A general history of labyrinths

Exposition
Arts plastiques
Crèvecoeur Paris 20

 

 

A general history of labyrinths


Stéphane Calais, Kaye Donachie, Kees Goudzwaard, Antoine Marquis, Renaud Jerez

 

21 mars - 25 mai

 

 

“La partie langue et littérature était brève. Un seul trait mémorable : la littérature d’Uqbar était de caractère fantastique, ses épopées et ses légendes ne se rapportaient jamais à la réalité, mais aux deux régions imaginaires de Mlejnas et de Tlön... La bibliographie énumérait quatre volumes que nous n’avons pas trouvés jusqu’à présent, bien que le troisième - Silas Haslam : History of the land called Uqbar, 1874 - figure dans les catalogues de librairie de Bernard Quaritch. (1) Le premier, Lesbare und lesenswerthe Bemerkungen über das Land Ukbar in Klein-Asien, date de 1641. Il est l’oeuvre de Johannes Valentinus Andrea. Le fait est significatif; quelques années plus tard, je trouvai ce nom dans les pages inattendues de De Quincey (Writing, treizième volume) et j’appris que c’était celui d’un théologien allemand qui, au début du XVIIè sicèle, avait décrit la communauté imaginaire de la Rose-Croix - que d’autres fondèrent ensuite à l’instar de ce qu’il avait préfiguré lui-même.” Jorge Luis Borges, “Tlon Uqbar Orbis Tertius” Fictions, 1944.

 

“Ce livre a son lieu de naissance dans un texte de Borges. Dans ce rire qui secoue à la lecture toutes les familiarités de la pensée - de la nôtre : de celle qui a notre âge et notre géographie -, ébranlant toutes les surfaces ordonnées et tous les plans qui assagissent pour nous le foisonnement des êtres, faisant vaciller et inquiétant pour longtemps notre pratique millénaire du Même et de l’Autre. Ce texte cite “une certaine encyclopédie chinoise” où il est écrit que “les animaux se divisent en : a) appartenant à l’Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification, i), qui s’agitent comme des fous, j) innombrables, l) dessinés avec un pinceau très fin en poils de chameau, l) et caetera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin semblent des mouches”. Dans l’émerveillement de cette taxinomie, ce qu’on rejoint d’un bond, ce qui, à la faveur de l’apologue, nous est indiqué comme le charme exotique d’une autre pensée, c’est la limite de la nôtre : l’impossibilité de penser cela. (...) Quand nous instaurons un classement réfléchi, quand nous disons que le chat et le chien se ressemblent moins que deux lévriers, même s’ils sont l’un et l’autre apprivoisés ou embaumés, même s’ils courent tous deux comme des fous, et même s’ils viennent de casser la cruche, quel est donc le sol à partir de quoi nous pouvons l’établir en toute certitude? Sur quelle “table”, selon quel espace d’identités, de similitudes, d’analogies, avons-nous pris l’habitude de distribuer tant de choses différentes et pareilles? Quelle est cette cohérence - dont on voit bien tout de suite qu’elle n’est ni déterminée par un enchaînement a priori et nécessaire, ni imposée par des contenus immédiatement sensibles? Car il ne s’agit pas de lier des conséquences, mais de rapprocher et d’isoler, d’analyser, d’ajuster et d’emboîter des contenus concrets; rien de plus tâtonnant, rien de plus empirique (au moins en apparence) que l’instauration d’un ordre parmi les choses; rien qui n’exige un oeil plus ouvert, un langage plus fidèle et mieux modulé; rien qui ne demande avec plus d’insistance qu’on se laisse porter par la prolifération des qualités et des formes. (...) L’ordre, c’est à la fois ce qui se donne dans les choses comme leur loi intérieure, le réseau secret selon lequel elles se regardent en quelque sorte les unes les autres et qui n’existent qu’à travers la grille d’un regard, d’une attention, d’un langage; et c’est seulement dans les cases blanches de ce quadrillage qu’il se manifeste en profondeur comme déjà là, attendant en silence le moment d’être énoncé. “

Michel Foucault, Les mots et les choses, 1966, préface. Le texte de Borges évoqué ici est Le langage analytique de John Wilkins, 1942.

 

“Au début de ce siècle, une structure s’affirma progressivement , d’abord en France, puis en Russie et en Hollande. Elle est depuis lors restée, dans le domaine des arts visuels, l’emblème de l’ambition moderniste. (...) A cause de sa structure (et de son histoire) bivalente, la grille est totalement et même allégrement schizophrénique. J’ai assisté et j’ai participé à des débats où il était question de savoir si la grille induisait l’existence centrifuge ou l’existence centripète de l’oeuvre d’art. Logiquement, la grille est susceptible de s’étendre dans toutes les directions à l’infini. Toute limite lui étant imposée par une peinture ou une sculpture donnée ne peut donc être qu’arbitraire. Grâce à la grille, l’oeuvre d’art se présente comme un simple fragment, comme une petite pièce arbitrairement taillée dans un tissu infiniment plus vaste. Ainsi envisagée, la grille procède de l’oeuvre d’art vers l’extérieur et nous oblige à une reconnaissance du monde situé au-delà

du cadre. Il s’agit de la lecture centrifuge. Quant à la lecture centripète, elle va, tout naturellement, des limites extérieures de l’objet esthétique vers l’intérieur. Selon cette lecture, la grille est une re-présentation de tout ce qui sépare l’oeuvre d’art du monde, de l’espace ambiant et des autres objets. Elle fait passer par introjection les limites du monde à l’intérieur ; elle projette sur lui-même l’espace contenu à l’intérieur du cadre. C’est un mode de répétition dont le sens est que l’art est une convention”. Rosalind Krauss, “Grilles”, L’originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, 1986.

 

“Nous avons été entraînés à voir la peinture comme des “images”, fictives, abstraites ou littérales, dans un espace habituellement limité et enfermé par un cadre, qui isole l’image. Il a été montré qu’il existe des possibilités autres que cette manière de “voir” la peinture. On peut dire d’une image qu’elle est “réelle” s’il ne s’agit pas d’une reproduction optique, si elle ne symbolise ou ne décrit pas ce qui appelle une image mentale. Cette image “réelle” ou “absolue” n’est confinée que par notre perception limitée.” Robert Ryman in Wall Painting (Chicago: Museum of Contemporary Art, 1979). Traduction.

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Né en 1967, Stéphane Calais développe un pratique artistique complexe et hétérogène. Le dessin reste toutefois son premier langage, il est pour lui ce “merveilleux outil” que l’on retrouve de manière récurrente dans son travail, que ce soit dans ses imposantes séries de sérigraphies comme la Pléiade, dans ses installations (La Chambre de Schulz) et bien sûr dans sa peinture où le trait noir vient s’immiscer entre ses évocations gustoniennes et sa gestuelle virulente. Si les données élémentaires de la peinture que sont le geste et le trait se confrontent et s’allient dans la peinture de Stéphane Calais, une autre question fondamentale sous-tend sa pratique: le travail en série. Elle s’inscrit d’abord dans la fascination du regard de l’artiste pour ses sujets qu’il trouve “sur les côtés” d’une culture “plutôt d’un ordre non dominant”. Pour Stéphane Calais, ses peintures où “la précipitation d’éléments forment bloc naturellement, (...) tendent toutes et toujours à la concrétion”. On entre alors dans une confusion chère à l’artiste, celle “des temps, lieux et fabrication”.

 

Kaye Donachie, née à Glasgow en 1970  travaille à partir d’images d’archives et de sources cinématographiques et s’attache dans ses peintures de petits formats  à créer des narrations fragmentaires. Elle fait ainsi ressurgir d’un passé oublié des figures de mouvements pionniers de la culture libertaire - comme la communauté utopique Monte Verita (formée en Suisse et où se côtoient Herman Hesse, Hugo Ball et Otto Gross, pionnier de la révolution sexuelle) - et de la bohème du XXè siècle telles que la poétesse Edna St. Vincent Millay ou l’auteur Nina Hamnett, surnommée “Queen of the Bohemia”. Fruit d’un long processus d’addition et de soustraction de couches, les peintures à l’huile de Kaye Donachie ont une apparence très légère, presque spectrale, où se mêlent les caractères tragique et romantique de ces personnages

 

Kees Goudzwaard est né en 1958 à Utrecht (Pays-Bas). Nourri tant par la peinture hollandaise que par le Colorfield Painting américain, il produit une oeuvre picturale abstraite qui respecte des contraintes strictes. Ses peintures à l’huile sont des copies exactes à l’échelle 1 de collages abstraits qu’il réalise dans son atelier, avec des papiers de couleur et du ruban adhésif, ouvrant alors la voie à de nouvelles possibilités de la question de l’appropriation en peinture. A travers cette mécanique de répétition et de reproduction s’épanouissant dans l’acte physique de peindre, Kees Goudzwaard substitue ainsi une réalité à une autre. Les peintures présentes dans l’exposition, Extent (2005), Long Division (2007) Transit (2009), sont de grandes compositions diaphanes figurant plusieurs plans colorés, sans reliefs ni ombres, obtenus grâce à une technique très précise de superposition de niveaux de transparence et de changements de couleurs infimes créant la perspective.

 

Renaud Jerez est né en 1982. Il produit une oeuvre multiforme qui s’inscrit dans une observation et une reproduction effrénée d’images provenant d’univers visuels variés (clichés issus de sa flânerie dans la ville, images du net, de la télévision, des jeux vidéo…). Il s’intéresse ainsi à la circulation des images offerte par les nouvelles technologies de communication, mais aussi à la circulation et à la connexion des objets et des corps. Les éléments comme les tuyaux, les tubes, les tiges sont récurrents dans son vocabulaire sculptural. Ses premières réalisations étaient des peintures, et il a ensuite commencé à faire des recherches autour de différentes techniques d’impression digitale, principalement sur des films transparents apposés sur des plaques de plexiglas, où s’ajoutent plusieurs touches/couches de peinture. La surface ainsi produite fait référence à l’usage contemporain de l’écran, qui au-delà de ses performances technologiques, est avant tout un lieu de fantasme : le lieu de toutes les projections et de toutes les identifications possibles.

 

Antoine Marquis est né en 1974. Il est l’auteur d’une peinture alliant une grande maîtrise formelle à une recherche de situations, scènes ou atmosphères intimistes et pourtant dénuées de charge émotionnelle. Il s’intéresse à la représentation d’une France “à la Simenon” comme il l’écrit, c’est-à-dire captée dans des moments ordinaires, banals, parfois plongés dans un érotisme “municipal”. Le camaieu de gris, récurrent dans son travail, et dont il dit qu’il lui permet de passer d’une image à l’autre sans fracture, comme dans un rêve, est issue de sa pratique du dessin au stylo à bille, longtemps utilisée pour son aspect irrévocable, sans possibilité de gommer. Les peintures récentes présentées dans l’exposition prolongent ces recherches tout en développant une technique nouvelle mêlant huile, acrylique et craies grasses sur papier. Les objets et les corps qui y figurent apparaissent alors comme peints en négatif, résultats d’un travail de superposition de voiles de matière, toujours légère.

 

(1) Haslam a aussi publié A general history of labyrinths. 

 

Horaires

Mercredi-Samedi 14h-19h

Adresse

Crèvecoeur 9 rue des Cascades 75020 Paris 20 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022