I CALL YOU FROM THE CROSSROADS

Exposition personnelle d'Abel Techer
Exposition
Arts plastiques
Maëlle Galerie Romainville
I CALL YOU FROM THE CROSSROADS

Commissariat : Julie Crenn

 

 

I call you from the crossroads
Come and be good to me
And treat me right
Who knows the direction the winds will blow? 

Come and kiss me softly in this hard life Whisper sweet things and just let go

Anohni – KARMA (2017)

 

J’ai rencontré Abel Techer en 2015 dans une salle du musée Léon Dierx à Saint-Denis (La Réunion). Jeune artiste tout juste diplômé de l’ESA, il présentait à l’occasion d’une exposition collective un triptyquemonumental : trois peintures, trois autoportraits non finito où l’artiste se représentait nu, dans trois positionsdifférentes, légèrement maquillé. Si le traitement de la peinture est académique, les sujets abordés le sont beaucoup moins. Par la peinture, le dessin, la photographie et la sculpture, Abel Techer incarne la perfor- mativité des genres telle que Judith Butler l’a théorisé dans son ouvrage Trouble dans le Genre (1990). Toujours en 2015, il réalise un nouvel autoportrait. Une œuvre sans titre où l’artiste se représente le torsenu, légèrement de trois quarts. Tandis qu’il nous regarde fixement, il pince et rehausse sa poitrine. Au mur,au-dessus de lui, sont accrochés deux pompons en laine, signes d’une masculinité vulnérable. En bas de la composition à gauche est déposée une paire de ciseaux évoquant la coupure, la castration, la transition. Plusieurs récits nous sont proposés, à nous de nous projeter. Cette œuvre, présente à la Maëlle Galerie,témoigne d’une rencontre plastique et politique avec Abel Techer. Il m’était difficile de penser sans elle lapremière exposition monographique de l’artiste à Paris. Elle est un point de départ, une introduction à son travail actuel.

À partir de la peinture de 2015, se déploie dans l’espace de la galerie une sélection de ses dernières œuvres. Cinq années ont passé. Si Abel Techer mène une recherche déterminée par les problématiques de l’autore-présentation, de l’autofiction et de la performativité des genres, les œuvres récentes attestent d’une radica- lisation de son positionnement vis-à-vis d’un refus d’une binarité étouffante. Aux normes déterminantes et rassurantes, Abel Techer préfère le trouble et une pluralité d’alternatives. Cheveux rasés, l’artiste fait de son corps un objet, un mannequin en plastique qu’il habille, déshabille, asccessorise et maquille sans relâche. Un corps imberbe, sans âge et sans contexte. Un corps libéré d’une identité toxique à laquelle chacun.e devrait se conformer : être assigné homme ou femme de la naissance jusqu’à la mort. Un corps mis en scène au creux de fantasmes ou de fantasmagories dont le lieu serait l’enfance. Les peluches, les bibelots, les motifs et les couleurs pastel nous renvoient vers ce territoire où le mouvement est permanent. Un moment de transition, de transformation où les corps ne sont pas encore tout à fait normés. Un moment de jeu, de peurs, de rêves, de devenirs.

Abel Techer explore les possibles en renversant la traditionnelle représentation d’une masculinité souveraine (Paul B. Preciado) : « un homme, un vrai, est évidemment [blanc, ndla] hétérosexuel, autonome, actif, agressif, compétitif et possiblement violent. » De nombreux.ses artistes s’emploient à déconstruire cette masculinité hégémonique, pour inventer et mettre en œuvre des masculinités plurielles. Comme ClaudeCahun, Michel Journiac, Cindy Sherman, Samuel Fosso ou Luciano Castelli, il préfère représenter la fluiditéet une confusion revendiquée. Il parle de corps incomplets : « Le corps comme la représentation sont en train de se construire ou se défaire, c’est un état transitoire, une plateforme en mouvement. » Le choix d’un traitement académique participe d’une volonté de s’inscrire dans une histoire de l’art jusqu’ici écrite et fabriquée par les tenant.e.s du patriarcat. Le classicisme des peintures et des dessins est un statement plastique et politique. Par lui et par une douceur hautement subversive, Abel Techer introduit l’insolence, lajoie, la vulnérabilité, l’ironie et l’inconvenance. Car il s’agit en creux de signifier l’exclusion de corps soigneu- sement mis à l’écart d’une histoire de l’art trop autoritaire et trop malveillante. Dans la lignée de ses ainé.e.s, l’artiste s’engage pour un art pensé par-delà les normes et les traditions, un art absolument queer.

                                                                                                                                Julie Crenn

 

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1 DUPUIS-DERI, Francis. La crise de la masculinité – Autopsie d’un mythe tenace. Montréal : Éditions du remue-ménage, 2018, p.17

Artistes

Autres artistes présentés

 

Horaires

Du mercredi au samedi 14h00 - 19h00

Adresse

Maëlle Galerie KOMUNUMA 29 rue de la commune de Paris 93230 Romainville France

Comment s'y rendre

Métro : Belleville (ligne 11-2) Sortie : Boulevard de Belleville Bus : 96 - Couronnes
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022