Iconographie

l’œuvre comme collection d’images
Exposition
Arts plastiques
Les coopérateurs Limoges

Joan Rabascall, Love story TV, 1996
Photographie couleur, 20 x 30 cm
Collection FRAC Limousin
© Adagp, Paris

L’exposition de l’automne-hiver 2015-16 est une collaboration entre le FRAC-Artothèque du Limousin et le Centre des Livres d’Artistes (CDLA) autour du thème de l’œuvre comme collection d’images. Présentée à la galerie des Coopérateurs à Limoges et dans les espaces du CDLA à Saint Yrieix la Perche, cette exposition croise les collections selon une grille de recherche où sont présentées des œuvres emblématiques de certaines démarches apparues dans les années 60-70 au moment de l’émergence de l’art conceptuel, et de certains artistes plus jeunes. On y trouve ainsi toute une génération d’artistes européens nés dans les années 30 et 40 (Ramon, Rabascall, Messager, Selz, Feldmann, Mahé, Ernest T.,..) qui fait usage des techniques nouvelles (pour l’époque) d’impression d’images (photographie n/b, puis couleur, tirée sur toile ; sérigraphie; photocopie ; table lumineuse, etc..) confrontée à la génération suivante visiblement très à l’aise avec l’image électronique et la civilisation des loisirs.

Cette exposition explore le très vaste thème de l’iconographie, en privilégiant notamment l’œuvre comme collection d’images trouvées. Cette préoccupation n’est pas nouvelle dans l’art, mais elle a pris un souffle très important au XXème siècle. Citons quelques jalons importants :

Le développement de 1925 à 1929 de l’Atlas Mnémosyne par l’historien d’art Aby Warburg est considèré comme une nouvelle méthode de recherche et d’analyse en histoire de l’art à partir du montage d’images sans aucun commentaire.(1)
   Lorsqu’il passe à l’Ouest en 1961, Gerhard Richter débute l’Atlas, une collection d’images photographiques dont le but ultime ne semble pas très clair, même pour lui. Organisé selon un système  de présentation traditionnelle de grille rectangulaire, les images semblent avoir été choisies pour leur valeur sentimentale d’enregistrement de moments et de sujets de l’histoire familiale. Seule une image des quatre premiers panneaux sera transposée en photo-peinture. Puis l’Atlas s’enrichira de photographies amateurs trouvées, de photographies publicitaires et de presse où, pour reprendre l’expression de B. Buchloch, l’artiste « contemple les usages sociaux dominants de la photographie et leur fonction artistique potentielle de l’extérieur, avec une attitude de profond pessimisme. L’Atlas de Richter semble considérer la photographie et ses différentes pratiques comme un système de domination idéologique et plus précisément comme un des instruments avec lequel l’anomie collective, l’amnésie et la répression sont inscrits socialement. » (2)
Rappelons également que le couple de photographes allemands Bernd et Hilla Becher commença sa collection photographique de typologies d’architectures industrielles à partir de 1958, et que le travail de Christian Boltanski, notamment basé sur l’archéologie de sa mémoire d’enfant, puis des albums de photos de famille, de classe, débute à la fin des années soixante.

    En confrontant des collections d’images choisies et présentées par des artistes d’une même génération, l’exposition suggère différentes hypothèses d’interprétation.
Ainsi, la présence de plusieurs œuvres de Joan Rabascall (né en 1935) précise son acuité dans l’analyse des mass-media et l’envergure de sa recherche sur le statut de l’œuvre d’art.
Une vaste salle est consacrée à Hans-Peter Feldmann (né en 1941). Depuis les années soixante, l’artiste s’attache à la collection et au classement d’images de toute nature. D’abord diffusées sous la forme de livres auto-édités, ses œuvres ont pu prendre la forme de photocopies noir et blanc, parfois rehaussées à l’aquarelle, de sculptures repeintes, d’éditions de livres et de revues, et de sculptures à base d’objets. Lors de sa première rétrospective à Paris, en 2002, il précisait : « Je pense que le monde d’images qui nous entoure est, en quelque sorte, l’expression du monde des représentations, une expression des désirs. L’environnement ne se représente pas tel qu’il est, mais comme nous aimerions qu’il soit. En collectionnant ces images, je cherche à classer des rêves en catégories, au moins à en dégager des lignes, des courants principaux, si vous préférez ». (3)
La présence d’Ernest T. (né pendant la seconde guerre mondiale) et de ses alter-ego Taroop & Glabel montre également, s’il le fallait, que le hasard peut-être un allié face à la rumeur médiatique. Le dialogue entre Feldmann et Ernest T. est intensifié dans l’exposition. Il a débuté en 2001 par le biais du catalogue d’exposition « Jean-Pierre Magazine » (4) et trouve ici, dans les liens entre les œuvres, de singuliers rebondissements.
La collection complète des magazines « Gratuits » édités par Gilles Mahé (1943-1999) entre 1979 et 1994 est intégralement présentée. En plus de poser de façon explicite la question de la diffusion, elle montre également la prédilection qu’avait l’artiste pour les réalisations collectives, son sens de la négociation et du dialogue.
Une très belle série de dessins aux crayons de couleurs, « Le bonheur illustré », réalisée par Annette Messager (née en 1943) en 1975-76 montre la manière dont l’artiste reproduit des clichés, comme une rêverie adolescente, et évoque la première période de la carrière de cette artiste-collectionneuse (de proverbes, d’hommes, etc. ) comme elle s’auto-définissait à l’époque.
Plusieurs œuvres de Dorothée Selz (née en 1946) s’appuient sur des images préexistantes (ici, des illustrés de science-fiction) pour les augmenter par des rehauts de matière colorée. L’agrandissement photographique couleur d’un objet minuscule (un petit ex-voto mexicain en sucre coloré) traité avec la même technique nous renseigne sur le goût de l’artiste pour toutes les formes d’art populaire et ses détails fourmillants.
La génération suivante, née à la fin des années cinquante, a parfois été influencée par les pratiques de ces artistes. Ainsi, on sait que Jean-Jacques Rullier (né en 1962) a suivi l’enseignement de Boltanski qui lui a peut-être transmis son goût pour les livres. Les deux œuvres présentées montrent que le classement des images (et ou des objets) permet une approche comparative, un recul propice à l’analyse visuelle, ou une narration nouvelle selon l’ordre choisi. Ses posters reclassés nous font voyager dans les domaines de la connaissance selon l’esprit d’escalier de l’artiste.
Le parcours de Claude Closky (né en 1963) est également très prolifique et semble pousser la question de l’oeuvre (et son contraire, le désoeuvrement) jusqu’aux limites de l’absurde. La présentation de boucles vidéos réalisées à partir d’images publicitaires, extraits de films et autres vidéo amateurs datent évidemment de leur époque de diffusion. Cet ensemble tout à fait unique dans la production très abondante plutôt graphique de l’artiste rappellera à certains des souvenirs de son exposition personnelle aux Coopérateurs en 1999. (5)
Le cas du peintre anglais Alun Williams (né en 1961) est plutôt atypique dans le cadre de cette exposition. Outre le fait qu’il s’agit de la seule peinture présentée, son œuvre met en scène la transformation d’un même modèle à travers l’histoire de la peinture elle-même.
La Fornarina fut le modèle préféré de Raphaël, et fut notamment repris par Picasso, et simplifié jusqu’à la caricature par Miro dans les années 1930 (c’est la partie gauche du tableau). Une version sculptée, interprétation fantaisiste de Williams, apparait au milieu de celles des maîtres classiques et modernes.

La présence d’une troisième génération est également évoquée dans l’exposition par la présence d’une œuvre vidéo de documentation céline duval et de deux dessins en couleurs du duo Hippolyte Hentgen. La jeune artiste normande (née en 1977) a délibérément choisi un nom d’artiste qui la positionne dans un domaine précis, celui de la documentation (et donc de l’iconographie). Après des études d’art, elle poursuit sa formation en étant assistante auprès d’Hans-Peter Feldmann qui a certainement affiné son goût pour les classements d’images. L’œuvre présentée est une vidéo réalisée en 2007 à partir de photographies de vacances à la plage. Le montage a été effectué selon un principe d’enchainement d’images, entre diaporama et power-point, où les fondus-enchainés prennent la ligne d’horizon des images comme repère. Les deux petits dessins aquarellés ont été réalisés à quatre mains par le duo d’artistes Hippolyte Hentgen (nées en 1977 et 1980). Le thème de la collection d’images rejoint ici celui de l’intérieur bourgeois du collectionneur, qui aux yeux des deux jeunes artistes délurées, a l’air d’un monstre extra-terrestre tout à fait improbable.

    Cette exposition sur le thème de l’oeuvre comme collection d’images présente trois générations successives d’artistes européens, priorité étant donnée à la première, et permet de mettre en perspective les moyens utilisés par les artistes pour donner forme à leurs oeuvres avec les techniques de reproduction et de diffusion des images. On observe que les générations suivantes utilisent volontiers l’humour et la parodie pour dégager des itinéraires singuliers dans le flux permanent des images.

Yannick Miloux, oct. 2015
 

Notes :
(1) Plus de soixante panneaux d’une centaine d’images ont été assemblés par Warburg jusqu’à sa mort. Il voulait construire un modèle mnémonique dans lequel la pensée humaniste occidentale européenne, peut-être pour la dernière fois, reconnaitrait ses origines et tracerait ses continuités latentes au présent … en se situant temporairement dans les paramètres d’une histoire européenne de l’antiquité classique au présent. Warburg a argumenté sur son intention de construire une mémoire historique collective  qui mettrait l’accent sur la frontière inextricable entre la mémoire et le traumatique.
(2) Benjamin H.D. Buchloch: “Gerhard Richter’s Atlas: The Anomic Archive” 1993, réimprimé dans “The Archive”, Whitechapel Gallery 2006, p. 94
(3) In catalogue “Hans-Peter Feldmann: 352 pages”, CNP 2002
(4) Le catalogue “Jean-Pierre Magazine” fut édité en 2001 par le Centre National de l’Estampe et de l’Art Imprimé (CNEAI) à l’occasion d’une exposition sur le thème des collections d’images dont Feldmann fut le commissaire. Le design graphique fut réalisé par Ernest T.
(5) L’exposition personnelle de Claude Closky se déroula aux Coopérateurs du 17 juin au 18 septembre 1999 et fut uniquement constituée de diaporamas.

Tarifs :

Entrée gratuite

Partenaires

Œuvres des collections du Centre des livres d’artistes, Saint-Yrieix-la-Perche, du FRAC et de l’Artothèque du Limousin. Avec la participation du Musée Départemental d’Art Contemporain de Rochechouart et des FRAC Pays de la Loire, Poitou-Charentes, Basse Normandie.

Horaires

de mardi à samedi de 14h à 18h, sauf jours fériés. Fermé le 26 décembre 2015 et le 2 janvier 2016.

Adresse

Les coopérateurs Impasse des Charentes 87100 Limoges France

Comment s'y rendre

Le FRAC-Artothèque du Limousin se trouve dans Limoges, à 5 mn à pied des places Denis-Dussoubs et Carnot, et du Centre Saint-Martial. Bus n°1 , arrêt « Rectorat ».
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022