ETIENNE YVER

...Couche après couche, dans le dessin, la peinture comme dans le rêve profond ou éveillé, la surprise et l’émotion surgissent quand l’incongruité d’un support, d’une matière ou d’un incident de parcours piègent l’imagination. « Or, la porte du ciel s'étant entre-bâillée / Au-dessus de sa tête, un songe en descendit. »

Toujours alors, le corps revient à la charge. Je le montre, perpétuelle curiosité et incessante interrogation. Comme une détermination, une effervescence, le corps que l’on a, le corps que l’on est, celui qui vous épuise et celui que l’on aimerait posséder, je les regarde, m’y projette et les chante.

C’est exactement cela, dessiner ou peindre, à la fois délectable et frustrant, atterrant et jubilatoire. Un chemin se fait, toile après toile, trait après trait, un parcours se dessine. Et si je n’en aperçois que quelques lacis dont la cohérence m’échappe, je le vis comme une aventure amoureuse : chaque peinture a son éros, chaque dessin, son cœur de nuit qui ouvrira peut-être sur un mode archaïque de relation à soi et à ce qui avoisine. C’est un langage d’avant les mots, d’avant le discours. Et c’est bien à mon insu s’il se dit quelque chose ; ou par négligence, cette force redoutable quand l’intellect laisse la place et n’est plus l’unique démiurge. De l’œuvre, le contact seul dira la chair complexe de l’émotion. Cette expérience-là est une suspension, et non un retrait du monde, car elle saisit. Évacuant le loisir, elle permet l’expérience du loisible et aménage une intermittence du temps banal pour une escale dans le sien propre. « C'était l'heure tranquille où les lions vont boire » : et là je ne sais plus si je suis encore dans la peinture ou déjà dans le rêve. Mystère du songe, mystère du rêveur, mystère de l’œuvre qui travaille.