Gavin Perry - Dopesick

Galerie Sultana Paris 20

« Ride Baby, Ride » : la peinture comme emblème d’une customisation subversive

Parmi ses nombreuses caractéristiques, l’oeuvre pictural de Gavin Perry en offre une propre à le discréditer d’emblée, tant le terme appliqué au domaine des arts visuels semble systématiquement faire office de repoussoir : il est décoratif ! C’est l’un des maux de l’époque, qui après avoir tant intellectualisé notre relation à l’objet peinture tend à se méfier de ce qui d’emblée n’apparaîtrait que comme une simple flatterie de l’oeil, sans autre forme de consistance.

Quoique produit à Miami, autre terre ensoleillée, ce travail s’inscrit en droite ligne des obsessions californiennes pour le « finish fetish », qui dès le milieu des années 1960 introduisirent dans le médium pictural la nécessité d’une absolue perfection formelle mêlée à l’usage de matériaux industriels détournés de leur contexte.

En digne héritier de ces préceptes, Perry convoque une peinture brillante, colorée, rutilante, qu’il tend en outre à rendre presque « addictive » tant elle se montre captivante et propice à la contemplation, en ce qu’elle s’amuse de la temporalité du tableau à travers les phénomènes visuels qu’elle convoque. Sa conception faite d’une alliance de matériaux communs – bandes de vinyle coloré, pigments en bombe ou spécifiques à la carrosserie, résine, feuilles d’argent incisées… – s’appuie pleinement sur des effets rétiniens proches de l’hallucination qui auraient été figés à un instant précis, comme en une tentative de contenir leur temporalité et de retenir leur dynamique, afin que jamais elle ne s’évanouisse.

Mais l’art de Gavin Perry prend également un tour autrement plus social, car directement inspiré par la pratique de la customisation automobile. Bien que repérable à plusieurs endroits du globe, ce phénomène a depuis le milieu des années 1990 pris une ampleur particulière à Miami, où l’expansion d’une presque nécessité de personnalisation de son véhicule au sein de certaines communautés est telle qu’elle en est presque devenue… une nouvelle norme !

À travers un processus lent et minutieux, laborieux même tant sont requis une attention extrême et un temps de fabrication excessivement long, l’artiste se livre finalement à une hybridation des langages. Car alors que la quête d’individualisation qui sous-tend la customisation se traduit nécessairement par une altération du produit fini pensé pour la masse aux fins de le rendre particulier, Perry fait sienne cette autre forme de fétichisation en opérant une translation fonctionnelle de la couleur et de la perfection de la surface. Ce faisant, en transposant ces gestes et matériaux à l’univers spécifique de l’objet d’art, c’est en outre un déplacement social qui se produit.

À travers le sens du décoratif assumé qui est le sien, Gavin Perry interroge la possible porosité des goûts entre différentes classes sociales et, in fine, l’identité des objets et de ceux qui les possèdent. En lui empruntant une partie de ses gestes voire de son vocabulaire tout en brouillant les statuts établis et délimités, l’artiste partage avec le quidam customisant son véhicule de faire là oeuvre de subversion ; il bouscule le symbole social représenté par la voiture tout autant que par la peinture.

Ride baby, ride…

FRÉDÉRIC BONNET

 

Artistes

Adresse

Galerie Sultana 10 rue Ramponeau 75020 Paris 20 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022