Exquises tragédies d’Outre-Manche : histoire britannique et peinture française au XIXe siècle

Par Hélène Bouillon
Eugène Deveria, La Mort de Jane Seymour, 1847

Eugène Deveria (1805-1865), La Mort de Jane Seymour, 1847 (PFH-5243). Huile sur toile. Musée de Valence. 

L’œuvre évoque l’agonie de la troisième épouse d’Henri VIII d’Angleterre, Jane Seymour, morte d’une fièvre puerpérale douze jours après avoir donné un héritier au trône. Cette toile fut acquise par l’Etat en 1849, à une époque où la peinture troubadour n’est déjà plus à la mode. Malgré une composition plus rubénienne que troubadour, Eugène Devéria se situe ici encore dans le « genre anecdotique » par la multiplication des personnages secondaires, l’attention portée au décor et au costume et la dramatisation des attitudes.

Anne Boleyn condamnée à mort, peinture de Léon Goupil

Léon Goupil, Anne Boleyn condamnée à mort (Achetée par l'État en 1865, Inv : FH 865-120).

Favorite d’Henri VIII, Anne Boleyn provoque sa rupture avec Catherine d’Aragon et le pousse à rompre avec Rome et à embrasser le protestantisme. Henri VIII l’épouse en 1533 alors qu’elle est enceinte de la future Elisabeth Ire. Le roi jugeant leur mariage maudit en raison de son insuccès à produire un héritier mâle, Lady Anne est bientôt accusée d’adultère, de trahison et même d’inceste avec son frère aîné. Elle est condamnée à la décapitation en 1536. La personnalité complexe d’Anne Boleyn ainsi que les conséquences politiques de son ascension et de sa chute en ont fait l’une des reines les plus célèbres du Royaume Uni.

Marie Stuart distribuant ses bijoux à la veille de sa mort, peinture de Jules Gorges Kienlin

Jules Gorges Kienlin, Marie Stuart distribuant ses bijoux à la veille de sa mort (Achetée par l’Etat en 1868, Inv : FH 868-207, aujourd’hui transféré et conservé par le Musée de la Princerie à Verdun sous le numéro d’inventaire 81.1.17). 

Dans un style tout à fait proche de la peinture troubadour des années 1820, Kienlin décrit avec force détails érudit les dernières heures de Marie Stuart, reine d’Ecosse catholique et cousine d’Elisabeth d’Angleterre, emprisonnée par celle-ci et condamnée à mort pour complot.

Auguste de PINELLI, Catherine d’Aragon et Henri VIII, 1529

Auguste de PINELLI (1823-1890), Catherine d’Aragon et Henri VIII, 1529, (FH 864-258). Riom, Musée Mandet. Huile sur toile achetée au Salon de 1864.

Elève de Delaroche à l’Ecole des Beaux-Arts, Pinelli reprend dans cette toile les grandes caractéristiques de la peinture troubadour et montre la prière déchirante de Catherine d’Aragon sur le point d’être répudiée par son royal mari. Au centre de la composition, l’affliction de la reine contraste avec l’indifférence d’Henri VIII, le visage détourné de l’éplorée et sombrement planté dans celui du spectateur. Les nombreux détails marquent à la fois une volonté de vérité historique et une référence à la religion catholique dont Henri VIII se détourne en même temps que de la reine, avant de rompre complètement avec Rome en 1533.

Dès la fin du XVIIIe siècle, les élites françaises connaissent un regain d’intérêt pour une histoire médiévale jusque-là méconnue et quelque peu méprisée. Les sujets littéraires et artistiques, auparavant puisés dans l’Antiquité classique, s’enrichissent. Le passé national en est le thème de prédilection avec quelques figures incontournables comme Jeanne d’Arc ou Henri IV. Cependant, le mouvement romantique fournit d’autres sujets notamment puisés de l’autre côté de la Manche.

Genre anecdotique et héroïnes pathétiques

Une autre peinture d’histoire est ainsi créée, dont les caractéristiques sont des sujets allant du Moyen-âge à la fin de la Renaissance, un style narratif mettant en valeur l’anecdote édifiante, une grande attention portée aux détails plus qu’à la composition. Cette peinture appelée « troubadour » est mélodramatique et sentimentaliste : les attitudes très théâtralisées visent avant tout à produire un effet pathétique.
La redécouverte du passé national au XIXe siècle s’accompagne d’un intérêt marqué pour l’histoire et le folklore étrangers. Goethe, Schiller, Walter Scott sont traduits et publiés, ainsi que la littérature ancienne (Shakespeare, Dante). Les œuvres dramatiques et poétiques y trouvent une nouvelle inspiration et influencent à leur tour la peinture. L’histoire britannique fournit à ce titre de nombreux sujets. Les peintres du genre anecdotique marquent une certaine faveur pour les vies de certaines reines d’Outre-manche, telles Marie Stuart ou les six femmes d’Henri VIII qui, à l’exception de la dernière, connurent toutes des fins tragiques.

Anglophilie ambiguë

L'amour des auteurs d'histoire anglaise (particulièrement Shakespeare et Walter Scott) ainsi que la comparaison des événements dans l'histoire française et britannique ont contribué à la popularité des sujets britanniques. Les grandes figures féminines de l’époque Tudor deviennent des héroïnes romantiques propres à susciter l’admiration ou la pitié.
Cet attrait pour les représentations de l’histoire britannique semble résulter d’un sentiment paradoxal alliant une anglophilie française apparue durant le siècle des Lumières et une antipathie sous-jacente pour l’adversaire héréditaire. Les peintres sont fascinés par leurs personnages, héroïnes de pièces shakespeariennes. Il y a également une certaine complaisance dans la mise en scène des événements. A travers les tourments de Catherine d’Aragon, d’Anne Boleyn, de Jane Seymour ou Marie-Stuart, le peintre semble dénoncer la cruauté d’Henri VIII et d’Elisabeth Ière, c'est-à-dire la malignité des souverains Tudors ennemis de la France.

Persistance du « genre historique » dans les achats de Salon

La peinture troubadour connaît son heure de gloire durant une période assez courte allant de la fin du XVIIIe à la première moitié du XIXe siècle. Très en vogue durant l’Empire et la Restauration, elle est achetée et défendue par d’illustres mécènes tels l’impératrice Joséphine et le Comte de Forbin. Le mouvement est pourtant mis à mal lors du Salon de 1832 par de nouveaux artistes comme Delacroix et il est déjà tombé en désuétude lorsque quelques artistes en exposent les derniers feux au Salon de 1848.
Cependant, comme le montrent les tableaux achetés aux Salons des années 1860, le Second Empire poursuit les achats des époques précédentes. Les tableaux de cette époque, sans être « troubadours » à proprement parler, perpétuent les caractéristiques du genre anecdotique et la fascination des peintres français pour les martyres de l’histoire anglaise.

Hélène Bouillon
Conservateur du Patrimoine
Centre national des arts plastiques
 

Pour en savoir plus

CHAUDONNERET M.-C., 1980, Fleury Richard et Pierre Révoil : La Peinture troubadour, Athéna, Paris.

CHAUDONNERET M.-C., 1996, « Du “genre anecdotique” au “genre historique”. Une autre peinture d’histoire », catalogue de l’exposition Les années romantiques. La peinture française de 1815 à 1847, éditions de la RMN, Paris, p. 76-85.

PUPIL F., 1985, Le style troubadour ou la nostalgie du bon vieux temps, Presses universitaires de Nancy, Nancy.

TSCHERNY N. et al., 1996, Romance and Chivalry : History and Literature Reflected in Early Nineteenth-Century French Painting, Matthiesen Fine Arts, Londres.

Dernière mise à jour le 21 avril 2021