Plateau 4 en ligne

« Inquiétances des temps »
Projection/Diffusion audio

IV. Portes battantes – Œuvres ouvertes (essais documentaires)
24 juillet-29 août 2021

« Dans les contes, l’inquiétance du temps est indissociable du motif de la porte. Que nous faut-il laisser entrer ? Que doit-on à tout prix laisser dehors ? Nos ancêtres sur le continent européen n’avaient pas cette chance qu’avait Ulysse en Méditerranée de pouvoir mettre les voiles : en cas de danger, il prend le large. Impossible de déplacer les maisons aussi vite », écrit Alexander Kluge dans L’Inquiétance du temps.

Bien des œuvres contemporaines inventent leur propre forme au fur et à mesure que s’élabore leur écriture, en prenant la forme de l’essai. De Montaigne à Diderot, de Paul Valéry à Robert Musil, de Theodor W. Adorno à Roland Barthes, l’essai est l’exercice de la mesure, la pesée, la vérification et la validation d’un territoire, bien souvent de façon fragmentaire et paradoxale.

Ici, les films se constituent en déconstruisant leur commentaire, en multipliant les conversations, les trajectoires des images entre elles. Cette conception des œuvres ouvertes s’apparente à la « philosophie portes battantes » propre à la démarche anthropologique de la philosophe Claude Imbert. L’image féconde des « portes battantes » rejoint ici le postulat artistique de Marcel Duchamp selon lequel une porte ne saurait être ni ouverte ni fermée. Il désigne l’intégration des contraires comme moteur favori de la pensée duchampienne ainsi qu’une désacralisation de la figure de l’auteur.

13 films

Lamine Ammar-Khodja, Demande à ton ombre, 2012, 82’
Huit ans après avoir quitté son pays, l’Algérie, pour venir s’installer en France, le cinéaste décide de rompre avec cet exil et de retourner à Alger, le 6 janvier 2011, alors que des émeutes populaires se déclenchent dans tout le pays. Sous la forme fragmentaire d’un film-essai, il tente de se réapproprier son histoire en tenant la chronique d’un retour au pays natal en crise, tout en rendant hommage en filigrane au Cahier d’un retour au pays natal, d’Aimé Césaire. Loin de s’en tenir à l’expression d’une singularité, Demande à ton ombre croise des questions personnelles avec celles d’un peuple en marche. Porté par un jeu fragmentaire d’images, de collages, le film adopte une forme ouverte, maintenant l’analyse historique irrésolue, rendant toute fin conclusive impossible.

Lamine Ammar-Khodja, Demande à ton ombre, 2012, 82’

 

Marwa Arsanios, Who Is Afraid of Ideology? Part I, Part II, 2017-2019, 22’20”, 28’
Le film de la cinéaste libanaise Marwa Arsanios est traversé par des questions en écho à son titre. Se plaçant elle-même au centre du dispositif filmique, elle demande : « Qu’est-ce qu’un lieu ? Qu’est-ce que la nature ? Que signifie être là ? Que signifie être un nous ? » Trois lieux ensuite incarnent le théâtre de ces questions portées par trois groupes de femmes : les montagnes du Kurdistan, le village Jinwar du Rojava, en Syrie, la plaine de la Bekaa au sud du Liban. La cinéaste s’attache à filmer des groupes de femmes réfugiées œuvrant au sein de communautés à l’auto appropriation des moyens de subsistance et de productions, dans une perspective écoféministe. 

Marwa Arsanios, Who is afraid of ideology? Part II, 2019

 

Filipa César, Mined Soil, 2012-2014, 32’
L’artiste polygraphe a très tôt placé son travail à la croisée du cinéma expérimental et du documentaire. La figure du passeur-archéologue hante Mined Soil : l’œuvre dresse le portrait de l’artiste en anthropologue de son propre travail, menant une enquête exacte sur l’histoire du Portugal et de l’Afrique, et sur les conditions de sa transmission. L’artiste s’intègre elle-même dans le dispositif de projection, filmée en train de lire les relevés de son enquête sur l’exploitation des sols du Portugal et de l’Afrique, comme un système organisé et planifié par les grandes puissances européennes et extra-européennes. À travers une cartographie de la question coloniale, Filipa César se livre à une cartographie de la question du pouvoir.

Filipa César, Mined Soil, 2012-2014, 32’

 

Jordi Colomer, Medina-Parkour, 2013, 3’05”
Vidéaste, architecte de formation, l’artiste catalan Jordi Colomer mène depuis plusieurs années un travail très singulier autour de l’architecture — une sorte de clin d’œil adressé à l’« anarchitecture » de Gordon Matta-Clark — et de sa confrontation à l’image, à la perception. À travers des installations, des vidéos, des photographies, l’artiste explore les multiples relations qui se nouent entre l’architecture et son modèle, entre l’espace et le réel. Filmant des maquettes comme des territoires urbains, photographiant des architectures pour en concevoir ensuite le modèle, il s’attache à brouiller les coordonnées spatiotemporelles, à établir des courts-circuits entre des jeux d’échelles disparates. En une échappée poétique, l’artiste se filme sautant d’une terrasse à l’autre, un sac de pain à la main, pour une promenade saugrenue dans la ville de Tétouan selon un itinéraire en hauteur.

Jordi Colomer, Medina-Parkour, 2013, 3’05”

 

Jordi Colomer, Architectes (Tétouan), 2013, 18’24”
Ce film documentaire a été conçu dans l’économie d’un film réalisé avec les étudiants de l’école d’architecture de Tétouan. Jordi Colomer sillonne la ville selon un cheminement piétonnier qui redistribue au fur et à mesure l’espace public commun. L’œuvre donne aussi à voir un hommage rendu à un artiste éphémère, en filmant la réalisation d’une maquette fabriquée en pain et représentant une des terrasses de Tétouan.

Jordi Colomer, Architectes (Tétouan), 2013, 18’24”

 

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Le Film perdu, El Film el Mafkoud, 2003, 42’
Le travail des deux artistes libanais Khalil Joreige et Joana Hadjithomas porte sur les représentations arabes contemporaines. À travers des dispositifs d’images, de textes, de films et de sons, ces deux artistes interrogent la production de l’image de soi, des identités collectives, dans la perspective de l’espace public urbain, lieu de constitution des identités culturelles, principalement celles du Liban. Le Film perdu dessine les hypothèses de la disparition d’une copie du premier long métrage des deux cinéastes, Autour de la maison rose. Le 22 mai 2000, date anniversaire des 10 ans de la réunification du Yémen, ceux-ci reçoivent un e-mail leur signalant la disparition de leur film, dans un pays où le cinéma est quasi absent pour des raisons politiques. Le 22 mai 2001, les réalisateurs entreprennent un voyage au Yémen à la recherche du film perdu, du nord vers le sud du pays.

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Le Film perdu, El Film el Mafkoud, 2003, 42’

 

Salomé Lamas, A Torre, 2015, 8’
Salomé Lamas place le cinéma documentaire dans le contexte élargi de l’ethnographie, de l’Histoire, de l’œuvre de mémoire et de la fiction. L’artiste s’attache à débusquer les espaces interstitiels que le film peut habiter pour fixer le moment suspendu, comme dans A Torre (2015) et The Burial of the Dead (2016), portant à son incandescence la temporalité propre à la parafiction, qui est la recherche d’un point de bascule perpétuel, entre objectivité et subjectivité, entre fiction et non-fiction. Les longs plans-séquences du film A Torre filmés à l’entrée d’une forêt d’Europe centrale mettent en scène l’énigme d’un promeneur solitaire qui a choisi de se déplacer de la cime d’un arbre à un autre.

Salomé Lamas, A Torre, 2015, 8’

 

Naufus Ramírez-Figueroa, Incremental Architecture, 2015, 12’41”
L’artiste guatémaltèque Naufus Ramírez-Figueroa fait de l’espace filmique le précipité de toute la diversité de son œuvre, composée de sculptures, de dessins, de performances consacrés à l’évocation de l’histoire du Guatemala passée et présente. L’imaginaire maya et les mythologies contemporaines ne cessent de dialoguer dans ses œuvres, qui interrogent des récits de rêves, l’architecture, le théâtre, la performance et les effets des récits et des mythes sur le corps. Mémoire collective et mémoire personnelle, identité et déplacement en constituent les notions fondamentales. Son œuvre dénonce d’une manière directe les méfaits de la colonisation du XVIe siècle et de la confiscation des terres, qui ont conduit à la guerre civile de 1960-1966. Le film Incremental Architecture évoque sur le mode imaginaire d’une performance l’architecture guatémaltèque, en une mise en jeu du corps dans l’espace.

Naufus Ramírez-Figueroa, Incremental Architecture, 2015, 12’41”

 

Olivier Zabat, Miguel et les mines, 2001, 55’ (5 films)
L’œuvre d’Olivier Zabat revendique l’entre-deux d’une approche documentaire et d’une approche plastique, maintenant sa recherche entre information et expériences visuelles. Avec Miguel et les mines, Olivier Zabat livre un film qui est une enquête sur les mines antipersonnel et les techniques de déminage, ainsi qu’un essai fragmentaire déployé en six parties évoquant des situations de violences, à travers des témoignages toujours tenus à distance par l’artiste. À l’artiste lui-même sont dévolus la place et le rôle du témoin principal. En outre, le cinéma d’Olivier Zabat invente une place singulière pour le spectateur : un espace de lecture, d’attente, d’inquiétude, ménagé par le travail de décryptage patient mené par le cinéaste, dévoilant ainsi des niveaux, des degrés inédits du réel. Les films d’Olivier Zabat nous conduisent à découvrir des réalités qui se succèdent : chaque réalité mise en exergue en entraîne toujours une nouvelle, créant une sorte de suspense.

Olivier Zabat, Miguel et les mines, 2001, 55’

Complément d'information

Du samedi 24 juillet au dimanche 29 août sur la chaîne YouTube de l’Abbaye de Maubuisson et sur le site www.inquietances-des-temps.com

Hors-Champ, 4e épisode, samedi 24 juillet à 18h

Projections spéciales de Olivier Menanteau Z, il est toujours vivant et Aude Fourel Pourquoi la mer rit-elle ?, samedi 24 juillet à 20h30

Commissaires d'exposition

Dernière mise à jour le 17 mai 2021