Entre(vues)

en collaboration avec Victor Hugo Riego
Exposition
Arts plastiques
Galerie PACT Paris 03
Entre(vues)

L’exposition collective que propose la galerie PACT est le résultat d’un choix délibéré : il s’agit de montrer des oeuvres qui se confrontent au destin de la peinture et de son histoire. Il y a une dimension réflexive dans le travail de chaque artiste qui explore la matérialité de l’oeuvre et ses principes. 

Ainsi si l’on se pose, notamment, la question du choix en art, nous savons qu’elle oriente de manière définitive et primordiale sa pratique, et sans aucun doute, aussi sa réception. L’artiste a-t-il toujours été libre? 

Les meilleurs assument une conduite d’abord fidèle à eux-mêmes, et qui s’inscrit dans l’histoire, même s’ils la contestent. Ce qu’il faut à l’artiste : entrevoir une vision et une idée de l’art qui portent son action ou sa production. Il s’agit pour lui de penser l’art. À cet égard, Marcel Duchamp est un peintre et un artiste qui va instaurer dans l’art une radicalité exemplaire.

Philippe Collin, lors d’un entretien avec Marcel Duchamp en 1967, suggère clairement, en citant André Breton :  » un ready-made est un objet manufacturé, promu à la dignité d’objet d’art par le seul choix de l’artiste.  » Il voulait placer ainsi le créateur du ready-made dans une rupture avec la tradition, or Marcel Duchamp, étant à la source de l’art contemporain, se replace, immédiatement et paradoxalement, dans la tradition :  » Mais c’est toujours le choix de l’artiste. Quand vous faites même un tableau ordinaire, il y a toujours un choix : vous choisissez vos couleurs, vous choisissez votre toile, vous choisissez le sujet, vous choisissez tout. Une œuvre d’art, c’est un choix essentiellement. » Il ne s’oppose donc pas à l’histoire mais il s’y inscrit, avec malice et intelligence. 

Les artistes Andrew Grassie, Ethan Greenbaum, Jean Nipon, Louise Lawler, Olivier Mosset, Peter Schuyff, Richard Pettibone et Yves Klein incarnent un spectre large dans le champ de l’art contemporain. Ils ont été pris ensemble dans cette exposition dans le but avoué de produire un choc et un dialogue insolite entre eux pour les spectateurs. Que peut engendrer une vision si hétéroclite et multiple de l’art? 

En définitive, dans cette exposition, la question de l’image est centrale. Comment peut-on penser son corps? Diaphane ou rugueux ? Entier ou partiel? Abstrait ou figuratif? Monochrome ou photographique? Ordinaire ou intrigant ? Insolite ou burlesque? Sérieux ou critique? Hybride ou miroir? Surface ou peau? Comment voir la chose? Et si, en plus, elle se démultipliait.

Dans le film Persona, de Ingmar Bergman, chef-d’œuvre expérimental absolu du cinéma, de 1966, le jeune garçon, que l’on voit d’abord de face, touche délicatement une membrane qui a l’intérieur de l’image représente la toile du film qui se transforme ensuite en l’image de deux visages féminins qui s’alternent et qu’il caresse successivement, alors qu’on le voit désormais de dos. En peu de temps, au début du film, le réalisateur passe par un condensé de tous les usages possibles des images filmiques. Cette exposition propose un discours similaire : penser le corps de la peinture comme une pellicule. Paul Valéry écrit : « ce qu’il y a de plus profond en l’homme, c’est la peau ». 

Ce que la peinture célèbre, nous dit Merleau-Ponty, c’est l’énigme de la vision. Entre les différentes vues que propose l’exposition, des dialogues, des écarts, des oppositions, des télescopages ont lieu. C’est pourquoi la scénographie place volontairement les pièces qui sont très différentes entre elles sur une seule ligne que l’on peut lire. La taille modeste des pièces qui ont été choisies, permet une lecture linéaire de la série et demande au spectateur une acuité renforcée du regard. 

Cette exposition se présente comme un alphabet visuel que le spectateur doit déchiffrer. Entre ces différentes vues, le visiteur doit chercher à comprendre une prolifération de sens qui émergent des œuvres et des relations entre elles. 

Et ce n’est pas un hasard si une photographie, Ink/paint/pencil, de Louise Lawler fait partie de la série. Elle montre, de manière partielle, le travail de Sol LeWitt dans un lieu : on y entrevoit deux pièces photographiées à raz-du-sol. Chez elle l’art devient indiciel. Elle capte la place de l’art dans son milieu naturel de façon insolite. 

Le petit tableau d’Olivier Mosset, de 35,6 x 31,1 cm, provenant de la collection de Keith Haring, qui comporte sept bandes de couleurs différentes verticales, de 1988, de taille inhabituelle, est un hommage à la Washington Color School, mouvement fondé par Morris Louis et Kenneth Noland dans les années 50, et rappelle l’attachement de l’artiste suisse à la peinture américaine. Son travail a la particularité de se nourrir et de dialoguer, en profondeur, avec l’histoire de la peinture. 

Le monochrome bleu de Yves Klein, IKB 275, de 1960, pigment sur toile, donne une matérialité et une préséance incontestable à la couleur. Dans son tableau, elle irradie et incarne une forme de spiritualité concrète et poreuse. 

La pièce de Richard Pettibone, sans titre, de 7 x 5,25 cm, de 1967, sérigraphie sur toile, s’approprie l’image d’une chaise électrique d’Andy Warhol en la réduisant, comme le font les indiens Jivaros d’Amazonie avec les têtes des vaincus. Cette vision réduite de l’art est aussi une mise en abîme de la culture occidentale. Il est clair que ce rétrécissement nous éloigne assez de l’objet artistique pour que l’on puisse saisir l’espace culturelle auquel il appartient. 

Diego Vélasquez réduit aussi, dans son tableau les Ménines, la société humaine, à l’avant- plan, qui n’ occupe que la moitié de l’image, à cause de la hauteur du plafond : ce simple rétrécissement des personnages est une critique sévère de l’importance qu’on accorde au statut d’une personne lié à son rang social en société. 

Le papier de Jean Nipon, propose une œuvre, délicate et dense, faite aux crayons de couleurs, titré Olive Bataille, de 50 x 35 cm, de 2022, et réalisée expressément pour cette exposition. L’artiste est fasciné par les maîtres de la peinture ancienne auxquels il fait allusion dans ses dessins.
Dans le portrait on aperçoit, partiellement, une référence, au fond, des lances de La bataille de San Romano de Paolo Ucello. Le personnage féminin de bande dessinée comique Olive apparaît en 1919, suivra plus tard un célèbre dessin animé. Olive est désirée par Popeye et Brutus qui sont des rivaux. L’artiste utilise son image iconique et comique, et il fait son portrait qu’il associe à la peinture italienne. 

L’oeuvre d’Ethan Greenbaum, Any, de 21,6 x 21,6 x 2 cm, de 2018, est un travail hybride et tridimensionnel, issu d’une photographie prise par l’artiste new-yorkais, lors l’une de ses déambulations en ville et qu’il transforme en un objet sculptural. 

La toile de Peter Schuyff, intitulée Dutch Happy, de 40 x 49,5 cm, une huile sur une toile trouvée, de 2007, témoigne de l’extrême liberté de l’artiste par rapport au sujet, à la manière de le traiter, un énorme smiley occulte le visage où seul les yeux son raccord, et du refus de l’artiste de rentrer dans une des catégories de l’art. 

La pièce de Andrew Grassie, artiste écossais, titrée The Geffen, tempera sur carton, de 12,5 x 19 cm, de 2014, est tirée d’une photographie qui lui sert de modèle. La modestie de l’action en cours qu’il capture, l’image d’un chantier, est fortifiée parce qu’il s’agit d’un lieu abandonné momentanément. L’interruption du travail et l’absence de présence humaine installe un sentiment diffus de désolation chez le spectateur qui contemple l’oeuvre. Et sa minutieuse exécution amplifie ce sentiment. 

Dans cette exposition, toutes ces œuvres qui sont inscrites dans une séquence, insolite et fugace, nous laissent voir, pour un instant, la vie de la peinture et de l’art, et ses étranges prolongements. Le monde se laisse seulement entrevoir, et nous clignons des yeux. 

Victor Hugo Riego

 

LE SYLPHE 

Ni vu ni connu
Je suis le parfum
Vivant et défunt
Dans le vent venu!

Ni vu ni connu,
Hasard ou génie?
À peine venu
La tâche est finie!

Ni lu ni compris?
Au meilleurs esprits
Que d’erreurs promises!

Ni vu ni connu,
Le temps d’un sein nu
Entre deux chemises!

Charmes, Paul Valéry

Complément d'information

"Entre(vues)" - Entretien avec Victor Hugo Riego à la Galerie PACT

https://www.youtube.com/watch?v=o3427d39oG8&t=3s

Adresse

Galerie PACT 70 rue des Gravilliers 75003 Paris 03 France
Dernière mise à jour le 16 novembre 2022