Haïm Kern, Ils n’ont pas choisi leur sépulture, 1998-2017

Chemin des Dames, Aisne

Haïm Kern, <i>Ils n'ont pas choisi leur sépulture</i>, 1998 / 2017
FNAC 2017-0022
Commande à l'artiste en 2016
Centre national des arts plastiques
© Adagp, Paris 2017 / Cnap / crédit photographique : Juan Lozano

Ils n'ont pas choisi leur sépulture, sculpture pour le chemin des dames à Craonne de Haïm Kern

Haïm Kern, Ils n'ont pas choisi leur sépulture, Sculpture pour le chemin des dames à Craonne,1998-2017 (Commande à l'artiste en 2016, Inv. : FNAC 2017-0022)

Ils n'ont pas choisi leur sépulture, sculpture pour le chemin des dames à Craonne de Haïm Kern

Haïm Kern, Ils n'ont pas choisi leur sépulture, Sculpture pour le chemin des dames à Craonne,1998-2017 (Commande à l'artiste en 2016, Inv. : FNAC 2017-0022)

 

Ils n'ont pas choisi leur sépulture, sculpture pour le chemin des dames à Craonne de Haïm Kern

Haïm Kern, Ils n'ont pas choisi leur sépulture, Sculpture pour le chemin des dames à Craonne,1998-2017 (Commande à l'artiste en 2016, Inv. : FNAC 2017-0022)

 

En 1988, le ministère de la Culture et de la Communication décide de commander à cinq artistes, Christine Canetti, Alain Fleischer, Ernest Pignon-Ernest, Michel Quinejure et Haïm Kern, une œuvre pour commémorer le 80ème anniversaire de l’Armistice du 11 novembre 1918.

Haïm Kern, né en 1930 à Leipzig, choisit le Chemin des Dames, situé au Nord de l’Aisne, le nom donné à l’ancien front qui concentre de nombreux affrontements durant la Première Guerre Mondiale, notamment l’offensive du général Nivelle. À quelques centaines de mètres de l’ancien village de Craonne, l’emplacement, le plateau de Californie, a joué un rôle déterminant dans la conception de son œuvre : « Autour de la table d’orientation, à l’entrée de cette belle forêt plantée sur la crête mutilée, comme pour l’aider à cicatriser des blessures de la guerre, […] ici où la terre est encore lourde de fer et de sang, ici où le vent porte leurs plaintes et leurs gémissements, pourrait s’élever l’hommage aux disparus »1 explique l’artiste en 1999.

Haïm Kern choisit d’universaliser les souffrances de la Grande Guerre à travers un langage sculptural expressif et tourmenté : « Je veux, explique-t-il, que cette sculpture soit physiquement proche de ces hommes afin que, relevés dans les mailles de l’Histoire, ils reviennent vers nous de la terre à la lumière. ». Il espère rendre un visage « à ces anonymes qui ont ici abandonné leur futur »2.

En se plaçant à l’orée de la forêt, l’artiste souhaite témoigner de l’histoire du Chemin des Dames enfouie sous nos pieds. La monumentale sculpture est composée d’une maille en bronze d’où émergent une vingtaine de têtes anonymes, des têtes qui incarnent les combattants de toutes origines3. Et, comme un arbre qui pousserait à l’envers, l’œuvre semble sortir de cette terre qui porte les stigmates de la guerre. Car encore aujourd’hui des morceaux de métaux, des os, et toutes sortes de traces de la grande guerre sont découverts régulièrement dans les terres picardes.

Le 5 novembre 1998 le Premier Ministre Lionel Jospin, accompagné de la ministre de la Culture et de la Communication Catherine Trautmann, et du secrétaire d’État aux anciens combattants Jean-Claude Masseret, inaugure l’œuvre d’Haïm Kern. Lors de son discours, le Premier Ministre déclare que les « fusillés pour l’exemple » lors des mutineries de la Grande Guerre doivent réintégrer la mémoire collective. Ses paroles sont associées à la région, à laquelle la « Chanson de Craonne » fait directement référence, chant pacifiste interdit par le commandement, suite aux mutineries de 1917. Dès lors, et malgré les explications d’Haïm Kern, dans la presse, sur le site, l’association avec les mutins de 1917 semble scellée. La sculpture est dégradée à deux reprises, jusqu’à ce que l’œuvre de quatre mètre de haut et d’une tonne et demie, disparaisse en août 2014, cette fois convoitée pour la valeur du métal. « Je croyais faire une œuvre pérenne et qui devait être ressentie par tout le monde avec respect pour le symbole quelle représente. Je ne pensais pas qu’on attaquait les monuments aux morts. »4 s’attriste l’artiste. Quelques mois plus tard, trois ferrailleurs sont arrêtés en Belgique et permettent de récupérer quelques fragments de l’œuvre. Ceux-ci seront réutilisés pour la fonte de la nouvelle sculpture à l’exception d’un élément, témoignage de l’ancienne œuvre.

Sous l’impulsion de la Préfecture de l’Aisne, les différents services de l’État (Cnap, Mission du centenaire, Groupement de gendarmerie de l’Aisne, Direction régionale des affaires culturelles des Hauts de France) les élus de Craonne, de la communauté de communes de Craonne, et le Conseil départemental – le dépositaire de l’œuvre – forment un comité de pilotage qui se réunit régulièrement du début de l’hiver 2014 au printemps 2016.

Tandis qu’Haïm Kern accepte de récréer une œuvre très proche de la première version - en envisageant d’en accentuer le format - le lieu d’implantation de l’œuvre, sur le Plateau de Californie, est longuement débattu. La gendarmerie étudie différents sites qui pourraient accueillir l’œuvre. Mais aucun  système de surveillance ne la protégerait efficacement si elle était replacée au même endroit - ce que confirme un rapport d’un Inspecteur du Service de sûreté des musées et des patrimoines du ministère de la Culture. Un seul emplacement - la Caverne du Dragon - permet d’organiser sa protection. Situé à Oulches-la-Vallée-Foulon, à quelques kilomètres de Craonne, ce lieu de mémoire consacré à la première guerre mondiale accueille des dizaines de milliers de visiteurs chaque année.

La commande de la nouvelle œuvre, portée, comme en 1998, par le Centre national des arts plastique, est confiée à l’artiste dès la fin de l’année 2015. La réplique autographe – le terme consacré pour une œuvre re-créée de la main de l’artiste – sera inscrite sur l’inventaire du Cnap. La fonderie de La Plaine - artisan de la première fonte en 1998 – est à nouveau choisie.

Des habitants témoignent de leur émotion, touchés par la disparition de la sculpture et des collégiens, en classe de 3ème à Coberny, proposent à Haïm Kern de ne pas laisser l’emplacement vide durant la réalisation de la nouvelle commande. Ils créent une installation photographique portant sur différents thèmes allant des fantômes du passé à la mise en scène du souvenir, ainsi qu’un focus sur la jeune génération tombée pendant la Grande Guerre et enfin une ode à la Paix5.

Il faudra un an et quelques mois pour que l’artiste, assisté de l’équipe de la Fonderie (fondeur, ciseleur, patineur,…) recrée l’œuvre sous ses doigts. La nouvelle version d’Ils n’ont pas choisi leur sépultures est  terminée pour son inauguration, le 16 avril 2017, date de la commémoration du centenaire de l’offensive Nivelle.

La terrasse de la Caverne du dragon agrandie pour cette occasion, domine un paysage où se sont déroulées les sanglantes batailles de 1914-1918, aujourd’hui apaisé. Tout aussi symbolique et émouvant que sur le plateau de Californie, Ils n’ont pas choisi leur sépulture (FNAC 2017-0022) tend ses racines enchevêtrées vers le ciel, visible et plus dessinée que jamais face à l’horizon.

Sur le plateau de Californie, le site ne demeure pas vide. Haïm Kern a proposé une « trace », un bloc de béton dans lequel ont été ancrés des fragments de l’œuvre originale retrouvés après le vol de 2014. Elle rappelle la sculpture disparue et la violence de cette disparition.

La réplique de Ils n’ont pas choisi leur sépulture (1998-2017) est inaugurée par le Président de la République, François Hollande, le 16 avril 2017, à l’occasion du centenaire de l’offensive Nivelle sur le Chemin des Dames.

 

1 Haïm Kern in 14/18 Aujourd’hui/ Heute, éd. Noesis, Publication de l’histoire de Peronne, mai 1999. 

2 Idem.

Haïm réalise une première série de têtes qu’il débute en 1976, information extraite de Denis Defente, Haïm Kern, Paris, Somogy Éditions d’art, 2014, p. 39.

4 Auteur n.m., « Haïm Kern au sujet du vol de la sculpture sur le chemin des Dames », L’Union, 13 décembre 2016. Source internet : http://www.lunion.fr/6309/article/2016-12-13/haim-kern-au-sujet-du-vol-de-sa-sculpture-sur-le-chemin-des-dames-savaient-ils, consulté le 21.04.2017 

5 Pénélope Milan, « Chemin des dames : une œuvres des collégiens de Coberny pour remplacer la statue d’Haïm Kern », L’Aisne Nouvelle, 24 février 2015

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Dernière mise à jour le 2 mars 2021