis le premier confinement au printemps 2020, l’artiste s’est confronté à d’autres matériaux explorant les potentiels de superpositions. Vécue intensément, la nouveauté apparait d’abord comme intrusive, avant de se laisser apprivoiser progressivement.

 

« L’autrefois rencontre le maintenant dans un éclair. En effet, l’empreinte est-elle perte de l’origine ou contact de l’origine ? ». L’historien de l’art et théoricien Walter Benjamin nous interroge sur le rapport-même à la notion d’origine. L’empreinte – ou bien dans le cas des œuvres de Raúl Illarramendi la reproduction des empreintes – produit une forme et une contre-forme, deux opposés unis par un contact direct physique à un moment donné. La caractéristique physique, celle de la forme initiale, en fait une source infinie de paradoxes et spéculations. « L’empreinte est l’image dialectique », écrit le philosophe Georges Didi-Huberman. Convaincante, elle n’est pourtant pas un sujet fantôme, abordant autant la présence que l’absence du référent et interrogeant le contact ou la perte du contact.

 

Raúl Illarramendi regarde l’invisible. C’est dans les rues que l’artiste trouve ses sujets, observant les traces intentionnelles ou accidentelles laissées après le passage des inconnus. Aussi éphémères soient-elles, elles deviennent des vestiges de la civilisation actuelle. Sur ses tableaux s’accumulent des camaïeux de couleurs imitant ces vestiges industriels, sorte d’art pariétal contemporain. Parfois, un mot, une empreinte de main, ou un symbole de culture populaire semblent prendre le dessus quelque part entre le figuratif et l’abstrait, disparaissant néanmoins dans un brouillard du passé.

 

Ses sujets, Raúl les trouve également dans les traces laissées par le processus d’aménagement urbain, qui fait la part belle aux larges surfaces de bétons. La manipulation de leur surface, mais aussi les intempéries et l’usure du temps qui passe laissent des traces et altèrent les couleurs.  L'artiste se retrouve alors confronté à cette nouvelle dialectique qui devient peu à peu porteuse de sens et d'informations visuelles. Raúl Illarramendi se positionne comme héritier de ces changements, dans cet entre-deux où l’abstraction s’impose depuis l’extérieur dans l’intimité de son atelier.

L’empreinte documentée par Illarramendi garde la mémoire de celui qui l’a laissée et devient une effigie de leur passage.

 

Photographiées, les surfaces trouvées et cataloguées sont tirées de leur contexte, et le cadrage empêche de s’accrocher à un lieu précis. Dans ses toiles, l’artiste fait un portrait de ces traces, superpositions et craquelures, le portrait de quelque chose prédestiné à la disparition. De cette manière, il rend pérennes les marques, seuls témoins d’un référent disparu. Le hasard y est maître, car impossible de prévoir ni la naissance, ni la durée, ni la disparition de ces repères. En observant les traces anonymes laissées sur les parois des villes ressort le témoignage de la présence des habitants, de l’appropriation du lieu. Raúl Illarramendi s’apprivoise ces messages à travers l’accumulation des clichés spontanés qu’il superpose pour créer une multitude de strates. En observant les murs et les espaces publics, l’artiste documente la vie des habitants, leur familiarité avec ces lieux, leur manière d’« y avoir été ».

 

En s’appuyant sur ce large corpus photographique documentaire exposé ici pour la première fois, Illarramendi fait un prélèvement de la réalité et en propose une interprétation personnelle. Les photographies titrées « EA Source » exposent à la vue de tous des traces, empreintes, coulures qui sont à la genèse de ses œuvres. Le mot « Source », comme la genèse, fait son entrée dans le titre des œuvres, venant épauler « EA » (« Evidence of Absence »), le titre universel de cette série d’œuvres de l’artiste qui fait référence au langage et à la communication. « Evidence of absence is not the absence of evidence [1]», appuie Illarramendi, en faisant référence à la nature de son sujet, souvent vu comme une pollution visuelle.

 

« Je représente des marques et des traces laissées par une activité spontanée, mais les marques et les traces que j'utilise pour les créer disparaissent dans l'acte », affirme l’artiste.

 

Le tableau EA n°267, comme toutes les œuvres exposées, est née de la réappropriation de ces accidents spontanés. En invitant la couleur et la matière, les « tâches » éclosent dans des pétillements colorés qui imitent les coulures accidentelles ou les écritures sur les parois urbaines. Le résultat est une dichotomie entre abstraction et figuration, une image presqu’amorphe prête à se plier à l’imaginaire de son regardeur. « Je suis intéressé par le développement d'une représentation cohérente et factuelle d'un sujet qui n'en est pas vraiment un et où le dessin n'est pas vraiment un dessin mais plutôt quelque chose de plus proche de la peinture, à la fois mécaniquement et conceptuellement », explique l’artiste. Ce “non-sujet” est à la lisière entre la figuration (puisqu’il montre des choses qui ont existé) et l’abstraction (les sujets ne le sont pas vraiment, au final). Dans ses nouvelles toiles, Illarramendi laisse une impression sur la toile, celle de plaques martyre enduites d’encre à l’huile, qui permettent à l’artiste une nouvelle exploration du geste, de la matière et de la technique.

 

Dans son travail, Raúl Illarramendi différencie le dessin et la peinture. Le dessin apparaît comme factuel, direct, précis. La peinture, elle, est trompeuse, séduisante. Sa nature fluide s’oppose à la sécheresse du crayon, que l’artiste manie avec une maîtrise qui lui permet de le masquer, dissimuler et imiter une substance fluide. Pourtant, la foi de l’artiste dans le dessin lui permet d’imiter ces traces à travers sa maîtrise du médium, qui nous fait oublier son geste et la trace du crayon : « Le dessin est oublié de deux manières : d'une part, par l'utilisation d'une technique polie, laissant peu de traces mécaniques du crayon, et d'autre part, par l'image produite, représentant l'esthétique et l'expérience sensorielle d'un médium complètement différent. » L’artiste questionne : « à quel moment l’accident (comme les coulures de la peinture) sont entrées définitivement dans l’atelier de l’artiste sans en être chassées ? » Comment l’accident a-t-il fini par être absorbé dans l’atelier ? En réintroduisant la peinture, l’artiste retrouve une liberté du geste, qui doit apprendre à faire avec cette nouvelle intrusion matérielle, dans l’atelier et sur la surface des tableaux.

 

[1] « Une preuve d'absence n'est pas l'absence de preuve ».

Complément d'information

Né en 1982 à Caracas, au Vénézuela, Raúl Illarramendi débute sa formation artistique en 1998 comme apprenti du peintre Felix Perdomo. Il devient membre du Circulo de Dibujo du musée d’Art contemporain de Caracas Sofia Imber avant d’aller étudier les beaux-arts et l’histoire de l’art à l’University of Southern Indiana, à Evansville, aux États-Unis. Il étudie ensuite à l'Université Jean Monet à St. Étienne, en France, pour obtenir une maîtrise de beaux-arts. Les œuvres du jeune artiste vénézuélien, qui a reçu de nombreuses bourses et prix, sont régulièrement présentées dans des expositions individuelles et collectives en Europe, en Amérique latine et aux États-Unis. Le Centro de Artes Visuales-Fundación Helga de Alvear à Madrid, en Espagne, la collection de la Société Générale en France et la Stichting Paul van Rensch Art Foundation, aux Pays-Bas, font partie des collections qui ont acquis ses œuvres. L'artiste vit et travaille à Méru, en France et est représenté par la Galerie Karsten Greve depuis 2013. Il est actuellement en résidence de recherche au Musée des Beaux-Arts de Cambrai où il aura sa première exposition institutionnelle avec la présentation de sa série Offerings du 26 juin au 16 octobre 2022.

Adresse

Galerie Karsten Greve 5 rue Debelleyme 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 31 mai 2022