Excentrique(s)

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Création graphique Loran Stosskopf assisté de Clara Sfarti

Entretien avec Daniel Buren
« Tout est question de proportions »
entretien réalisé pour le supplément culture du ministère de la Culture et de la Communication

Daniel Buren fait partie des artistes français qui bénéficient d’une large reconnaissance internationale. Il répond à nos questions à l’occasion de son exposition « Excentrique(s), travail in situ », dans le cadre de MONUMENTA 2012, au Grand Palais à Paris.

13 500 m² de surface qui culmine à 45 mètres de hauteur... Comment le gigantisme de cet espace a t-il influencé votre travail ?

Justement, l’une des choses que j’aimerais montrer et prendre en compte comme élément essentiel de ce lieu, c’est son volume, l’air qui y circule, sa lumière. C’est un endroit extraordinaire pour sculpter l’air et lui donner une forme, capter la lumière et lui donner une couleur.

Vous avez dit une fois : « je ne voulais pas que ce soit mon goût, qu’il soit bon ou mauvais, qui détermine le choix des couleurs. Je n’utilise pas la couleur pour des effets esthétiques voulus ». Avez-vous appliqué cette pratique pour cette oeuvre ? Si oui, pourquoi et comment ?

Absolument ! Les couleurs utilisées, au nombre de 4 plus le blanc et le noir, sont les seules qui existent dans les matériaux choisis. Elles sont donc ce qu’elles sont et n’ont rien à voir avec un choix esthétique quelconque de ma part. J’ai donc fait avec par nécessité et par obligation. Par ailleurs, j’ai encore moins choisi la couleur vert réséda dans laquelle tout le Grand Palais baigne. Cette couleur, recouvrant un espace considérable, imprègne tout ce qui se montre dans ce lieu, qu’on le veuille ou non.

Comment avez-vous construit la bande sonore de l’exposition ?
La bande sonore consiste en un mixage entre un petit texte que j’ai écrit, en fait une énumération de chiffres et de nombres qui se trouvent être ceux avec lesquels l’oeuvre dans son ensemble s’est construite et les noms basiques des couleurs utilisées, le tout dit par 37 personnes différentes en 37 langues différentes utilisées à travers le monde.
Ces différentes énumérations sont ensuite mixées avec des sons, rythmées par Alexandre Meyer, musicien, à qui j’ai demandé de faire ce travail.
La diffusion de ces textes et de ces sons mélangés est très importante et se fait grâce à des haut-parleurs extrêmement directifs, qui vont venir prendre les visiteurs au passage, comme des vagues sonores, les accompagner puis les lâcher...

Vous avez fait de nombreux travaux autour des transparences et des projections de lumière. La verrière de la Nef a-t-elle eu une influence majeure sur cette oeuvre ?

Elle est essentielle à la fois comme forme et surtout comme pourvoyeuse de lumière.

Le documentariste Stan Neumann explique que « le caractère éphémère
d’une œuvre la rend moins monumentale, plus proche, plus à la portée des spectateurs ».
Pensez-vous que cette idée puisse s’appliquer à « Excentrique(s), travail in situ » ?

Je pense que fondamentalement, cette interprétation est juste. Le côté immuable d’une oeuvre viendra automatiquement en accentuer le sens monumental et lourd si elle porte en elle ces tendances. Si elle est éphémère l’accent porté sur sa possible monumentalité sera amoindri. Éphémère ou pas, si l’oeuvre est complètement hors de proportion, ça ne la fera devenir ni plus légère ni plus juste.
Ici, au Grand Palais, ce qui est monumental, avant tout, c’est le lieu. Ça n’implique pas obligatoirement que ce qui va s’y inscrire soit automatiquement monumental aussi, bien entendu. Mais que veut dire ce terme ? Est-ce que la monumentalité serait automatiquement une tare ? Serait-ce au contraire une qualité ? Pour moi, tout est question de proportions. Le Grand Palais par exemple, est un lieu monumental et splendide à la fois, vu de l’intérieur en tout cas. Il a été fait pour contenir de très grandes manifestations. Sa monumentalité correspond donc parfaitement à l’usage pour lequel on l’a construit, très large, très haut, vaste et long, extrêmement bien éclairé naturellement, sa qualité principale. Les pyramides égyptiennes sont un autre exemple de monumentalité ; elles émergent du désert dans lequel elles ont été construites et sont en harmonie avec ce dernier. Elles étaient faites principalement pour impressionner les êtres humains de l’époque et semblent avoir bien rempli leur rôle jusqu’à aujourd’hui ! De même pour les cathédrales, monumentales et faites pour en imposer. Au Grand Palais, par exemple, la porte principale se veut monumentale comme le reste.
Malheureusement, au lieu d’être une belle ouverture sur un espace monumental gigantesque qui lui, est splendide et lumineux, elle n’est que lourde, sombre et grandiloquente, en deux mots, académique et pompier. Là, le monumental est très négatif. Je dirais enfin pour terminer que monumentale ou non, une oeuvre est intéressante et belle lorsqu’elle développe une harmonie avec son environnement. Petite dans un espace monumental ou bien immense à l’instar du monument où elle apparaît, peu importe, lorsque cette harmonie n’existe pas, monumentale ou non, l’oeuvre est ratée !

Artiste(s) associé(s)
Dernière mise à jour le 2 mars 2021