I never knew that sand had so many colours

Exposition
Arts plastiques
Galerie Dohyang Lee Paris 03

Si tu tends l’oreille, tu entendras peut-être le souffle de l’accordéon. Ce livre se déroule de nuit, et toute l’histoire est racontée d’une seule traite. 

La pile suivante contient des fragments, les romans incontournables revisités sous forme de Tweets. Orange emblématique de Penguin. Substantifique moelle. Twittérature. Le meilleur des « Penguin Books ». Une troisième interprétation évoque la température acoustique d’une performance préalable. Un thermomètre fait office de baguette de chef d’orchestre.

 

Depuis dix ans, Elisabeth S. Clark organise ce qu’elle appelle des « Book Concertos » – une exploration de l’idée qu’un roman tout entier peut être lu en moins de dix minutes et mettre en scène autant de personnes qu’il y a de feuillets dans le livre en question.

 

Dans la galerie, ne restent que des piles de livres – échos de leur fonction d’antan. Pour Clark, bien plus que des livres, ce sont des instruments musicaux pour sa performance. Et ici, dans cet espace, ces livres, Eleven Instruments, Eleven Variations (2018), revêtent de nouvelles formes, ce sont de nouvelles manifestations sculpturales dictées par chaque performance précédente. Ses livres sont rangés dans une bibliothèque dont la forme évoque une caisse de résonance, afin d’amplifier les potentialités pour une performance. Ainsi chaque performance contient une histoire plus complexe. Les étagères sur-mesure deviennent une page nouvelle, un pli deleuzien, une extension du livre lui-même.

 

En bas, la partition Between Words (2010-2013) côtoie Reading Machine (2018), qui est aussi le protagoniste d’une performance à venir. Ces Reading Machines ont une double casquette : à la fois des dispositifs de monstration (supports de lecture/ pupitres) et des outils (des instruments sonores/accessoires) pour ses performances. La partition de ponctuation suspendue à ces objets est tout ce qui reste d’un poème de Raymond Roussel (Les Nouvelles Impressions d’Afrique). Elisabeth S. Clark s’approprie ce poème en isolant toute la ponctuation/masquant tous les mots. Elle retraduit ensuite tout cela en une création pour voix, pour orchestre, voire une chorégraphie.

 

La partition de ponctuation est pleine de silences et de sons, d’émotions et de gestes. De fait, ces signes de ponctuation – traduits ici en tant que notation, notes de musique, ou véhicules d’expression – servent autant à contenir qu’à amplifier le son et explorer les possibilités de variation.

 

Les propositions pour ses performances à venir l’illustrent à merveille : Conducting Conductors (Silent interpretations of a sonorous score) (2018). Performances qu’elle a imaginées pour quatre interprètes (y compris un chef d’orchestre, un chanteur, un danseur et un musicien). Quatre dossiers noirs présentent sa vision de cet événement.

 

Dans la dernière salle de son exposition, Elisabeth S. Clark intrique délicatement des grains de sable provenant de plus d’une douzaine de lieux et pays dans le monde. La fragilité même de son geste évoque la précarité d’une boule de neige parfaite. À moins que ça ne soit une lourde pile, un globe, une sphère poétique pour le langage inénarrable… On pense aux piles de mots dans Heap of Language de Robert Smithson, comme si l’artiste avait compressé en un seul bloc toute la ponctuation tombée des pages de la salle attenante. Son geste peut sembler anodin, mais ces grains de sable font le pont entre des espaces lointains et éloignés. Cette œuvre, qui s’intitule My World (2018), est l’aboutissement d’années de collection – c’est l’atlas de sable de l’artiste, la cartographie de tous les lieux qui l’ont modelée. 

 

Contrairement à la documentation de son installation Enchanté (2017), présentée dans la vitrine de la galerie à l’étage, elle a choisi cette fois de rassembler plutôt que de disperser des particules. Ces deux gestes semblent cependant être au cœur de l’exposition.

 

Toutes les œuvres dans cette exposition enjambent les années. Et pourtant, comme des sables mouvants, aucune n’est figée. Installations, performances, et sculptures à la fois, les œuvres d’Elisabeth S. Clark évoluent allégrement entre les disciplines. Ses sculptures évoquent des performances et ses performances évoquent des sculptures.

 

Ses œuvres deviennent une collection d’interprétations (« moments ») et pourtant ses poèmes ont une cadence qui a un goût de revenez-y. Son travail se prête à l’effeuillage. Chaque couche propose une expérience nouvelle. 

 

On pense aux propres mots de Clark, tirés d’une page de son carnet de croquis. ‘I never knew that sand had so many colours…’

« Qui aurait pu imaginer que le sable puisse avoir tant de couleurs… »

 

Comment savoir si c’est du sable, de mots, d’un événement ou, plus largement, du langage que parle l’artiste ?

 

 

Elisabeth S. Clark

Traduit en français par Clémence Sebag

Horaires

mardi – samedi 11h – 13h // 14h – 19h

Adresse

Galerie Dohyang Lee 73-75 rue Quincampoix 75003 Paris 03 France

Comment s'y rendre

M4 Etienne Marcel M11 Rambuteau
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022