Esther Ferrer

Un peu de tout mais bien ordonné
Exposition
Arts plastiques
Galerie Lara Vincy Paris 06
Esther Ferrer, "Esprit de contradiction", 1990

« Nos poches, nos tables, nos maisons sont envahies d’objets
déposés par les grandes marées terriennes »
           

Roland Topor
préface à Topographie anecdotée du hasard.
                                


On a coutume, lorsqu’on évoque le nom d’Esther Ferrer, de louer avant toute chose ses talents de performeuse. Bien qu’en partie fondé, ceci ne doit pas éclipser ce qui préside à sa pensée. Car qu’il s’agisse d’actions, d’objets, de dessins, de nombres premiers, ou de langage mis à l’épreuve du performatif, il s’agit toujours de la même réceptivité au monde dont elle fait preuve au quotidien. Le terme d’ « Objets contextualisés ou dé-contextualisés » (titre jadis donné à une exposition à la galerie J & J Donguy) convient bien à cette façon d’appréhender la vie ; la vie sous toutes ses facettes. Un des exemples les plus éloquents nous en a été fourni, encore tout récemment, avec cette photo circonstanciée où l’artiste apparaît se mettant en scène, bardée du masque chirurgical de rigueur, une règle d’une longueur d’un mètre ajustée à bout de bras à hauteur de visage, façon fusil pointé, donnant ainsi forme aux préconisations des gestes barrière… armée jusqu’aux dents !
Les situations, les réflexions qui nous traversent, les objets qui peuplent notre univers s’avèrent autant de catalyseurs à la création. Un verre cassé devient symbole de "L’imagination au pouvoir" ; une chandelle ployant sous l’effet de la cire ramollie par la chaleur solaire rend hommage à "Le soleil l’a fait" (allusion narquoise à une débâcle phallique ?); un pavé ramassé un jour de manifestation en 1968 se fait l’écho d’utopies lointaines et révolues (Sous le pavé la plage, sur les pavés l’argent). Bien souvent, les choses s’offrent d’elles-mêmes, promues à un second destin. Ce n’est qu’une question de regard et de disposition d’esprit aiguisée, comme cet "Objet bizarre" imaginé à partir de lunettes à double foyer (ayant appartenues à son compagnon de vie, le musicien Tom Johnson, toutefois non portées pour cause d’inadaptabilité), ici redoublées par une seconde paire de lunettes. Plus qu’une question d’optique portée sur le monde, il s’agit simplement de se saisir des choses dans leur topographie hasardeuse (pour faire écho à une expression chère à Daniel Spoerri). « Laisser arriver les choses, plutôt que de faire en sorte qu’elles arrivent », selon la formule de John Cage, l’un des maîtres d’Esther Ferrer, évoquant « une notion orientale ».

Si notre artiste a bien cette capacité de regard, les objets savent également en retour lui faire signe. Ainsi cette pelle dressée dans son bac de terre ("Elle était là") porteuse de tout un récit propre, où se rejoignent petite et grande Histoire. Invitée en 1993 au Festival International de Performance à l’Institut Hellerau à Dresde, elle y découvre à sa grande surprise un lieu délabré (après avoir été le cadre mythique d’un des berceaux de la danse contemporaine, où officiait Émile Jaques-Dalcroze, inventeur d’une méthode de gymnastique rythmique – avec une attention portée à l’improvisation – où viendront s’initier les plus grands créateurs : danseur.seus.es, musicien.ne.s, écrivains, gens de théâtre). C’est cet institut, ayant perdu tout lustre pendant la guerre, déserté par les Allemands puis occupé par l’Armée rouge, que découvrira l’artiste, avec pour seul vestige décidé à résister une pelle dressée dans un des jardins laissés à l’abandon. Jetant son dévolu sur cet objet plein de charge et d’aplomb, elle l’emportera  afin de prolonger son histoire… ignorant sans doute par ailleurs qu’il constitue ce qui subsiste de la première cité-jardins créée en Europe. Hommage donc à ces objets quasi archéologiques, immuables outils à exhumer aussi bien souvenirs personnels que l’histoire des peuples.

« Un peu de tout, mais bien ordonné » est une expression proverbiale populaire en Espagne (« De todo y por su orden »), qui renvoie à la présence de bazar, mais en vertu d’un certain ordre de façon ironique. Selon ce principe, on note que l’éclectisme qui sied si bien à Esther Ferrer sait aussi s’accommoder de la plus grande rigueur. En témoigne sa recherche vertigineuse sur les nombres premiers (travail amorcé dès 1970), au point de l’accaparer pendant des mois à en dresser la liste, puis de les consigner en une suite d’énumérations sur des grandes planches de façon savamment ordonnée, avant de les transposer à l’échelle de peintures. Cette fascination dépasse la simple approche d’ordre mathématique et confine chez elle à une sorte de quête d’absolu, voyant dans le monde des nombres premiers un parallèle avec la structure de l’univers et l’ordre cosmique.
Ordre et désordre, tumulte et réagencement sont bien les deux faces d’une même chose. C’est à cette logique, métaphorique de la création artistique affranchie de tout dogmatisme, qu’entend nous introduire Esther Ferrer.

Patricia Brignone

 

Complément d'information

« Un peu de tout mais bien ordonné » est la quatrième exposition personnelle de Esther Ferrer à la galerie Lara Vincy depuis 2002.


Esther Ferrer
Née en 1937 à Saint-Sébastien, Espagne.
Vit et travaille à Paris, France.

 

Expositions personnelles récentes (sélection) :

2020     
- Esther Ferrer - EF, Cebntro Atlantico de Arte Moderno- CAAM, Las Palmas de Gran Canaria, Espagne.

2018    
- All Variations Are Valid, Including This One, Museo Nacional Centro de Arte REINA SOFIA, Madrid, Es.
- Espacios entrelazados, Gugghenheim Bilbao, Espagne.

2016    
- Entre lineas y cosas, Centro de Arte Tomas y Valiente, Fuenlabrada, Espagne.

2014     
- Structures et projets spatiaux, galerie Lara Vincy, Paris.
- Face B. Image / Autoportrait, MacVal Musée d’art contemporain du Val de Marne, Vitry-sur-Sein, France.

2013     
- Le chemin se fait en marchant / face A, Frac Bretagne, Rennes, France.

2012     
- Esther Ferrer : maquetas, galeria Angels, Barcelone, Espagne.
- Esther Ferrer en cuatro movimientos, CGAC, Centro Gallego de Arte Contemporáneo, Saint-Jacques-de-Compostelle, Espagne.
- Esther Ferrer en cuatro movimientos, Es Baluard, Museo de Arte Moderno Contemporáneo de Palma, Palma de Mallorque, Espagne.

2011    
- Esther Ferrer en cuatro movimientos, Artium, Museo de Arte Contemporáneo, Vitoria-Gasteiz, Espagne.

 

Artistes

Horaires

Du mardi au vendredi 11h- 19h
Samedi 11h  - 13h et 14h30 - 19h

Accès mobilité réduite

Oui

Adresse

Galerie Lara Vincy 47 rue de Seine 75006 Paris 06 France
Dernière mise à jour le 13 octobre 2022