Gözde Ilkin

Gözde Ilkin travaille depuis quinze ans avec des tissus trouvés et de la broderie. À travers cette méthode artisanale, elle engage une réflexion autour de la mémoire et de l’histoire pour mieux déconstruire les notions de genre, de communauté et d’appartenance.

À ses débuts, elle collecte des photographies et documents d’identité qu’elle retravaille minutieusement avec des tissus chinés ou des tapis avec une iconographie forte comme des motifs floraux. Néanmoins, ses dessins ont progressivement développé une dimension métaphorique, associant le corps humain à d’autres entités humaines et non humaines.

Ilkin met en place une profonde réévaluation des valeurs, des croyances et des histoires personnelles grâce à un processus de création lent ainsi que par des collaborations, dont certaines avec sa mère. En effet la notion de collectivité est importante chez l’artiste, de la fabrication des tissus à l’espace d’exposition où elle fait régulièrement intervenir des chorégraphes, des commissaires d’exposition et des danseurs.

Depuis une décennie, Gözde Ilkin a pris conscience de la réciprocité entre l’organique et le politique, et de notre inaptitude à vivre dans ces deux dimensions de réalité. Elle commence alors à collectionner des plantes dont la forme et les extraits s’intègrent à son iconographie, comme on a pu le découvrir dans son exposition As the Roots Spoke, the Cracks Deepen (Mac/Val Ivry, 2019) et dans l’exposition collective Rooted Beings (Wellcome Collection, Londres, 2022) qui incluait une série d’œuvres produites pour la 13ème Biennale de Gwangju, intitulée Minds Rising, Spirits Tuning. Dans ces séries, les figureshumanoïdes de ses broderies s’étendent et se connectent, telles des racines charnelles ou des fibres tressées, dans un processus organique de devenir, plutôt que dans des notions capitalistes d’évolution et de progrès. Cela se manifeste dans la superposition de ses dessins textiles, dans les motifs, dans les figures brodées qui se chevauchent, lorsque l’extrait végétal se diffuse ou encore lors de l’interaction entre les deux côtés du tissu.

En 2022, Gözde Ilkin lance un projet avec la commissaire d’exposition turque Duygu Demir, intitulé The Entrusted Ground, qui a depuis évolué en Entrusted Grounds, devenant pluriel. Il s’agit d’une réflexion continue sur la «natureculture», comme l’a écrit Demir en citant l’éco-philosophe américaine Donna Haraway. Ce concept est multidimensionnel, mais il exprime principalement le chevauchement de nouvelles histoires intersectantes d’espèces vivant ensemble dans l’Holocène, et la nécessité de les raconter.

Sous le commissariat de Joana P. R. Neves, Entrusted Grounds invite ainsi le spectateur à considérer l’exposition comme une expérience immersive plutôt qu’une évaluation critique. Sa première itération à la galerie artSümer à Istanbul présentait des tissus brodés, des sculptures modulaires suspendues interactives, des performances et du son afin de créer un ‘paysage’ tridimensionnel. Il enrichissait un genre de l’histoire de l’art, le paysage, en utilisant les formes de terrain comme une approche de l’espace d’exposition. La grotte, en tant qu’espace réel où les humains ont d’abord interagit avec le monde par le dessin, mais aussi en tant que métaphore, était lemotif repère de l’installation.

La seconde exposition personnelle de Gözde Ilkin à PARIS-B appartient à la série Entrusted Grounds. Ce deuxième volet aura pour titre Invisible Bonds, Companion Roots, exprimant ainsi l’entrelacement sociopolitique complexe d’un écosystème. La dune de sable devient le nouveau motif naturel pour aborder l’espace d’exposition. Cette puissante métaphore évoque les qualités nomades à la fois de la géologie et des concepts : une dune se déplace et est remodelée par le vent, les créatures qui y vivent et la qualité de son matériau, le sable, en font un puissant symbole du temps. Mais elle peut également être créée par notre présence sur terre ou notre interaction avec elle. Invisible Bonds, Companion Roots comprend des sculptures, des broderies sur des tissus récoltés avec des éléments naturels ajoutés, ainsi qu’une installation. Comme lors de la première phase du projet à Istanbul, The Entrusted Ground, Gözde Ilkin présentera également ses magnifiques croquis qu’elle réalise à chaque installation.

—texte Joana P. R. Neves

Gözde Ilkin (née en 1981 à Kütahya) a étudié la peinture à l’université des beaux-arts Mimar Sinan et a obtenu un master à l’université Marmara d’Istanbul. Parmi ses expositions personnelles, citons Entrusted Ground, artSümer, Istanbul (2022) ; Comme les racines parlent, les fissures se creusent, MAC VAL, Vitry-sur-Seine (2019) ; parmi ses expositions collectives celles de UnNatural History, Herbert Art Gallery and Museum, Royaume-Uni (2021) ou de Gaia has a Thousand names, Elgiz Museum, Istanbul (2019). Citons également sa présence à la 4ème Biennale Autostrada au Kosovo (2023), à la 13ème Biennale de Gwangju, Corée du Sud (2021) ou encore à la 15ème Biennale d’Istanbul (2015, commissaires : Elmgreen & Dragset). Elle vit et travaille à Istanbul.